Collection complète des œuvres de M. de Florian/Fables/3/Le Sanglier et les Rossignols

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Fables de FlorianLouis Fauche-BorelVolume 9 (p. 115-116).


FABLE IX

Le Sanglier & les Rossignols


 
Un homme riche, sot & vain,
Qualités qui parfois marchent de compagnie,
Croyoit pour tous les arts avoir un goût divin,
Et pensoit que son or lui donnoit du génie.
Chaque jour à sa tahle on voyoit réunis
Peintres, sculpteurs, savants, artistes, beaux esprits.
Qui lui prodiguoient les hommages,
Lui montroient des dessins, lui lisoient des ouvrages,
Ecoutoient les conseils qu’il daignoit leur donner,
Et l’appeloient Mécène en mangeant son dîner.
Se promenant un soir dans son parc solitaire,
Suivi d’un jardinier, homme instruit & de sens,
Il vit un sanglier qui labouroit la terre,
Comme ils font quelquefois pour aiguiser leurs dents.
Autour du sanglier, les merles, les fauvettes,
Surtout les rossignols, voltigeant, s’arrêtant,
Répétoient à l’envi leurs douces chansonnettes,
Et le suivoient toujours chantant.
L’animal écoutoit l’harmonieux ramage


Avec la gravité d’un docte connoisseur,
Baissoit parfois la hure en signe de faveur,
Ou bien, la secouant, refusoit son suffrage.
Qu’est ceci ? dit le financier :
Comment ! les chantres du bocage
Pour leur juge ont choisi cet animal sauvage !
Nenni, répond le jardinier :
De la terre par lui fraîchement labourée,
Sont sortis plusieurs vers, excellente curée
Qui seule attire ces oiseaux ;
Ils ne se tiennent à sa suite
Que pour manger ces vermisseaux ;
Et l’imbécile croit que c’est pour son mérite.