Confidences (Lefèvre-Deumier)/Livre II/Portrait

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PORTRAIT.


Let me for onee describe her — once — for

(Maria) hath pass’d into my memory

As’ twere some angel image, and there clings,

Liko music round the harp’s æolian strings.
Barry Cormwall.


Gentil mia donna, i’ veggio
Nel mover de’ vostri occhi un dolce lume
Che mi mostra la via ch’al ciel conduce.

Petrarca.


Dein Lacheln ist aus Sonnenschein gewebt

Dein misten Ernst aus stillem Mondenglanze,

Lust ist das Kleid, das rosig dich umschwebt,

Und Ruhe thaut aus deinem duftigen Kranze.
E. Schulze.


Ce n’est donc pas assez, Maria, qu’un miroir
Vous jette, à chaque instant, le bonheur de vous voir ;
Vous voulez que mes vers, empreints de votre image,
Arrêtent, comme lui, votre forme au passage !
Pourquoi, de Raphaël négligeant les leçons,
Vous refuser vous-même à vos vivans crayons,

Et, quand de vos pinceaux l’adroite broderie
Répète nos jardins sur leur toile fleurie,
Exiger qu’un poëte, au lieu de vous bénir,
Fasse voir, par des sons, Vos traits à l’avenir ?
Vous ne l’obtiendrez pas : copistes peu fidèles,
Nos chants, trop indécis, rendent mal leurs modèles.
Quelqu’habile qu’il soit, leur voile harmonieux,
En parlant à notre ame, embarrasse les yeux,
Et l’ombre, qu’il accuse, y vacille incertaine.
Comme vous, Maria, que l’on devine à peine,
Quand sur la harpe émue, indolemment penché,
Derrière ses accords, votre front s’est caché,
Et semble, ennuagé d’une vapeur sonore,
Un astre nébuleux, qui n’ose point éclore.

Quand j’aurais dans la voix le talent coloré
Qui peignit d’Atala le trépas inspiré,
Quand de deux arts rivaux, entrelaçant la grâce,
Mes accens, parfumés du Corrège et du Tasse,

Diraient que vos cheveux, baisés par le soleil,
De ses rayons d’automne ont le reflet vermeil,
Et que de leurs anneaux, dont la courbe soyeuse
Cache d’un large front la pâleur sérieuse,
La gaze, en s’abaissant, pourrait, si vous vouliez,
Couvrir d’un réseau d’or l’albâtre de vos pies :
Qui vous reconnaîtrait ? Chaque détail ressemble ;
Mais comment les contraindre à former un ensemble ?
Chacun groupe à son gré tous ces attraits divers,
Et le portrait manqué reste épars en nos vers.

Si votre âme candide, encor qu’un peu hautaine,
De vos yeux languissans a velouté l’ébène,
Amolli de vos traits la noble austérité,
Et, pour en adoucir la teinte de fierté,
Sur vos lèvres toujours vient jeter un sourire,
Je le dis ; mais comment esquisser sur la lyre,
Et l’éclair d’un regard, qu’on croit venir du cœur,
Et la pourpre railleuse, où glisse un ris moqueur ?

Impossible ! Les mots voilent tout d’un nuage ;
La nature, rebelle aux ruses du langage,
Échappe à ses efforts, et rit de nos combats :
L’esprit ne peint d’attraits que ceux qu’on ne voit pas.

Richesse involontaire, on peut vanter des charmes,
Dont l’éloge souvent est écrit dans nos larmes ;
Mais quel prix, à vos yeux, peut avoir cet encens,
Dont le fade tribut cherche à leurrer vos sens ?
Laissez ce vain hommage à l’orgueil qu’il caresse :
En flattant la beauté, c’est à Dieu qu’on s’adresse.
Sur votre âme plutôt interrogez mes vers ;
Et quand, armés de traits légèrement amers,
Vous les verriez, fuyant le ciel qui les attire,
Dans leur vol plus terrestre effleurer la satire,
Qu’importe ! nous savons qu’on ne vous apprend rien,
En louant des attraits que vous connaissez bien.
S’il n’est pas un regard qui ne vous en réponde,
Vous en êtes plus sûre encor que tout le monde :

Pourquoi donc m’asservir à vous les révéler ?
Vos vertus, Maria, je n’en veux point parler,
Tous ceux, qui vous verront, prétendront les connaître :
L’amour seul, plus adroit, plus clairvoyant peut-être,
Découvre des défauts, qu’on masque à tous les yeux :
Ce qu’on cache le plus est ce qu’il voit le mieux.

