Connaissance de l’Est/Sur la cervelle

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Larousse (p. 171-173).

SUR LA CERVELLE


La cervelle est un organe. L’étudiant acquiert un principe solide s’il étreint fortement cette pensée que l’appareil nerveux est homogène dans son foyer et dans ses ramifications, et que la fonction en est telle, simplement, que la détermine son efficacité mécanique. Rien ne justifie l’excès qu’on impute à la matière blanche ou grise, accessoirement au rôle sensitif et moteur, de « sécréter » ainsi que bruit une apparence de paroles, l’intelligence et la volonté, comme le foie fait de la bile. La cervelle est un organe, au même titre que l’estomac et le cœur ; et, de même que les appareils digestif ou circulatoire ont leurs fonctions précises, le système nerveux a la sienne, qui est la production de la sensation et du mouvement.

J’ai employé le mot « production » à dessein. Il serait inexact de voir dans les nerfs de simples fils, agents par eux-mêmes inertes d’une double transmission, afférente, comme ils disent, ici, là efférente ; prêts indifféremment à télégraphier un bruit, un choc, ou l’ordre de l’esprit intérieur. L’appareil assure l’épanouissement, l’expansion à tout le corps de l’onde cérébrale, constante comme le pouls. La sensation n’est point un phénomène passif ; c’est un état spécial d’activité. Je le compare à une corde en vibration sur laquelle la note est formée par la juste position du doigt. Par la sensation, je constate le fait, et je contrôle, par le mouvement, l’acte. Mais la vibration est constante.

Et cette vue nous permet d’avancer plus loin notre investigation. Toute vibration implique un foyer, comme tout cercle un centre. La source de la vibration nerveuse réside dans la cervelle, qui remplit, séparée de tous les autres organes, la cavité entière du crâne hermétique. La règle d’analogie indiquée à la première ligne défend d’y voir autre chose que l’agent de réception, de transformation et comme de digestion de la commotion initiale. On peut imaginer que ce rôle est spécialement dévolu à la matière périphérique, que le substrat blanc forme comme un agent d’amplification et de composition, et enfin que les organes compliqués de la base sont autant d’ateliers de mise en œuvre, le tableau de distribution, les claviers et les compteurs, les appareils de commutation et de réglage.

Nous devons maintenant considérer la vibration elle-même. J’entends par là ce mouvement double et un par lequel un corps part d’un point pour y revenir. Et c’est là l’ « élément » même, le symbole radical qui constitue essentiellement toute vie. La vibration de notre cervelle est le bouillonnement de la source de la vie, l’émotion de la matière au contact de l’unité divine dont l’emprise constitue notre personnalité typifique. Tel est l’ombilic de notre dépendance. Les nerfs, et la touche qu’ils nous donnent sur le monde extérieur, ne sont que l’instrument de notre connaissance, et c’est en ce sens seulement qu’ils en sont la condition. Comme on fait l’apprentissage d’un outil, c’est ainsi que nous faisons l’éducation de nos sens. Nous apprenons le monde au contact de notre identité intime.

La cervelle, donc, n’est rien d’autre qu’un organe : celui de la connaissance animale, sensible seulement chez les bêtes, intelligible chez l’homme. Mais si elle n’est qu’un organe particulier, elle ne saurait être le support de l’intelligence, ou de l’âme. On ne saurait faire à aucune partie de notre corps, image vivante et active de tout Dieu, ce détriment. L’âme humaine est cela par quoi le corps humain est ce qu’il est, son acte, sa semence continuellement opérante, et, selon que prononce l’École, sa forme.