Confidences (Lefèvre-Deumier)/Livre I/La Promenade d’avril

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LA PROMENADE D’AVRIL.


Come, Eva dear, by the mounlight
Ve’Il visit all our haunts to night.

Em. Landon.


Then all, by chance or fate removed,
Like spirits crowd upon the eye :
The few we liked — The one we loved, —
And the whole heart is memory.

J. Croly.


Le città son nemiche, amici i boschi
A miei pensier…

Petrarca.


Contre le vent d’avril, qui souffle dans les bois,
Aguerrissez vos pas, devenus villageois ;
N’écoutez pas l’hiver, dont la fuite incertaine,
Au printemps, qu’il combat, dispute encor la plaine.
Venez, et si du soir la sourde humidité,
De vos frileux efforts, trouble la fermeté,

Cherchez, sous ce manteau, ce qu’il faut de courage,
Pour braver la fraîcheur, qui tombe du feuillage.
L’air est froid, dites-vous ? Oh ! ne vous plaignez pas
D’affronter la rigueur de nos derniers frimas.
La nuit vous récompense : elle est pure ; ses charmes,
Si vous en répandiez, engourdiraient vos larmes.
Sur tous les fronts en deuil elle étend son bandeau ;
On n’ose pas souffrir quand le ciel est si beau,
Ne souffrez pas : donnez au cœur, qui vous rassure,
Une raison de plus de bénir la nature.

Un silence enchanté plane sur ce berceau !
Suspendu dans les airs, comme un pâle vaisseau,
Le croissant, qui navigue à travers les nuages,
Invite à partager ses lumineux voyages ;
Partageons-les de loin, nocturnes pélerins,
Dont ses feux complaisans dessinent les chemins.
Ne vous semblent-ils pas, en blanchissant la terre,
De leur climat plus doux y porter le mystère,

Ici, comme un ruisseau de phosphore argenté,
Etendre sous nos pas un tapis de clarté,
Là, verser, en glissant sur l’herbe printanière,
Des bouquets, dont nos yeux cueillent seuls la lumière ?
Quel génie, échappé des rêves d’Orient,
Plein de son paradis, nous le jette en riant !
Avouez, Maria, que si la solitude
Ne répond pas toujours à notre lassitude,
C’est au moins, quand on marche au vent chaud des revers,
Une oasis du ciel, qui croît dans nos déserts.

Oh ! parcourons long-temps ce magique Elysée,
Où tout est si discret, qu’on entend la rosée,
Sur la tête des fleurs, qui bordent le sentier,
De ses perles du soir effiler le collier.
Qu’on est bien, n’est-ce pas, quand on est loin du monde :
Et que de son repos, la nuit, qui nous inonde,
Sait bien, de l’avenir entr’ouvrant le rideau,
D’un passé, qui nous pèse, alléger le fardeau !

De tout ce qui nous blesse épurant notre histoire,
Excepté pour ses maux, tout le cœur est mémoire :
Et lorsque nous berçant dans de vagues brouillards,
Un sommeil transparent assoupit nos regards,
Nos rêves les plus doux ne sont pas des mensonges,
Ce sont nos souvenirs, qui deviennent nos songes.
Les brumes du lointain émoussant les douleurs,
On sourit quelquefois de ses anciens malheurs :
Le ciel fait reparaître à notre âme ravie,
Ces éclairs de bonheur, qui traversent la vie,
Et s’éteignent plus vite, hélas ! que nos regrets.
Le jour nous privera de leurs derniers reflets,
Mais nous aurons deux fois vu passer leur mirage :
Bénissons donc la nuit qui, sur nos mers d’orage,
Rallume les fanaux qu’emportait leur reflux,
Et fait croire un instant à des biens qu’on n’a plus.