Si mon esprit, jaloux de montrer sa science,
Osait, une seconde, armé d’expérience,
Laisser tomber sur vous des regards indiscrets^
Sans de trop grands efforts, croyez que j’y lirais :
Une incrédulité des choses de la terre,
Qui, d’un cœur méfiant, accuse le mystère,
Et cette ambition des soins de l’amitié,
Qui se fait tout donner, pour rendre la moitié :
Un charme de douceur, qui plaît à trop de monde,
Une sincérité, qui craint d’être profonde,
Et qui, trompant l’oreille, en agaçant nos vœux,
Dérobe ses secrets derrière ses aveux :

Contre un mot, qui vous blesse, un oubli de vengeance,
Qu’on prend pour du dédain coloré d’indulgence,
Et lorsque, par hasard, vous daignez nous juger,
Moins d’adresse à guérir, que d’art pour affliger.
Jalouse avec orgueil du moindre privilége,
Vous voulez protéger, de peur qu’on vous protége,
Et tout tenir de vous, pour ne rien nous devoir :
Le bonheur, à vos yeux, a les traits du pouvoir,
Et, fière des succès, dont on vous environne,
Vous faisant préférer, sans préférer personne,
On vous voit, sans pitié, la première au combat,
Jouer mon avenir contre l’encens d’un fat…..
Triste jeu, qui finit même avant la jeunesse i
Vous dépensez mes jours, en les risquant sans cesse ;
Et qu’aurez vous gagné, quand ils seront perdus ?
Pour une ame de moins, un mensonge de plus.

Coquette ! — Maria ! pourquoi rester coquette ?
Après l’avoir brisé, penses-tu qu’on rachette

Un cœur, comme le mien, qui ne bat qu’à ton nom,
Dont toi seule es l’idole et la religion,
Qui sait, pour t’adorer, tous les mots qu’on peut dire ?
Hélas ! ce n’est pas là ce qu’une femme admire.
De conquête en conquête, ardente à s’égarer,
Elle ne songe à nous, que pour les comparer.
Qu’importe vingt façons d’exprimer que l’on aime !
Quand il change de voix, le mot n’est plus le même.
Avide, en même temps, d’hommage et de repos,
Il vous faut un amour avec beaucoup d’échos.
Comme un cygne, habitant d’un fleuve solitaire,
Qui, pour les flots du ciel abandonnant la terre,
Vole oublier, au loin, le cristal attristé,
Qui berçait, dans son cours, l’ombre de sa beauté,
Votre sexe inconstant se mire dans notre âme,
Y balance long-temps une image de flamme,
Et, quand vous avez vu le miroir enivré,
Réfléchir de vos traits le trésor adoré,
Vous allez, promenant votre errante victoire,
Dans l’encens des flatteurs en noyer la mémoire.


Ma franchise t’afflige— Oh ! ne m’en punis pas !
On peut louer tout haut ce qu’on blâme tout bas :
Et ce que j’ai blâmé, je le chéris peut-être ;
On n’est jamais parfait qu’en s’éloignant de l’être.
Dieu partout, avec art ménageant sa clarté,
Des ombres, qu’il lui prête, embellit la beauté.
Dans l’argent parfumé de leur coupe légère,
Quels Lys n’ont donné place à la brune Éphémère ?
Ne voit-on pas souvent, sans troubler les ruisseaux,
Une feuille glisser sur la gaze des eaux ?
Et l’été, dont les feux dorent nos paysages,
N’a-t-il pas, comme un voile, inventé les nuages ?
Tu le sais mieux que moi, qui les ai combattus :
C’est, grâce à nos défauts, qu’on chérit nos vertus.
Ne te corrige pas, reste avec mes reproches :
Je ne vois rien de toi, que toi, quand tu t’approches.
Je t’ai dit tout le mal que je puis en penser,
Quand ta présence est là, qui vient tout effacer.

Demeure auprès de moi, tu n’as plus rien à craindre ;
Je recommencerai, si tu veux, à te peindre ;
Ordonne, et que ta voix, conduisant mes travaux,
Suspende ton image au vol de mes pinceaux !

Non, non, je ne veux pas essayer davantage ;
Je ne veux plus tenter cet impossible ouvrage.
Quand je consacrerais un siècle à l’esquisser,
J’en passerais, peut-être, un autre à l’effacer :
J’y voudrais ajouter quelque charme suprême ;
Peut-on jamais finir un portrait que l’on aime ?
Si j’étais loin de toi, seul, avec mes regrets,
Peut-être parviendrais-je à mieux fixer tes traits :
On dit que l’infortune est un peintre fidèle,
Et qu’à travers des pleurs, on voit mieux son modèle.
Ne me condamne pas à ce fatal succès ;
Je n’aurais pas le temps d’achever mes essais.
Répudie, avec moi, ces vers dont l’imposture,
Comme une glace indigne, a terni la nature :

Ton portrait vit au cœur qui ne peut t’oublier ;
Penche-toi sur mon âme, il est là tout entier.
Comme un dernier trésor, mon souvenir le garde :
C’est un miroir sacré, qui ne ment pas… regarde !