Congrès de la Paix 1849 DISCOURS DE CLÔTURE

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Assemblée Législative 1849-1851
J Hetzel (Volume 2p. 159-162).



II

CLÔTURE DU CONGRÈS DE LA PAIX

24 août 1849.

Messieurs, vous m’avez permis de vous adresser quelques paroles de bienvenue ; permettez-moi de vous adresser quelques paroles d’adieu.

Je serai très court, l’heure est avancée, j’ai présent à l’esprit l’article 3 du règlement, et, soyez tranquilles, je ne m’exposerai pas à me faire rappeler à l’ordre par le président. (On rit.)

Nous allons nous séparer, mais nous resterons unis de cœur. (Oui ! oui !) Nous avons désormais une pensée commune, messieurs ; et une commune pensée, c’est, en quelque sorte, une commune patrie. (Sensation.) Oui, à dater de ce jour, nous tous qui sommes ici, nous sommes compatriotes (Oui ! oui !)

Vous avez pendant trois jours délibéré, discuté, approfondi, avec sagesse et dignité, de graves questions, et à propos de ces questions, les plus hautes que puisse agiter l’humanité, vous avez pratiqué noblement les grandes mœurs des peuples libres.

Vous avez donné aux gouvernements des conseils, des conseils amis qu’ils entendront, n’en doutez pas ! (Oui ! oui !) Des voix éloquentes se sont élevées parmi vous, de généreux appels ont été faits à tous les sentiments magnanimes de l’homme et du peuple ; vous avez déposé dans les esprits, en dépit des préjugés et des inimitiés internationales, le germe impérissable de la paix universelle.

Savez-vous ce que nous voyons, savez-vous ce que nous avons sous les yeux depuis trois jours ? C’est l’Angleterre serrant la main de la France, c’est l’Amérique serrant la main de l’Europe, et quant à moi, je ne sache rien de plus grand et de plus beau ! (Explosion d’applaudissements.)

Retournez maintenant dans vos foyers, rentrez dans vos pays le cœur plein de joie, dites-y que vous venez de chez vos compatriotes de France. (Mouvement. — Longue acclamation.) Dites que vous y avez jeté les bases de la paix du monde, répandez partout cette bonne nouvelle, et semez partout cette grande pensée.

Après les voix considérables qui se sont fait entendre, je ne rentrerai pas dans ce qui vous a été expliqué et démontré, mais permettez-moi de répéter, pour clore ce congrès solennel, les paroles que je prononçais en l’inaugurant. Ayez bon espoir ! ayez bon courage ! L’immense progrès définitif qu’on dit que vous rêvez, et que je dis que vous enfantez, se réalisera. (Bravo ! bravo !) Songez à tous les pas qu’a déjà faits le genre humain ! Méditez le passé, car le passé souvent éclaire l’avenir. Ouvrez l’histoire et puisez-y des forces pour votre foi.

Oui, le passé et l’histoire, voilà nos points d’appui. Tenez, ce matin, à l’ouverture de cette séance, au moment où un respectable orateur chrétien[1] tenait vos âmes palpitantes sous la grande et pénétrante éloquence de l’homme cordial et du prêtre fraternel, en ce moment-là, un membre de cette assemblée, dont j’ignore le nom, lui a rappelé que le jour où nous sommes, le 24 août, est l’anniversaire de la Saint-Barthélémy. Le prêtre catholique a détourné sa tête vénérable et a repoussé ce lamentable souvenir. Eh bien ! ce souvenir, je l’accepte, moi ! (Profonde et universelle impression.) Oui, je l’accepte ! (Mouvement prolongé.)

Oui, cela est vrai, il y a de cela deux cent soixante et dix-sept années, à pareil jour, Paris, ce Paris où vous êtes, s’éveillait épouvanté au milieu de la nuit. Une cloche, qu’on appelait la cloche d’argent, tintait au palais de justice, les catholiques couraient aux armes, les protestants étaient surpris dans leur sommeil, et un guet-apens, un massacre, un crime où étaient mêlées toutes les haines, haines religieuses, haines civiles, haines politiques, un crime abominable s’accomplissait. Eh bien ! aujourd’hui, dans ce même jour, dans cette même ville, Dieu donne rendez-vous à toutes ces haines et leur ordonne de se convertir en amour. (Tonnerre d’applaudissements.) Dieu retire à ce funèbre anniversaire sa signification sinistre ; où il y avait une tache de sang, il met un rayon de lumière (long mouvement) ; à la place de l’idée de vengeance, de fanatisme et de guerre, il met l’idée de réconciliation, de tolérance et de paix ; et, grâce à lui, par sa volonté, grâce aux progrès qu’il amène et qu’il commande, précisément à cette date fatale du 24 août, et pour ainsi dire presque à l’ombre de cette tour encore debout qui a sonné la Saint-Barthélémy, non seulement anglais et français, italiens et allemands, européens et américains, mais ceux qu’on nommait les papistes et ceux qu’on nommait les huguenots se reconnaissent frères (mouvement prolongé) et s’unissent dans un étroit et désormais indissoluble embrassement. (Explosion de bravos et d’applaudissements. — M. l’abbé Deguerry et M. le pasteur Coquerel s’embrassent devant le fauteuil du président. — Les acclamations redoublent dans l’assemblée et dans les tribunes publiques. — M. Victor Hugo reprend :)

Osez maintenant nier le progrès ! (Nouveaux applaudissements.) Mais, sachez le bien, celui qui nie le progrès est un impie, celui qui nie le progrès nie la providence, car providence et progrès c’est la même chose, et le progrès n’est qu’un des noms humains du Dieu éternel ! (Profonde et universelle sensation. — Bravo ! bravo !)

Frères, j’accepte ces acclamations, et je les offre aux générations futures. (Applaudissements répétés.) Oui, que ce jour soit un jour mémorable, qu’il marque la fin de l’effusion du sang humain, qu’il marque la fin des massacres et des guerres, qu’il inaugure le commencement de la concorde et de la paix du monde, et qu’on dise : — Le 24 août 1572 s’efface et disparaît sous le 24 août 1849 ! (Longue et unanime acclamation. — L’émotion est à son comble ; les bravos éclatent de toutes parts ; les anglais et les américains se lèvent en agitant leurs mouchoirs et leurs chapeaux vers l’orateur, et, sur un signe de M. Cobden, ils poussent sept hourras.)

  1. M. l’abbé Deguerry, curé de la Madeleine.