Conséquences du travail féminin

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Conséquences
du Travail féminin
 [1]

Nous avons montré, dans une précédente étude, que l’extension et le perfectionnement du machinisme, stimulés par la concurrence intérieure et extérieure des producteurs, avaient accentué l’emploi de la main-d’œuvre féminine et infantile concurremment à la main d’œuvre masculine.

Le bas prix des femmes et des enfants, facilité par l’armée (croissante) de réserve, encourage donc le capital à rejeter de plus en plus l’homme de l’usine et de l’atelier.

Il nous reste à montrer les conséquences individuelles et sociales de ce phénomène. On pourra comprendre, alors, une foule de faits en apparence bizarres ou « immoraux » et qui demeurent souvent inexplicables sans la connaissance des causes que nous mettons en lumière.

On sait que la proportion des malades a augmenté malgré les progrès de l’hygiène et les « conquêtes de la science ». En ce qui concerne les femmes, la progression peut s’expliquer, en partie, par son travail industriel qui la met en contact avec une foule de matières toxiques, par inhalation, par frottement, par transpiration, etc. Voici des preuves nombreuses de ces intoxications :

Empoisonnements professionnels. — La femme comme l’homme subit les atteintes lentes ou rapides des matières toxiques employées dans l’industrie.

Parmi ces matières, le plomb est une de celles qui fait le plus de ravages. L’intoxication saturnine se produit chez :

Les blanchisseuses. — Par la production de poussières ou de crasses (céruse, minium, mine orange), se détachant de linges souillés (indépendamment de la phtisie qui sévit durement dans cette profession pénible).

Les couturières. — Par l’emploi de fils dits chargés, manipulation d’étoiles, gazes, tarlatanes, chargées au plomb (acétate et sulfure de plomb. Litharge).

Les dentellières ; blanchisseuses de dentelles. — Par le saupoudrage au blanc de plomb et battage des fleurs dites en application (céruse).

Les ouvrières en fleurs artificielles. — Par l’inhalation de poussières toxiques provenant du saupoudrage ou détachées des fleurs, particulièrement dans l’opération du diamantage avec cristal pulvérisé (minium et oxydes de plomb dans les bagues) [2].

Les ouvrières de tréfilerie. — Par la production des buées et de matières toxiques dans la fonte de l’alliage plombifère et la confection des fils de laiton.

Les piqueuses de bottines. — Par l’affilage avec les lèvres de fils chargés de sels de plomb et le machonnage des bouts coupés (litharge, céruse, sulfure de plomb).

Les ouvrières de la miroiterie. — Dans le brossage et le ponçage ; le polissage au papier de verre (céruse, litharge).

Les empaqueteuses de tabac, de chocolat, de thé. — Dans la manipulation des feuilles d’étain plombifère (crasses toxiques sur les doigts et sur les ongles).

Signalons encore parmi les ouvrières exposées au saturnisme :

Les ouvrières employées à l’étamage, au plombage, à la chaudronnerie ; les tailleuses de limes ; les ouvrières de la verrerie et de la vitrerie ; les cartonnières, les broyeuses de couleurs, les collectionneuses de papiers à cigarettes, les vernisseuses de laqués, les typographes, les tisseuses et les dévideuses (minium, chromate de plomb), les lamineuses de plomb, les ouvrières des fabriques de céruse, de papiers moirés, d’épingles, de tôle émaillée, de crayons colorés, de papiers peints (sulfure, acétate de plomb).

Les ouvrières de filatures sont particulièrement atteintes par le chromate de plomb. Dans le coton teint en flotte venant des teintureries de Lyon, Roubaix et Rouen, on a trouvé 10 % de chromate de plomb ; dans la bourre qui se détache au cours de la manipulation 18 %, et dans la poussière lourde ramassée sur le sol de l’atelier, 44 % [3].

Le Dr Proust signale aussi des accidents plombiques chez des tisseuses de coton par suite de l’addition de céruse aux apprêts pour augmenter le poids du tissu.

Le Dr Robert Smith a constaté une véritable épidémie d’intoxication saturnine dans une filature de coton où l’on fabriquait une étoffe de couleur rouge, au moyen de fils teints au bichromate de plomb. Il se dégageait une épaisse poussière jaune pendant la manœuvre des métiers [4], etc., etc. [5].

Voici un tableau concernant la population ouvrière occupée à des travaux qui comportent des manipulations du plomb dans les fabriques de faïence et de porcelaine du district de North-Stafford en 1898 (Report on the employment of lead in manufactures, etc., by Professor Thorpe and Professeur Thom Oliver, Londres, 1899, Livre bleu C. 9.207.)

Empoisonnement par le plomb
TRAVAUX NOMBRE
d’ouvriers
de cas de plombisme
sexe masculin sexe féminin ouvriers p. 100 ouvrières p. 100
Trempage 
495 81 41 8,2 7 8,6
Service des trempeurs 
518 107 20 3,9 19 17,8
Nettoyage des céramiques 
105 458 1 1,0 58 12,7
Pose des couvertes 
1 805 46 48 2,6 1 2,0
Décoration majolique 
» 295 » » 31 10,5
Pose des fonds de couleur 
89 382 10 11,3 45 11,8
Poudrage en couleur et lithocéramique 
16 154 10 62,5 32 20,8
Travaux divers 
95 57 22 23,5 3 5,3
  3 123 1 580 152 4,9 196 12,4

Nous voyons que la proportion des cas est de 4,9 % chez les ouvriers et 12,4 % chez les ouvrières.

Dans le même district et pendant les années 1896, 1897, 1898, il y a eu 1 085 cas de plombisme, 478 du sexe masculin, 607 du sexe féminin. Et sur ce nombre on compte 135 enfants au-dessous de 18 ans, 57 garçons, 78 fillettes.

On peut être assuré que la proportion est la même en France et ailleurs. Et il ne s’agit que de la faïence et de la porcelaine. Qu’on juge de la destructivité organique causée par le seul plomb !

On sait que la proportion des femmes dans l’imprimerie a augmenté d’une manière extraordinaire. Or « on est en droit de considérer l’absorption plombique comme un facteur important dans la fréquence et la gravité des maladies de poitrine, de la phtisie, en particulier, et des affections nerveuses, chez ces ouvriers. »

L’analyse des poussières de l’air dans les imprimeries de Berlin a donné les résultats suivants : dans l’imprimerie de l’État, l’échantillon prélevé à une hauteur de 10 centimètres au-dessus du planchera donné 0,89 % de plomb ; sur le composteur à 52 centimètres au-dessus du plancher, il y en avait 1,73 % ; sur un autre meuble à 2m,25 du plancher 0,62 %. En moyenne la poussière d’imprimerie contient 1,6 % de plomb [6].

Le docteur Choquet signale chez les typographes au bout d’un temps assez long, un affaiblissement de la sensibilité digitale quelquefois accompagné de tremblements musculaires limités aux parties agissantes et qui s’exagèrent par la fatigue à la fin de la journée. À un degré plus avancé, surviennent des fourmillements dans les doigts, précurseurs de la paralysie des extenseurs.


