Code des gens honnêtes/1-3-1

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Code des gens honnêtes
ou l’art de ne pas être dupe des fripons
J.-N. Barba (p. 79-89).



CHAPITRE Ier


Le vol avec effraction est un moyen d’acquérir la propriété prévu par le Code comme tous ceux que nous avons signalés jusqu’à présent ; mais celui-ci est un vol contre lequel nous n’avons pas beaucoup de remèdes à offrir : il est brutal et imprévu. L’art de Lavater est même inutile pour l’éviter ; mais, en revanche, d’habiles mécaniciens fabriquent des serrures de sûreté, des coffres, qui coûtent cent louis, mille écus, douze mille fr., trente mille fr.

Pour beaucoup de gens le remède est pire que le mal.

Un serrurier habile a trouvé un instrument qui s’adapte aux serrures, et si l’on vient à toucher la clef, un pistolet part, allume une bougie, et prévient ainsi l’honnête homme endormi.

On fait également des volets en tôle et des persiennes de bronze qui ont leur mérite ; ainsi l’on peut choisir.

Par le système actuel du mouvement des fonds et la législation des hypothèques, on n’a plus guère d’argent chez soi, comme cela se pratiquait jadis, et les vols par effraction deviennent rares. Ces actions téméraires ne concernent plus que certaines personnes qui, par leur état, sont obligées d’avoir des sommes très-fortes toutes prêtes ; mais ordinairement les banquiers, les négocians, les agens de change, les notaires, ont des caisses heureusement construites.

Le vol avec effraction commis de nuit ne peut donc plus être redouté que par les personnes qui ont des sommes considérables à recevoir, ou qui possèdent des diamans en grand nombre ou des objets précieux. Alors de ces deux cas sortent les aphorismes suivants :

§ 1.

Ne dites jamais que tel jour vous avez un remboursement à faire ou à recevoir.

Si vous êtes forcé d’apporter beaucoup d’argent chez vous, faites-le le plus secrètement possible. Préférez les billets de banque à l’or, et l’or à l’argent.

§ 2.

Quand on a de beaux diamans, il faut les cacher dans un meuble à secret ; que le meuble surtout soit assez lourd pour qu’on ne puisse pas l’emporter.

§ 3.

Il y eut un temps où, à Paris, un prince du sang et les gens de sa cour s’amusaient la nuit à voler les passans, à briser les portes, à se battre contre le guet. Ce temps peut être regardé comme l’âge héroïque des voleurs avec effraction.

§ 4.

Les négocians assez fous pour croire qu’un beau tableau leur fera vendre une aune de drap de plus, doivent bien se garder de laisser leur enseigne la nuit.

§ 5.

La coutume d’avoir des portefeuilles à serrure et à secret est très-bonne.

Mais le voleur emporte le portefeuille.

§ 6.

Avant la révolution, les boutiques du Pont-Neuf étaient ambitionnées par les détaillants des objets les plus rares. Le Pont-Neuf étant la seule communication centrale, les marchans y faisaient de rapides fortunes. Le loyer de ces petites boutiques était de cent louis, et appartenait à l’Académie.

La garde de ces petites tours était commise pendant la nuit à un poste de gardes françaises, qui se tenait au milieu du pont ; et les marchans, certains qu’un œil vigilant veillait sur la serrure de leurs boutiques pendant toute la nuit, que de bons réverbères éclairaient le pont, ayant soin de bien fermer leur magasin, se retiraient chez eux. Les plus défians faisaient coucher leurs apprentis dans la boutique.

Une nuit, un filou se présente au corps-de-garde, prie le chef de poste de lui donner de la lumière pour ouvrir sa boutique, et de l’aider à charger une voiture, qui part pour une foire de province. Le poste détache deux gardes qui facilitent l’ouverture de la boutique, des comptoirs, et l’emballage des marchandises.

Le lendemain on apprit la vérité ; et ce vol est resté comme un exemple de l’audace des effractionnaires avant la révolution.

§ 7.

Une femme qui sort du spectacle, quand il y a une grande foule, doit, lorsqu’elle est parée pour aller au bal, prendre garde aux diamans qu’elle a aux oreilles.

On cite, à l’appui de cet aphorisme, l’exemple d’une dame noble dont les boucles d’oreilles furent arrachées par un filou avec un incroyable sang-froid. Quand elle cria, les diamans étaient déjà loin, et le voleur imperturbable s’offrit à panser l’oreille, en déclamant contre la police qui se faisait mal.

Nous avons pensé que c’était un vol avec effraction.

