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Complainte en rondeau de Denis, roi de la fève, sur les embarras de la royauté

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Complainte en rondeau de Denis, roi de la fève, sur les embarras de la royauté
Œuvres complètes de Diderot, Texte établi par J. Assézat et M. TourneuxGarnierIX (p. 5-6).


COMPLAINTE EN RONDEAU
DE
DENIS, ROI DE LA FÈVE
SUR LES EMBARRAS DE LA ROYAUTÉ[1]


1771

Quand on est roi, l’on a plus d’une affaire,
Voisins jaloux, arsenaux à munir,
Peuple hargneux, complots à prévenir,
Travaux en paix, dangers en guerre,
Ma foi, je crois qu’on ne s’amuse guère
Quand on est roi.

Roi tout de bon ; car, d’un roi, pauvre hère
Comme il en est, j’aime assez le métier ;
J’en ai tâté pendant un jour entier.
Ce jour-là je fis grande chère ;
Je ris, je bus, tout alla bien ;
Car il est un Dieu tutélaire
Par lequel on fait tout sans se douter de rien,
Quand on est roi.

J’eus des courtisans véridiques ;
En dormant j’achevai des exploits héroïques ;
Fameux[2] à mon réveil, j’occupai l’univers ;
Vraiment, je fis des lois, je les fis même en vers.
En vers mauvais ; qui vous dit le contraire ?

Certain marquis[3]
D’un goût exquis
Les trouva tels, sans me déplaire.
Il eût, pour prix de sa sincérité,
Sous un autre Denis perdu la liberté ;
On peut aux gens de bien accorder ce salaire,
Quand on est roi.

Pour moi, je n’en fis rien ; car je suis débonnaire,
À votre avis, pourquoi me serais-je fâché ?
Vers et prose de roi sont mauvais d’ordinaire,
Et ce n’est pas un grand péché ;
C’est le moindre qu’on puisse faire,
Quand on est roi.


AUX DAMES[4].

Vos yeux, depuis longtemps, m’ont appris à connaître
Que le destin nous a fait naître
Moi, pour servir, vous, pour donner la loi.
Qui veut d’un roi qui cherche maître ?
Personne ici ne dira-t-il : C’est moi ?

  1. Dans l’édition Belin (Supplément, 1819) des Œuvres de Diderot, où a été publié pour la première fois ce morceau, il porte le titre suivant : Le Roi de la fève, le lendemain de son règne.
  2. Variante : Célèbre.
  3. Le marquis de Croismare.
  4. Cet envoi est ajouté par Grimm au morceau précédent. Il nous paraît mieux en situation ici. C’est d’ailleurs sa place dans une copie qui est en notre possession. Il est probable que Diderot qui, dans l’Argument des Éleuthéromanes, ne parle que de trois occasions successives où il fut roi de la fève, ne comptait pas, parmi les pièces de vers que cette persistance du destin à le choisir lui inspira, celle-ci, datée du lendemain de son règne. Le morceau suivant répond à ce qu’il dit, dans ce même Argument, du sujet qu’il traita la seconde année de sa royauté.