Intoxication mercurielle : Travaux féminins [7]


PROFESSIONS TRAVAIL OU GENRE d'opération exposant plus particulièrement à l’intoxication MODE de VÉHICULATION ou de pénétration du poison NATURE de la substance toxique
Ouvrières des fabriques de produits chimiques. Emploi des sels de mercure dans la préparation des couleurs d’aniline. Rouges de mercure. Enduits, éclaboussures et crasses toxiques. Azotate de mercure. Sublimé corrosif. Iodure et sulfure de mercure, etc.
Ouvrières des fabriques de jouets coloriés. Manipulation de rouge de mercure. Crasses et poussières toxiques. Cinabre, Vermillon, etc.
Étameuses de glaces et polisseuses de miroirs. Transports des bains. Mise en tain des glaces. Révivification de l’étain contenu dans les regratures et avivures, etc. Crasses, poussières ; vapeurs émises à basses et hautes températures. Mercure divisé ou volatilisé. Amalgames d’étain.
Coloristes de fleurs artificielles. Manipulation des couleurs à base de mercure. Crasses, poussières. Bisulfure, biiodure et bichromate de mercure.
Ouvrières de la bijouterie et de l’orfèvrerie. Traitement à chaud des amalgames d’or pour revivifier ce métal. Vapeurs émises à haute température. Mercure volatilisé et condensé par absorption.
Ouvrières teinturières. Etc., etc. Emploi du sublimé corrosif comme mordant dans la teinture des plumes. Trempage dans les bains de préparation. Crasses, poussières et éclaboussures toxiques. Bichlorure de mercure.

Laissons le saturnisme, que nous sommes loin devoir épuisé, pour parler des effets de :

L’Hydrargyrisme : Il atteint plus les femmes que les hommes, dit le Dr Proust : « Sur 100 ouvriers, 80 souffrent d’accidents, et on remarque que les jeunes femmes sont emportées en plus grand nombre que les jeunes gens. »

Au nombre des professions (nombreuses) où le travailleur se trouve exposé à l’intoxication mercurielle, citons celles-ci qui comprennent un grand nombre de femmes : Ajoutons, que le rachitisme (Kusmaül) et la phtisie (Stickler) ont été considérés comme des dégénérescences auxquelles conduit soit directement chez les ouvriers eux-mêmes, soit indirectement chez leurs descendants, l’intoxication mercurielle professionnelle.

D’après le Dr Proust les phénomènes nerveux qui accompagnent l’hydrargyrisme se présentent sous les trois formes suivantes :

1° Le tremblement mercuriel proprement dit ;

2° Le tremblement mercuriel avec convulsions et douleurs ; c’est cet ensemble de troubles, phénomènes convulsifs, douleurs plus ou moins vives, qui constitue un des caractères principaux de l’état que l’on appelle, en Espagne, calambres ;

3° La paralysie mercurielle avec altération de l’intelligence.

L’un des métiers où l’intoxication mercurielle est la plus violente est celui des coupeurs de poils de lapin dans la chapellerie. Or les femmes sont assez nombreuses dans cette profession. Celles qui sont occupées au secrétage, au brossage, et au coupage. L’immersion constante des mains dans la solution de nitrate acide de mercure et les vapeurs qui s’échappent de l’étuve sont des causes puissantes d’intoxication. Outre les excoriations des mains et les altérations de la peau, parfois rebelles, que produit le contact prolongé de la solution, ces ouvrières sont souvent atteintes d’un tremblement pouvant acquérir une violence étonnante [8].

En même temps que les accidents nerveux, les troubles nutritifs s’accentuent et aboutissent à une déchéance de tout l’organisme constituant la cachexie mercurielle. La face est pâle, terreuse, bouffie ; il y a de l’œdème des extrémités, une inappétence absolue, une soif ardente, des vomissements, de la diarrhée dysentériforme. Dans ces conditions la malade ne tarde pas à succomber, soit au progrès de l’anémie et de l’affaiblissement, soit à une infection secondaire, soit à la tuberculose qui la guette. On a même décrit une phtisie hydrargyrique. Ce qu’il y a de certain, c’est que la phtisie est plus fréquente chez les ouvriers hydrargyrisés. D’après Kussmaül, à Arlangen, la proportion des phtisiques aurait été chez eux de 71 %, tandis qu’elle n’était que de 22 % chez les autres malades [9].

Arsenicisme. — Les travaux féminins dans lesquels la manipulation de l’arsenic ou de ses composés, entre en proportion considérable sont très nombreux.

Les docteur Gubler et Napias se sont occupé de la toxicité de cette substance et ont relevé les professions atteintes.

À son tour, le docteur Layet a repris le même travail en 1894.

Du tableau qu’il a dressé nous extrayons les professions suivantes qui concernent le travail féminin : fabrique de papiers peints, dans le broyage et l’étendage des couleurs ; le fonçage, le satinage, le découpage des papiers, et enfin le veloutage des papiers dits de Tontisse. Empoisonnement par action cutanée, par l’inhalation des poussières toxiques, par l’absorption buccale. (Arsénites et arséniates).

Feuillagistes et fabricants de feuilles artificielles, par le trempage et le poudrage des herbes desséchées ; par l’apprêtage des étoffes, le découpage des feuilles et le montage des bouquets artificiels. Empoisonnement par les modes précédemment décrits. (Arsénite de cuivre et fuchsine arséniée) (10).

Fabrication d’abats-jour, de vert de cartes à jouer, de cartons peints, de capsules en papier pour flacons dans le maniement et le découpage des papiers. Empoisonnement par les poussières toxiques de l’arsénite de cuivre (vert de scheele).

Couturières, dans le façonnage d’étoffes arsénifères (tarlatane et gaze verte). Action des solutions, enduits et poussières toxiques de l’arsénite de cuivre [10].

Teinturières et apprêteuses d’étoffes dans l’étendage et l’application du mélange colorant, par le contact avec les mélanges et dissolutions toxiques (Arsénite de cuivre).

Bijoutiers, dans le décapage des bijoux avec acides impurs par l’inhalation de gaz toxique (hydrogène arsénié).

Fabricants de crayons colorés dans le délayage de la couleur toxique, dans la solution gommée de l’absorption des poussières et mélanges toxiques (Arsénite de cuivre).

D’après le Docteur Proust, la forme chronique de l’empoisonnement est caractérisée « par de l’inappétence, de la céphalagie, des nausées, quelquefois des vomissements, des selles diarrhéiques, parfois sanguinolentes, des douleurs erratiques, de l’affaiblissement, de la pâleur ; la fièvre s’allume et ces symptômes peuvent acquérir une gravité réelle si la cause n’est éloignée sans retard… Souvent aussi il se produit des irritations des yeux ; les fosses nasales sont habituellement altérées ; elles sont le siège d’hémorragies ; les orifices des narines présentent des excoriations crouteuses, et la perforation de la cloison a été constatée. Quelquefois aussi les bronches sont irritées, il y a de l’enrouement et une toux sèche. Enfin on a observé des vertiges, des douleurs généralisées, une paralysie incomplètedu mouvement affectant surtout la forme paraplégique, une teinte terreuse de la peau et de l’amaigrissement ». (Traité d’hygiène, p. 281) [11]

Phosphorisme. — La fabrication des allumettes chimiques comprend, en dehors des opérations préalables qui ont pour but la mise ou montage en cadres des billes d’allumettes, et leur souffrage :

1° La préparation de la pâte phosphorée ;

2° Le trempage des allumettes ou chimicage ;

3° Le séchage ;

4° Le dégarnissage des cadres ou dépressage ;

5° Le triage, la mise en boîtes et l’empaquetage.