Le filou qui pansait la dame et s’intéressait à elle, était soi-disant le comte de… Il s’offrit à faire retrouver la boucle d’oreille ; et, pour faciliter ses recherches, emprunta l’autre.

§ 8.

En Angleterre, on punit, par un long emprisonnement et une forte amende, le baiser qu’un jeune homme donne à une jeune miss au-dessous de dix-huit ans, malgré elle.

Nous ne savons pas si les législateurs ont considéré cela comme un vol avec effraction ; mais, en France, ce délit ne peut être atteint par les lois.

Le dernier exemple de l’application de la loi anglaise a eu lieu à Londres en 1824.

§ 9.

Voici l’opinion du grand Frédéric sur un vol avec effraction, pour lequel on sollicite en ce moment de nouvelles peines.

Un soldat ayant vu à une Madone de beaux diamans, les lui enleva. Accusé, il fut condamné à mort. Il demande à parler au roi : on le lui accorde. « Sire, dit-il, les catholiques conviennent que la Sainte Vierge peut faire des miracles, et c’est vrai : car en entrant dans l’église, la Madone m’a fait signe, je me suis approché ; alors elle m’a dit de prendre ses diamans parce que j’étais bon militaire et dans la détresse. »

Frédéric II assembla des docteurs pour savoir si la Sainte Vierge avait la faculté de faire des miracles. Sur leur réponse affirmative, il accorda au soldat sa grâce entière. Mais un ordre du jour enjoignit à ses troupes de ne jamais rien accepter de la Sainte Vierge ni des autres saints, sous peine de mort.

§ 10.

Le vol avec effraction le plus épouvantable qui se soit commis de mémoire d’homme, est celui du duc d’Anjou, qui, à la mort de Charles V, fit mettre Savoisy à la question ; et, sur ses aveux extorqués à force de supplices, crocheta les coffres scellés dans les murs du château de Melun, et vola les dix-sept millions amassés par Charles-le-Sage, son frère. Ces dix-sept millions vaudraient vingt fois plus aujourd’hui.

§ 11.

Un des hauts faits des voleurs avec effraction, c’est d’avoir récemment, sur le boulevard Montmartre, vis-à-vis le théâtre des Variétés, déménagé la boutique d’une lingère, à la barbe des gendarmes qui sont en faction devant le théâtre.

§ 12.

Lorsqu’on voyage par les diligences, il arrive quelquefois que, pendant la nuit, un homme monte sur la voiture et crochète les malles, les paquets, etc.

1o Un honnête homme emporte le moins qu’il peut de paquets en voyage.

2o (Voyez le § 15 du Titre I, chapitre Ier sur ceux qui dorment en voiture.)

3o Quand on a des malles considérables, on les fait partir long-temps à l’avance par le roulage qui assure leur valeur.

Les messageries en répondent bien aussi ; mais est-on jamais d’accord sur la valeur ? Chacun ne prétendrait-il pas avoir perdu beaucoup ? La messagerie répond en théorie, mais jamais en pratique, des objets que portent avec eux les voyageurs.

§ 13.

Les vols dans l’intérieur des maisons se commettent presque toujours avec effraction.

À ce sujet, relisez les §§ 1, 4, 8, 9, 11, et surtout 19 du chapitre II du titre Ier, concernant les domestiques.

Ils peuvent être plus ou moins complices de ces vols.

§ 14.

Beaucoup d’honorables personnes mettent à la porte de leur appartement une barre de fer qui, à l’intérieur, la traverse dans sa largeur. Cette méthode est bonne ; mais il ne faut jamais faire les choses à demi : alors on doit barrer de même les croisées, ou doubler les volets en tôle.

§ 15.

Nous tenons d’un avare très-distingué, qu’il fallait toujours avoir une trappe à ses cheminées, et ne pas regarder à cette utile dépense, parce qu’il est étonnant que les voleurs n’aient pas eu déjà plusieurs fois la pensée de s’introduire par les cheminées.

Cette remarque étant très-judicieuse, nous l’avons consignée afin qu’elle porte profit aux honorables personnes qui ont des fonds chez elles.

La trappe a encore cet avantage, que vous ne craignez plus les feux de cheminée, et l’amende de cinquante francs à laquelle on vous condamne en pareil cas.

§ 16.

Rien n’est si utile que de garder toute la nuit une lumière vive dans son appartement.

§ 17.

Nous ne pouvons donner des aphorismes, citer des exemples ou rapporter des anecdotes sur les vols considérables que commettent les filles publiques.

Qu’il suffise de savoir que Paris en renferme trente mille !… Grand Dieu ! trente mille !…