Claude Lorrain (Bouyer)/Introduction

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Henri Laurens, éditeur (Les Grands Artistes) (p. 5-6).


CLAUDE LORRAIN



Synonyme du soleil, ce nom seul évoque la lumière. Aussi l’Angleterre l’a-t-elle depuis longtemps accaparé, pour dorer ses brumes… En disant Claude Lorrain, quel visiteur de la National Gallery de Londres — et, tout d’abord, quel habitué de notre Louvre (qui possède les plus beaux exemplaires de ce beau génie si français) n’aperçoit pas aussitôt, dans le mirage du souvenir, des ciels radieux effleurant des architectures qu’ombragent de nobles feuillées, ou des rayons obliques traversant les voiles de hauts navires dans un port idéal où se déroulent quelques scènes somptueuses des anciens jours ? Marines et paysages se répondent. Et partout le sourire de l’atmosphère, partout le miroir d’une nature enchantée, mais un miroir créateur qui serait une âme…

Quelle était cette âme ? On voudrait la pénétrer aujourd’hui. Le peintre demeure obscur, si sa peinture est restée splendide. Le mystère de sa vie semble s’être résorbé dans le rayonnement de son œuvre. L’homme est passé tout entier dans l’artiste. Comme les gens heureux, le maître paysagiste n’a point d’autre histoire que celle de la nature, d’autres événements, dans sa longue vie, que la fugitive magie des heures.

Claude le Lorrain, pourtant, n’est pas un dieu tombé du ciel : le temps est venu de le situer dans son siècle, de comparer son origine et son influence, de remettre le paysagiste à son rang lumineux dans l’histoire totale du paysage et l’artiste à sa place originale dans l’histoire particulière de l’art français. Méconnu ? Non certes ! Mais tellement consacré, pour ainsi dire isolé dans sa renommée, que les regards éblouis de confiance ne recherchent plus ces rapports subtils…

Un maître exige plus que de l’admiration.