« Toutes ces opérations, dit Layet, donnent lieu à un dégagement plus ou moins notable de vapeurs phosphorées. La manipulation directe de la substance nuisible, avant, pendant ou après la fabrication proprement dite, rend cette industrie singulièrement dangereuse pour les ouvriers, pour les ouvrières surtout, qui forment dans les fabriques la majeure partie du personnel employé ». (Encyclopédie d’hygiène, t. VI, p. 509.)

Les ouvrières des fabriques d’allumettes sont particulièrement exposées à la nécrose phosphorée. En Allemagne, où les femmes sont en très grande majorité, c’est parmi elles qu’on observe le plus grand nombre de cas.

Ainsi, de Bibra et Geist, sur 53 cas qu’ils ont rassemblés et empruntés aux auteurs allemands, ont trouvé 48 femmes et seulement 5 hommes ; tandis que M. Trélat réunissant 71 cas, presque tous observés en France, moins 13, est arrivé à des rapports presque égaux entre les deux sexes, 36 femmes et 35 hommes.

Depuis quelques années, les nécroses sont beaucoup moins fréquentes qu’elles ne l’étaient il y a trente ans au moment où Lorinser et Strohl appelèrent les premiers, l’attention sur cette affection.

Nous devons noter que depuis le 1er octobre 1898, on n’emploie plus le phosphore blanc dans les fabriques d’allumettes.

Le médecin attaché à ces manufactures prétend que tout danger d’intoxication a disparu. Le phosphore blanc des anciennes allumettes a été remplacé par le sesquisulfure de phosphore. Néanmoins, quoique faible, la toxicité de ce produit est réelle.

Oxycarburisme. — Les cuisinières, les teinturières, les fileuses, les étameuses, les repasseuses, les tailleuses (qui se servent de fers très chauds pour le rabattage des coutures, etc.) sont particulièrement exposées à l’oxycarburisme.

Voici, d’après le docteur Brouardel, les effets du gaz oxyde de carbone : « l’anémie, qui s’affirme de plus en plus, malgré une sorte d’assuétude apparente ; elle s’accompagne de cyanose de la face, de céphalalgie, de vertiges, de ralentissement du pouls et de la respiration, de l’abaissement de la température, de troubles gastro-intestinaux, et enfin de phénomènes nerveux (Layet).

Brouardel divise en deux groupes, selon que ces troubles suivent immédiatement l’intoxication ou qu’ils ne se présentent que plus tard, sans avoir été précédés par les premiers.

Dans le premier groupe, c’est-à-dire consécutivement à un coma plus ou moins prolongé, les patients peuvent présenter un état qui simule l’ivresse ou ses suites ; l’individu est hébété, il ne se souvient de rien, et cela quelquefois pendant un certain temps. Il peut y avoir aussi des troubles de la mobilité.

Au congrès d’hygiène de Turin, le docteur de Beauvais a insisté sur la longue durée de la perte de la mémoire et sur la persistance de l’insomnie, malgré les narcotiques.

Le deuxième groupe est constitué par les paralysies. L’intelligence peut être très profondément affectée, au point de constituer un véritable état de démence.

La dermatite des dévideuses ou fileuses de cocons de vers à soie. — L’immersion fréquente des mains dans une eau chaude qui ne tarde pas à se charger de substances organiques et de la matière agglutinante des cocons provoque chez les ouvrières une affection spéciale bien décrite par Potton (1853) sous le nom de mal de vers ou de bassine.

L’action de l’eau chaude, dit le docteur Layet, surtout savonneuse, en ramollissant l’épiderme, en congestionnant et en irritant le derme des mains, prédispose sans aucun doute aux effets de la matière organique infectieuse à laquelle doivent être attribuées les manifestations éruptives les plus graves.

Voici d’après Potton les symptômes des trois degrés : Premier degré : Teinte érythémateuse plus marquée entre les doigts ; tuméfaction, douleur cuisante, chaleur âcre ; marbrures, plaques brunâtres à la peau, soulèvement de l’épiderme ; vésicules miliaires, quelquefois bulles remplies de sérosité claire s’épaississant, se troublant, puis devenant visqueuses : tous les mouvements sont pénibles.

Les ouvrières continuant leur travail, les vésicules se crèvent, et un soulagement momentané, d’autrefois permanent en résulte. Les symptômes s’amendent, l’inflammation et la douleur disparaissent.

Durée, sept à huit jours.

Deuxième degré ou période pustuleuse : Les vésicules se changeant en pustules, ou bien de véritables pustules se montrent primitivement. Elles peuvent s’étendre sur tous les doigts ; mais c’est surtout entre le médius, l’indicateur et le pouce de la main droite qu’elles sont disséminées. Elles se répandent aussi sur le dos et sur la face interne. Tout mouvement des doigts occasionne des souffrances aiguës ; il est impossible de les plier complètement. Au bout de cinq à six jours, les pustules arrivent à-terme. Dès ce moment toute souffrance cesse, l’évacuation du pus et la dessication commencent. Mais, le plus souvent, par l’imprudence et l’insouciance des divideuses, la maladie n’est point ordinairement guérie ; ils survient d’autres boutons qui prolongent la durée de tous les accidents.

Durée : quinze à dix sept jours.

Troisième degré : Chez quelques, personnes, le mal de vers prend un caractère très fâcheux. D’apparition des pustules s’accompagne d’inflammations plus profondes ; le tissu sous-cutané est envahi ; gonflement énorme et déformation des doigts, de la main ; tuméfaction œdémateuse jusqu’au bras : engorgement et endolorissement.

Nous bornons ici ce tableau très abrégé des empoisonnements qui résultent d’un nombre considérable de professions exercées par la femme. Il faudrait citer encore le sulphydrisme (dans les savonneries, les raffineries — noir animal — , les produits chimiques, les tanneries, etc.), l’intoxication par l’acide carbonique par exemples chez les fabricants de papier, dans les ateliers de fermentation de la colle où les ouvrières sont atteintes de céphalalgie et des troubles des sens, etc., etc.) On verrait que les ravages causés par le travail sont effroyables et que la plupart des usines sont des antichambres d’hôpitaux.

Morbidité. Avortements. Dégénérescence. — En ce qui concerne le sexe, quel que soit son âge, dit le docteur Poincaré, la femme ne doit pas être soumise au même régime industriel que l’homme, car elle offre beaucoup moins de résistance que lui et donne plus facilement prise à tous les germes morbides. Il faut surtout songer qu’avec elle la propagation de l’espèce et la valeur des générations futures se trouvent plus particulièrement compromises, et que par conséquent ce n’est pas seulement l’intérêt individuel qui est mis en jeu mais encore l’intérêt national. En effet l’intoxication industrielle détermine spécialement l’avortement, les accouchements prématurés ainsi que la fréquence des mort-nés, et devient ainsi une des grandes causes de la dépopulation. En tout cas les survivants viennent apporter en eux, à une plus haute puissance, la détérioration paternelle, contribuant ainsi pour une large part à la déchéance de l’espèce humaine et à l’affaiblissement de la force nationale [12].

En voici des preuves éloquentes :

Nicotisme. — C’est partiellement par les poussières dégagées pendant la manipulation du tabac que l’intoxication ni coti nique se produit chez les ouvrières des manufactures.