La nuit, sœur des adieux, parle aussi d’espérance.
Qui n’a pas quelquefois, libre de sa souffrance,

Et fuyant les écueils de ce monde pervers,
De quelque astre idéal abordé l’univers !
Qui n’a pas, fatigué de nos mornes rivages,
De la nuit, comme un char, emprunté les nuages,
De soleil en soleil transporté ses destins,
Respiré les trésors de leurs brûlans jardins,
Et poursuivant le vol de ces îles ailées,
Qui cinglent dans le ciel en flottes étoilées,
Cherché, dans les détours de leurs feux suspendus,
Les êtres bien-aimés que nous avons perdus !
Savons-nous, engourdis sous nos chaînes mortelles,
Si, dans leurs palais d’or, ces ombres fraternelles
N’ont pas quelque regard pour cet humble séjour,
Et veuves sur le trône, où manque notre amour,
De nos vœux attentifs n’exigent pas l’hommage ?
Qui sait, lorsque des morts s’éveille en nous l’image,
Si ce n’est pas leur âme, en deuil d’un souvenir,
Qui descend dans nos cœurs, pour s’entendre bénir ?
L’absence, à cet espoir, paraît moins éternelle.
On ne perd qu’à moitié l’ami qu’on se rappelle ;

Il revient près de nous, lorsque le jour décroît :
Le jour, on s’en souvient ; la nuit, on le revoit.

La splendeur du soleil inspire le génie :
Sous ce foyer brûlant, la pensée infinie
S’échappe du cerveau, comme un de ses rayons ;
C’est le jour, qui préside aux grandes actions,
Mais la nuit nous révèle un plus riche héritage,
Peut-être on pense moins, mais on sent davantage.
C’est l’heure des secrets, et surtout de l’amour :
Pour trouver ce qu’on cherche, a-t-on besoin du jour ?
L’ombre inspire à nos yeux une adresse divine,
Ce qu’on voit s’embellit de tout ce qu’on devine ;
Les fleurs, qu’on n’attend pas, ont un parfum plus doux,
Tout ce qui veille encor n’existe que pour nous ;
L’insecte, qui bourdonne autour des chèvrefeuilles,
La brise, qui voltige, et s’ébat dans les feuilles,
Des hauteurs de l’esprit nous attire à ses jeux,
Et las des pleurs qu’on cherche, on se laisse être heureux.

Le trèfle, qui frémit sous le pied qui le foule,
L’aubépine, qu’on frôle, et l’onde, qui s’écoule,
Sont presque des échos d’un entretien des cieux,
Que l’on ne traduit pas, mais que l’on comprend mieux.
Comme un sylphe égaré, dont la mélancolie
Caresse l’or plaintif des cordes d’Eolie,
Le rossignol caché, qui gémit dans les airs,
Fait rêver notre oreille aux célestes concerts ;
Le cri même, qui sort des joncs du marécage,
En s’adressant au cœur lui parle son langage.
Ecoutez-le toujours, ecoutez-le long-temps :
Qui sait si, près de vous, je verrai deux printemps !

Dites-moi, Maria, regrettez-vous encore
D’avoir, comme un ami, dont le conseil implore,
Du soir, que j’interprète, écouté l’humble appel ?
De nos lacs de gazon parcourant l’archipel,
N’avez-vous pas senti la nuit, qui les caresse,
Comme celle des fleurs, choyer votre faiblesse,

Et verser dans votre âme ouverte à sa beauté,
Un parfum de bonheur, et de sécurité ?
Ne vous sentez-vous pas plus forte, et plus tranquille,
Et du sang réchauffé la marche plus agile
N’est-elle pas plus libre, et plus douce à la fois,
Sous ces dômes tremblans, qu’arrondissent les bois,
Qu’auprès de ces foyers, où la flamme parjure
Semble moins dissiper, qu’attester la froidure ?
Et dites, Maria, trouvez-vous pas encor,
Que les pâles clartés de tous ces lustres d’or
Révèlent, à nos yeux, de plus riches ouvrages,
Que ceux dont nos flambeaux éclaireraient les pages ?
Lisons-les, Maria, loin des regards jaloux,
Ou parlez-moi du ciel, en me parlant de vous.
Que le temps, s’il le veut, marche dans nos demeures :
Oublions dans ces bois le voyage des heures,
Et revenons bien tard, de crainte que demain
L’ombre ne soit plus froide, et le ciel moins serein.