Les manufactures de tabac en France occupaient en 1898 16 660 ouvriers (dont 1 150 hommes et 15 100 femmes).

Dans une communication à la Société de médecine publique, M. le docteur Delaumay a communiqué les résultats de l’enquête qu’il avait faite chez plusieurs sages-femmes du quartier du Gros-Caillou, qui assistaient beaucoup d’ouvrières de la manufacture de tabac de la rue Jean-Nicot. D’après la première, « le tabac à la réputation de provoquer des fausses couches persistantes ». Cette opinion est tellement accréditée dans la manufacture, que quelques ouvrières qui peuvent suspendre leur travail, cessent daller à l’atelier dès qu’elles deviennent enceintes. La sage-femme en question a soigné trois femmes qui faisaient des fausses couches quand elles étaient à la manufacture et qui n’en font plus depuis qu’elles l’ont quittée. L’une de ces femmes, qui avait déjà fait deux fausses couches, alors qu’elle était à la manufacture, étant devenue enceinte pour la troisième fois, a cessé de fréquenter l’atelier au cinquième mois de sa grossesse ; l’enfant est venu à terme, mais est mort peu de temps après sa naissance.

La même femme ayant changé de profession a eu depuis un quatrième enfant qui est très bien portant. (Revue d’hygiène 1880, p. 217).

Les deux autres sages-femmes ont insisté sur ce que les ouvrières avaient des grossesses difficiles.

De son côté, M. le docteur Gaston Decaisne a indiqué qu’en recherchant la cause des fausses couches, soignées au service d’accouchement de la Charité, il avait bien des fois constaté qu’il s’agissait d’ouvrières de la manufacture des tabacs du Gros-Caillou. (Revue d’hygiène 1880, p. 228).

Quant aux ouvrières des manufactures de tabac, dit M. Goyard, on ne saurait méconnaître que la plupart sont plus ou moins influencées pendant leurs grossesses par les émanations toxiques qu’elles respirent. Il y en à qui ne parviennent jamais à mettre au monde un enfant vivant. » (Revue d’hygiène, 1880. p. 225).

M. Quinquand, médecin des hôpitaux, a constaté que les ouvrières de la manufacture de tabac de la rue Jean-Nicot étaient sujettes aux fausses couches. Il a cité l’observation d’une femme qui a fait trois faussas couches pendant son séjour à la manufacture et qui, depuis qu’elle est sortie de cet établissement, a eu trois enfants tous bien portants. (Revue d’hygiène 1880, p. 900).

Dans un mémoire lu au Congrès d’hygiène de Turin, M. le docteur Jacquemart, de Paris, dit avoir trouvé une moyenne de 45 avortements sur 100 grossesses relevées chez des ouvrières du tabac. (Revue d’hygiène 1880, p. 36).

La disposition aux avortements ne serait pas le seul méfait de la nicotine et son action pernicieuse frapperait les nouveaux-nés des cigarières de débilité congénitale. Dans son travail déjà ancien (1868), M. Kostial avait fait remarquer que la mortalité des enfants des cigarières était, pendant la première année, le double de la mortalité ordinaire. Cette opinion ancienne, relative à la faiblesse des enfants mis au monde par les ouvrières en tabac, a été affirmée à la Société de médecine publique. (Revue d’hygiène 1880, p. 221). Deux sages-femmes du bureau de bienfaisance du quartier du Gros-Caillou ont déclaré au docteur Delaunay que ces enfants ne s’élevaient pas bien et mouraient en grand nombre ; mêmes renseignements lui ont été donnés à la crèche.

M. le docteur Thévenot tient d’une sage-femme du bureau de bienfaisance, interrogée au cours d’une enquête faite avec M. Napias, que le nombre des enfants qui meurent dans la première année est beaucoup plus grand chez les femmes de la manufacture que chez les autres femmes. (Revue d’hygiène 1880, p. 225).

Le docteur Sarré a constaté que les enfants des cigarières meurent en grand nombre. M. le docteur Quinquand a remarqué que ces enfants sont maigres.

D’après M. Goyard, les nouveaux-nés des ouvrières des manufactures de tabac présentent tous sans exception, mais à des degrés divers, des signes qui, même aux yeux les moins exercés, les différencient aisément de la majorité des autres enfants : « Ils sont chétifs, d’une pâleur blême, irritables, difficiles à élever. Dans les épidémies ce sont les premiers frappés, ils supportent très mal les épreuves de la dentition, ils sont sujets plus que les autres à contracter les maladies de leur âge, et une fois atteints, ils n’offrent aucune résistance ; et l’on peut attribuer à la grande dépression de leur système nerveux, la fréquence des convulsions soit idiopathique, soit symptomatiques, qui les atteignent. Ils meurent en grand nombre. (Revue d’hygiène 1880, p. 226).

M. le docteur Étienne, de Nancy, a constaté que la mortalité des enfants des ouvrières en tabacs est supérieure au double de la mortalité infantile dans l’ensemble de la mortalité ouvrière. (Annales d’hygiène 1897, tome Ier, p. 526).

Mais l’action de la nicotine s’étendrait plus loin, et sa présence ( ?) dans le lait aurait la plus pernicieuse influence sur la santé des nourrissons.

Les sages-femmes interviewées par M. le docteur Delaunay lui ont dit que le tabac tarit le lait des nourrices qui est clair et moins riche qu’à l’état normal. Le docteur Sarré, qui est attaché au bureau de bienfaisance du quartier du Gros-Caillou depuis vingt-six ans, conseille aux mères de sevrer leurs enfants. (Revue d’hygiène 1880, p. 37).

D’après M. Quinquand, les enfants des « tabatières » ont, après chaque tétée, des coliques et même de petits accidents nerveux.

Les mères des enfants qui sont soignés à la rue de Grenelle-Saint-Germain et les gardiennes de la même crèche sont unanimes à dire, qu’après avoir tété, les enfants ont des coliques. De plus, leurs selles sont couleur vert-de-gris. À la manufacture de la rue Jean-Nicot, il est de notoriété que « le tabac ôte le lait » et que « les tabatières ont moins de lait que les autres femmes ».

Au dire des sœurs de la crèche de Bercy, les enfants des « tabatières » que leurs mères viennent allaiter à midi, ne s’endorment pas après la tétée, comme les autres enfants et ont des coliques et même de petites convulsions. (Revue d’hygiène 1880, p. 225).

M. le docteur Jacquemart a constaté que les enfants des ouvrières des manufactures de tabac nourris par leurs mères ont présenté une mortalité de 10 p. 100 plus élevée que ceux nourris au biberon. (Revue d’hygiène 1880, p. 900).

D’après le docteur Étienne, de Nancy, le pronostic est effrayant pour les enfants qui continuent à être allaités au sein maternel lorsque la mère est rentrée à la manufacture ; au contraire, il est très favorable pour ceux qui sont élevés au sein maternel sans que la mère ait repris son travail. La mortalité est notablement moindre chez les enfants nourris au sein maternel jusqu’au moment de la rentrée de la mère, puis, à partir de ce moment, élevés simultanément au sein maternel et au biberon, ou bien au biberon exclusif. (Annales d’hygiène 1897, tome Ier, p. 526) [13].

Un nombre considérable de maladies des femmes, dans la classe ouvrière, résulte de l’absence de soins et de repos après l’accouchement. Dans les Facultés de médecine on enseigne que :

La femme accouchée doit être alimentée comme à l’ordinaire ; pendant les 24 ou 48 heures qui suivent l’accouchement on lui fait prendre des grogs légers, et on lui donne à boire en quantité suffisante pour la désaltérer. Combien doit durer ce séjour (au lit) ? Ce n’est en moyenne que du dix-huitième au vingt-cinquième-jour, lorsqu’elle ne perd plus de sang et lorsque l’utérus est devenu organe pelvien, que la femme peut se lever sans grand inconvénient. Sans doute ce n’est qu’à une époque plus tardive que l’involution utérine est complète. Lorsque la femme commence à se lever, il faut au moins que pendant une huitaine, elle prenne des précautions, ne reste pas trop longtemps debout, et qu’à plusieurs reprise dans la journée elle garde la situation horizontale. Au bout de vingt-huit ou trente jours, on peut l’autoriser à sortir et à reprendre ses occupations. » [14]

La femme ouvrière, surtout si elle est veuve (ou isolée), si elle est fille-mère, ce qui est de plus en plus fréquent, en d’autres termes, si elle n’a pas un associé (mari, amant ou protecteur), capable de l’aider matériellement, — doit forcément renoncer à observer ces prescriptions médicales.

Nous savons d’après les documents statistiques relevés dans les Hôpitaux et les Maternités, que la plupart des ouvrières accouchées retournent à leurs travaux entre le septième et le douzième jour qui suit leur délivrance. Quelques-unes retournent plus tôt, entre le troisième et le cinquième jour.

La nécessité du travail l’exige. Il est si facile de perdre sa place quand il y a tant d’inoccupées ! Et c’est là une cause importante d’infirmités, anémie, maladies de l’utérus, etc., et finalement de dégénérescence.

Le comte Albert de Mun (en 1890) avait déposé à la Chambre des députés, une proposition ainsi conçue :

« Les femmes ne peuvent être admises au travail que quatre semaines après leur accouchement. » Cette proposition si naturelle par rapport à la femme considérée comme individu libre, était absolument anormale par rapport à la femme-ouvrière. Aussi souleva-t-elle des objections sérieuses, et le comte de Mun fut obligé lui-même de la retirer.

« Savez-vous à quels résultats vous allez arriver avec votre loi ? déclarait M. Desprès. C’est que les filles-mères employées dans les fabriques se feront avorter pour ne pas perdre quatre semaines de travail. »

Rien de plus juste, en effet. Mais le député qui répondait cela, comprenait-il toute la gravité de ses paroles ? Voyait-il tout le sens de cette antinomie ? L’ouvrière-mère se trouve donc dans cette alternative : éviter l’infirmité en gardant le lit, mais en perdant son travail, ou se faire avorter, pour conserver son travail, afin de se soustraire à une loi qui la protégerait en ne la protégeant pas !

M. Constantin Paul a constaté que les ouvrières qui manient les composés plombiques ont de fréquentes métrorrhagies qu’il considère comme cause des avortements.

Sur 27 grossesses, survenues chez 5 femmes, intoxiquées par le plomb, M. Constantin Paul signale 22 avortements, 4 enfants morts, 1 seul vivant.

Sur 43 grossesses dans le même cas, 32 fausses-couches, 3 mort-nés, 2 vivants mais chétifs. Une femme qui avait fait 5 fausses-couches quitta sa profession et eut un bel enfant. Selon que, les femmes quittaient ou reprenaient alternativement leur état, les enfants vivaient ou mouraient.

Sur 141 grossesses par pères saturnins : 82 avortements, 4 avant-termes, 5 mort-nés. Sur les 50 vivants : 20 morts de 1 jour à 1 an, 15 de 1 an à 3 ans.

14 vivaient, mais 4 seulement avaient passé 3 ans, époque à laquelle les enfants peuvent être regardés comme ayant échappé à cette cause de mort [15].

M. Roque, dans une série d’observations puisées à la Salpétrière et à Bicêtre a constaté des cas nombreux d idiotie, d’imbécillité, d’épilepsie des enfants nés de parents saturnins non alcooliques. Ces parents ayant changé d’état et s’étant guéris de leur intoxication plombique, ont eu plus tard, d’après cet auteur, des enfants sains et bien portants.

« L’intoxication mercurielle, dit M. Proust comme l’intoxication saturnine exerce une influence fâcheuse sur le produit de la conception, »

Goëtz relate le fait d’un enfant atteint d’un tremblement congénital. Il est né lorsque sa mère était affectée de ce tremblement. Aldinger a cité des cas qui montrent que plusieurs membres d’une famille, tous dans de bonnes conditions de santé, unis à des femmes également bien portantes ont mis au monde des enfants sains et vigoureux ; tandis que les autres membres de cette famille, ayant épousé des sujets mercurialisés, ont procréé des enfants malingres et chétifs.

En outre, des enfants, de naissance antérieure à ce travail des parents, étaient bien portants, et ceux qui étaient nés depuis le travail au mercure, étaient dans de mauvaises conditions.

Il résulte des recherches de M. Lizé du Mans que l’influence du mercure, transmise par le père à l’enfant est aussi réelle que lorsque c’est la mère qui a été exposée à ces émanations [16]. En outre, l’influence est encore plus fatale aux produits quand le père et la mère ont éprouvé simultanément l’influence du mercure. Kussmaül et Keller ont constaté des avortements chez les femmes maniant le mercure, et leurs enfants, frappés de faiblesse congénitale, souvent atteints de rachitisme, succombaient très promptement. (Cité par le Dr Proust) [17].

Tuberculose d’origine professionnelle. — Il est de mode aujourd’hui de guerroyer contre la tuberculose. Mais sait-on que le travail est une des principales causes de cette maladie ? Sans doute, les philanthropes et les moralistes l’ignorent, car ils comprendraient tout de suite l’inanité de leur campagne.

Le sexe, dit le Dr Jayet, n’a aucune influence par lui-même. Si, dans certaines statistiques, il y a plus d’ouvriers atteints que d’ouvrières, c’est que les professions comportent plus des uns que des autres. Mais, quand les occupations professionnelles soumettent les femmes à la vie confinée, à la sédentarité, aux attitudes de travail défectueuses, à la promiscuité morbide, elles conduisent à la consomption pulmonaire, plus rapidement peut-être que dans les professions masculines. Les couturières, les dentellières et brodeuses, les compositrices d’imprimerie, les ouvrières des manufactures de tabac, etc., offrent, suivant les conditions professionnelles de milieu et de fréquentation suspecte, un chiffre proportionnel de phtisiques plus ou moins élevé.

Mélier avait prétendu que le séjour dans une fabrique de tabac arrêtait le développement de la tuberculose. C’est là une opinion absolument erronée. Certains observateurs (Poisson, Merkel, etc.) considèrent, au contraire, la tuberculose comme la maladie la plus fréquente des ouvriers en tabac ; or cela est vrai surtout pour les ouvrières (Eulenberg).

Les employés de bureau, les garçons et filles de magasin présentent, à cet égard, les plus grandes chances de contamination.

M. Marfan (1889) a relaté une épidémie de tuberculose chez des employés de bureau dans une grande administration de Paris. Cette épidémie eut pour point de départ un premier malade qui, pendant trois ans, avait travaillé dans le bureau. Sur vingt-deux employés appelés à séjourner avec lui ou après lui dans le même local, quatorze ont également succombé à la phtisie en l’espace de dix ans. Ces employés avaient au moins deux ans, plusieurs sept et vingt ans de présence dans le bureau. La maladie se communiquait par les poussières virulentes fournies par les crachats que le balayage du matin, pratiqué souvent en présence des employés, venait remuer et soulever autour d’eux.

La mauvaise hygiène privée, la misère domestique, le surmenage, les excès de tout genre sont autant de facteurs dont il faut tenir compte, mais qui ne sont pas le fait de la profession elle-même.

L’intempérance, l’alcoolisme jouent aussi un rôle important, en tant qu’agents de déchéance organique et causes prédisposantes. C’est ainsi que la phtisie est très fréquente chez les bouchers (en Angleterre comme en Suisse), non pas dès le début, mais à partir de trente à trente-cinq ans, par le fait même de leur intempérance et de la dégénérescence constitutionnelle qui en résulte. Il en est de même pour les boulangers.

Les intoxications professionnelles sont, elles aussi, une cause de prédisposition ou d’aggravation dans les cas d’imminence morbide. Leudet, de Rouen, a signalé, en 1879, le développement rapide de la tuberculose chez les ouvriers saturnins chroniques, en même temps que son évolution rapide vers une terminaison funeste.

Kerchenmeister, en 1875, a constaté la très grande fréquence de la tuberculose pulmonaire chez les ouvriers des industries de Furth (un cas sur cinq ou six ouvriers) : aussi bien chez les ouvriers des fabriques de papiers peints, soumis à l’intoxication arsenicale, que chez les ouvriers des fabriques de glaces, soumis à l’intoxication mercurielle, que chez les ouvriers fabricants de bronze employés à la pulvérisation du métal, soumis à l’intoxication saturnine. W. Ogle a également signalé les ravages que fait la phtisie chez les ouvriers employés dans les mines d’étain, de cuivre et de plomb dans la Cornouaille, alors que cette affection est rare chez les mineurs de fer, plus rare encore chez les mineurs de charbon [18].

Voici un extrait d’un tableau relevé par Hirt sur la fréquence de la phtisie dans certaines professions. (Nous avons pris celles où la main-d’œuvre est considérable) :

Professions Proportion
p. 100 de cas
de phtisie.
Nombre de
malades
relevé.
Proportion p. 100
de maladies
de poitrine.
Empointeurs d’aiguilles 
69,6 ? ?
Fabricants de limes 
62,2 29 91,8
Lithographes 
48,5 36 75,4
Ébarbeurs 
36,9 38 86,8
Ouvriers en tabac 
36,9 114 60,7
Polisseurs de verre 
35 ? 70
Vernisseurs 
25 68 67
Etc. 

Presque toutes les piqueuses qui travaillent tous les jours à la machine souffrent de tintements d’oreilles, de coliques, de palpitations de cœur, ou bien sont atteintes de maladies de reins ou de poumons, quelquefois de phtisie.

Les comptes rendus de la Caisse berlinoise (caisse de secours en cas de maladie) pour les tailleurs, hommes et femmes, en fournissent la preuve : de 1885 à 1893, 56,34 % des membres succombèrent à la phtisie. Dans la même période la Caisse de secours des tailleurs comptait 53,3 % de ses membres morts de phtisie, et la Caisse de secours des couturières en comptait 58,24 % [19].

Insuffisance de l’alimentation. — Les bas salaires — principalement les salaires féminins — ont pour conséquence la restriction de tous les besoins essentiels de l’organisme.

À la destructivité du travail qui est, nous venons de le voir, une des principales causes des progrès de la phtisie, il convient d’ajouter l’insuffisance et la mauvaise qualité des aliments dont les classes ouvrières font usage. « L’alimentation insuffisante, ou de mauvaise qualité, est une cause fréquente de la tuberculose, d’autant plus puissante qu’elle vient souvent frapper l’ouvrier soumis à de rudes labeurs, chez lequel il y a dépense exagérée de forces et réparation incomplète du corps. Ce triste résultat de l’alimentation insuffisante s’observe souvent chez des individus tombés brusquement, à l’âge moyen de la vie, dans des revers de fortune, et contraints à des privations de toutes sortes qui, en affaiblissant la force plastique, favorisent, surtout à cet âge, les altérations de la nutrition et le développement des produits morbides » (Hérard et Cornil).

M. Léon de Seilhac a relevé le budget d’une ouvrière isolée gagnant 4 fr. 50 par jour et travaillant en moyenne 250 jours par an. C’est le cas d’une intime minorité (nous avons vu que le plus grand nombre ne travaille que 150 à 200 jours par an). Elle reçoit 1 125 francs et dépense 1 106 francs [20].

Soupe du matin. 
  0.15  
Déjeuner.
pain 
0.10   0.75 à 0.90
viande 
0.25 à 0.40
vin 1/4 
0.15  
légumes 
0.15
dessert 
0.10
Dîner
soupe 
0.15 0.70  
pain 
0.10
légumes 
0.20
vin 1/4 
0.15
fromage 
0.10
dessert 


soit par jour 1 fr. 60 à 1 fr. 75.

On peut prendre pour moyenne 1 fr. 70.

365 jours à 1 fr. 70 donne 620 francs.

Moyenne minimum 
600 fr.
Lumière (0.70 par semaine) 
35
Chauffage 
35
Blanchissage 
62
Loyer (une chambre) 
180
1 manteau 
30
2 robes à 20 fr. 
40
4 paires chaussures à 8 fr. 
32
2 chapeaux à 4 fr 
8
Linge 
40
Parapluies 
4
Divers 
20
Du logement 
20
  1 106

Sans compter les achats de meubles, les omnibus, le journal, etc.

On voit donc que cette ouvrière privilégiée arrive à peine, à la condition de ne connaître ni le chômage, ni la maladie.

« Une de celles que nous avons questionnées, dit M. du Seilhac, nous a avoué qu’elle portait quelques économies amassées sou à sou, en se privant tantôt d’un plat tantôt d’une paire de chaussures. Sur la question que nous lui posâmes : « Combien avez-vous en ce moment à la la caisse d’épargne ? » elle parut fort étonnée et nous répondit simplement : « Absolument rien. Ce que nous pouvons mettre à la caisse pendant la saison, nous allons le chercher pendant les périodes de chômage et c’est avec cela que nous existons alors. »

On vient devoir un budget exceptionnel. Voici maintenant des budgets très fréquents relevés par M. Charles Benoist :

1re ouvrière ayant gagné 3 fr. 75 par jour ; elle a eu 45 jours de chômage, 60 jours de fêtes et dimanches, en tout 105 jours de chômage réel ; il reste donc 260 jours de travail à 3 fr. 75 soit 975 francs par an.

Dépenses
Nourriture par an 
670 fr.
Loyer 
150  
Vêtements, robes, chapeaux 
110  
Linge 
33 60
Souliers (3 paires) 
29  
Chauffage, éclairage 
12 65
Blanchissage 
60  
Petits frais 
50  
  1 115 f. 25

Ce budget est en déficit de 140 fr. 25.

2e ouvrière gagnant 3 francs par jour ; elle a eu 5 mois de chômage (150 jours) plus, 60 jours de fêtes et dimanches, en tout 210 jours chômés ; il reste 155 jours de travail qui donnent 465 francs.

Dépenses
Nourriture 
511 francs
Loyer 
120
Vêtements, robes, chapeaux 
55
Linge 
33
Souliers (3 paires) 
30
Chauffage, éclairage 
25
Blanchissage 
48
Petits frais 
40
  862 francs

Ce budget est en déficit de 397 francs.

L’auteur cite une ouvrière chemisière gagnant 2 francs par jour dont le budget est en équilibre. Mais il est à remarquer qu’elle limite son alimentation jusqu’à ne dépenser que 0,90 franc par jour !

Si l’ouvrière ne trouve pas une liaison généreuse, elle est forcément vouée à la débilité et plus tard à la tuberculose.

Nous avons pu interroger quelques ouvrières qui nous connaissaient assez pour ne pas mentir et ne rien dissimuler. Leurs réponses se ressemblent beaucoup. Nous les résumons :

— Comment prenez-vous vos repas pendant la morte-saison ? — Chez le crémier ou chez moi. — Êtes-vous seule dans cette nécessité ? — Non pas, nous sommes nombreuses ; chez le crémier on peut se passer de viande, se nourrir de chocolat, de riz ou de café au lait. — Prenez-vous de la charcuterie ? — Trop souvent, cela fatigue. Il nous arrive aussi d’acheter des cornets de frites et d’aller aux Tuileries ou au Palais-Royal pour les manger, cela fait une promenade. — Quels moyens avez-vous de tromper la faim ? — On achète un journal et on reste couché, cela économise les forces. — Avez-vous essayé l’alcool ? — Quelquefois, cela chasse les idées noires. Mais nous prenons de l’eau-de-vie pour nous tenir éveillées au travail, principalement l’été, car on étouffe dans les ateliers. — Qu’est-ce qui vous chagrine le plus dans votre existence ? — De ne pas nous amuser, d’être privées de plaisir, d’être seules, de nous ennuyer.

L’une d’elles écrit : « Lorsque je jette un regard sur l’année déjà passée, j’ai comme le cœur serré. Si je n’étais pas profondément pieuse, je vivais de l’espoir de l’être un jour. Puis la roue du temps à tourné bien vite, emportant ma foi, mes espérances, me laissant en revanche le cœur vide, le même dégoût du monde et le regret de cette foi envolée, peut-être pour longtemps. Pleurer devient banal. Prier, je ne sais plus, et cependant je donnerais tout ce que j’ai de plus cher au monde pour reconquérir cette foi partie, ou plutôt, pour faire le premier pas qui me coûte le plus. » Lettre d’une ouvrière à M. d’Haussonville.

INSALUBRITÉ DES LOGEMENTS

La modicité des salaires féminins a aussi sa répercussion sur l’état des logements, leur exiguïté et leur insalubrité. On connaît l’enquête instructive ouverte à Paris par les docteurs Du Menil et Mangenot dont j’ai parlé dans mon chapitre sur l’antialcoolisme (voir Superstitions politiques et Phénomènes sociaux). On devra se référer à cet ouvrage pour avoir une idée approximative de la situation lamentable des ménages ouvriers, principalement dans les quartiers de la périphérie. Nous n’insisterons donc pas sur cette question en ce qui concerne Paris, mais nous mettrons sous les yeux du lecteur un document très significatif emprunté à l’Autriche :

« L’enquête provoquée au sujet du travail à domicile dans le vêtement et la lingerie, au point de vue de l’hygiène, par le Conseil supérieur du travail autrichien (séance du 20 mars 1899) a porté sur 409 logements ouvriers, occupés, au total, par 347 chefs de famille travaillant dans la confection et 62 dans la lingerie. Les visites sur place ont pris 47 jours, à raison d’une journée en moyenne par 4 à 5 maisons. Les informations relatives au taux des salaires ont été recueillies auprès des intéressés mêmes et n’ont pu être contrôlées.

On trouvera ci-après les conclusions des enquêteurs sur les points essentiels de leurs recherches :

I. Logements
a) RÉPARTITION PAR ÉTAGE :
Dans les sous-sols 
0,4 %
Au rez-de-chaussée 
32,8
À l’entre-sol 
2,77
Au 1er étage 
27,4
Au 2e   —    
19,8
Au 3e   —    
14,2
Au 4e   —    
2,7


b) HUMIDITÉ ET SALUBRITÉ :
À l’égard de l’humidité, 70 logements insalubres sur 409 visites, soit 
 17,1 %
111 pièces malsaines pour d’autres causes sur 1 038 comprise dans les 409 logements, soit 
 10   —


c) AFFECTATION DES PIÈCES DES LOGEMENTS VISITÉS :

Pièces utilisées à la fois :

Comme ateliers, chambres à coucher et cuisines 
26,4 %
Comme ateliers et cuisines 
18,1
Comme chambres à coucher 
12,1
Comme ateliers et chambres à coucher 
11,7
Comme cuisines et vestibules 
7,2
Comme cuisines et chambres à coucher 
5,5
Comme ateliers sans autre affectation 
3,8


d) DENSITÉ DES LOCATAIRES :
Rapport du nombre des maisons au nombre des logements 1 : 2,5
Rapport du nombre des maisons au nombre des habitants 1 : 6,1
Rapport du nombre des logements au nombre des habitants 1 : 2,4

Ainsi, grande agglomération, si l’on considère, en outre, que les calculs ci-dessus ne comprennent pas le personnel passant seulement la journée chez les ouvriers à domicile.

D’ailleurs, à l’égard de la densité pendant le jour et pendant la nuit, il a été établi que, respectivement, les trois quarts et les quatre cinquièmes des 409 habitations examinées n’ont pas la surface requise par l’hygiène la moins exigeante. Le volume d’air est insuffisant aussi pour les cinq sixièmes et les six septièmes des logements.


e) ÉTAT MATÉRIEL DES HABITATIONS
Ventilation par les fenêtres, défectueuses dans 
114 cas
Éclairage insuffisant dans 
103 cas
Pas de cabinets d’aisance dans 
11 cas

En général, service des eaux (arrivée et écoulement) établi dans des conditions antihygiéniques.

II. Les différentes pièces des logements
a) AFFECTATION

Les 1 038 pièces qui comprennent les 409 habitations visitées se décomposent comme suit :

53 ateliers.
264 chambres à coucher.
317 chambres à coucher-ateliers.
22 cuisines.
22 cuisines-ateliers.
108 cuisines-chambres à coucher.
58 cuisines-ateliers-chambres à coucher.


b) ATELIERS

Des 43 ateliers relevés à un titre quelconque dans le décompte ci dessus :

76 étaient occupés par 4 personnes
34 5
22 6
15 7
8 8
2 9
7 10

Enfin, plus de 10 ouvriers et ouvrières, par pièce, ont été rencontrés dans 8 de ces locaux, la plupart d’une exiguïté extrême. À signaler, en particulier, un réduit mesurant 25 mq 8 avec un cube d’air de 85 mc 5 où se tenaient 25 lingères (dont 15 avec une machine à coudre), en sorte que chaque personne avait simplement à sa disposition une surface de 1 mq 03 et 3 mc 42 d’air respirable.


c) CHAMBRES À COUCHER

Au nombre de 742, d’après le tableau précédent, 2 493 personnes y couchaient, d’où une moyenne de 3, 4 personnes par pièce. En fait, on a compté :

136 chambres à coucher avec 1 personne
157 2
151 3
99 4
90 5
61 6
25 7
13 8
6 9
7 10
2 11
1 13

L’exiguïté est encore ici le défaut essentiel à souligner et, en outre, l’état souvent frustre des lits véritables ou improvisés : dans les villes, de simples bancs ; à la campagne, des sacs de paille sur des sièges ou par terre, voire même le tout petit espace nu derrière la vaste cheminée ou le four, d’ordinaire réservé aux berceaux des enfants en bas âge.

III. État civil et situation pécuniaire des ouvriers observés

La plupart sont mariés et avaient, lors de l’enquête, au total, 1 090 enfants, dont 88,2 %, presque les 9/10, entièrement à charge aux parents.

Quant aux salaires hebdomadaires de cette catégorie de travailleurs, ils ressortent en moyenne (sous la réserve indiquée au début du présent compte rendu), à :

5 fr. 25 pour 3,9 % des personnes envisagées.
10 fr. 50 19,5
21 fr. 00 82,1
31 fr. 50 23,5
42 fr. 00 12,1
52 fr. 50 5,2

et à plus de 52 fr. 50 pour 3,7 % des personnes envisagées.

Il se trouva, au surplus, 9 ouvriers et ouvrières à domicile, gagnant moins de 5 fr. 25 par semaine ; par exemple : 3 fr. 85, 3 fr. 45, 3 fr. 15, 2 fr. 85 et même, dans un seul cas, 1 fr. 70. À remarquer, à la vérité, que la lingerie, surtout, est entreprise par beaucoup d’ouvrières à titre de gagne-pain complémentaire.

D’ailleurs, auprès de ces taux infimes, il en est de plus élevés, qui dépassent grandement 52 fr. 50 ; par exemple : de 63 francs à 105 francs, et même 147 francs (maximum). Ajoutons enfin, pour permettre de se former une idée le plus exacte possible de la situation matérielle desdits ouvriers, qu’un bon nombre (128 sur 409) parviennent à augmenter leurs gains en habitant avec des parents qui les aident plus ou moins au produit de leur travail, ou encore en prenant des pensionnaires étrangers [21].

Immoralité du travail. — On connaît les lieux — communs des moralistes à l’endroit du travail : le travail, « c’est la liberté » ; le travail, « c’est la moralité. » ; le travail, « c’est la dignité », « l’indépendance », « le relèvement ». Or, l’observation et l’étude nous montrent que le travail du salarié au xixe et au xxe siècle est précisément le contraire de tout cela.

Les dames patronnesses des Cercles catholiques d’ouvriers (qui pensaient comme tout le monde sur ce point) ont dû modifier leur opinion après la très instructive enquête sur l’ouvrière qu’elles firent en 1888.

Après avoir examiné attentivement, les salaires, la durée du travail quotidien, le chômage, etc.} voici ce que disent les dames patronnesses des Cercles catholiques :

Les porteuses de pain. — La femme ne peut remplir ni ses devoirs de mère, de famille, ni ses devoirs religieux ; elle est considérée comme une bête de somme, avec cette différence, à son détriment que, du moins, la bête de somme devait être nourrie même pendant les mois de chômage.

Les ouvrières de la chapellerie. — Quelle anomalie ! Dans ce métier, comme dans tant d’autres, il n’y a aucun secours à espérer dans la maladie ni dans la vieillesse.

Blanchisseuses de fin. — Journées de 12 heures : salaire 2 fr. 50 à 3 fr. 50, 3 à 4 mois de chômage. Le salaire passe chez le crémier ou le marchand de vin. Deux ans d’apprentissage. Aucune ressource dans le chômage. Travail le dimanche (ce qui afflige les dames patronnesses, c’est moins la perte du repos que la perte des sentiments religieux).

Blanchisseuses à neuf. — L’usage du chlore rend l’ouvrière malade au bout de 3 mois de travail.

L’ouvrière des travaux de mode ou de luxe. — Il faut qu’elle soigne sa toilette, qu’elle soit bien mise, étant constamment en rapport avec nous (les dames patronnesses) dans d’élégants magasins. Ce cadre factice où elle passe ses journées contraste étrangement avec la misère de sa demeure : elle souffre de ce qu’elle n’a pas. Aussi l’immoralité est très générale dans ce milieu de jeunes ouvrières. Leur modique salaire assure à peine leur nourriture ; d’autres ressources leur sont offertes et, à l’heure de la sortie des ateliers chez les couturiers et les couturières à la mode, il est instructif pour un moraliste de voir comment les ouvrières sont attendues et escortées.

Les couturières. — La santé de ces jeunes filles est tellement compromise qu’une sœur de Saint-Vincent-de-Paul d’une des paroisses riches de Paris nous disait : « Lorsque j’apprends le mariage de l’une d’elles je suis à peu près certaine qu’elle ne vivra pas deux ans. » Malades, elles n’ont qu’une ressource, c’est l’hôpital ; vieilles, l’obole de la bienfaisance.

Polisseuses de bijoux. — La grande fatigue dans ce métier et pour la vue, qui s’y use vite. Dans ce métier comme dans tous les autres, la misère et l’hôpital pour avenir.

Bijouterie en faux. — Même absence de ressources dans le chômage, la maladie et la vieillesse ; toujours l’abandon et la misère. C’est terrible (disent les dames patronnesses des Cercles catholiques) de trouver ce refrain comme conclusion à toutes nos enquêtes ; cela fait mal à constater.

Fabrique d’enveloppes en papier. — 12 heures de travail journalier ; de 7 heures à 7 heures du soir. 1 heure de chemin pour venir à la fabrique, ce qui fait que l’ouvrière est hors de chez elle depuis 6 heures du matin jusqu’à 8 heures du soir ; elle fait 14 heures d’absence. Elle n’a donc à elle et pour son ménage que 10 heures sur 24. Malade ou vieillie, la société n’a que faire de cette femme ; d’autres sollicitent son modique salaire (1 fr. 75 ou 2 francs aux pièces) et sont bientôt hors d’état de le gagner, car la santé ne saurait résister à de tels abus. La roue de la production tourne toujours, entassant ses victimes.

Fabriques de papier. — Existence précaire, travail instable et longues journées, depuis 6 heures du matin jusqu’à 8 heures du soir. Salaire 20 centimes l’heure. Quel temps reste-t-il à l’ouvrière pour élever ses enfants, préparer leur repas, raccommoder et blanchir son linge et le leur ?

Filature à Clichy. — Travail : 6 heures du matin à 7 h. ½ du soir. L’ouvrière est debout toute la journée. Le dimanche on travaille jusqu’à midi, il est donc impossible de remplir ses devoirs de religion. Décidément, il n’y a plus, de notre temps, que les riches pouvant aller à l’église, et ce sera bientôt un luxe de pouvoir remplir ses devoirs stricts de chrétien. (Ici les dames patronnesses catholiques donnent une explication très sensée de la disparition du sentiment religieux. Mieux que les francs-maçons les lois, et la propagande anti-religieuse, le capital et le travail abolissent ou plutôt transportent le sentiment religieux. Par exemple au lieu de Dieu, ce sera la Justice, la Vérité, la Patrie, que l’esclave devra honorer).

Raffineries de sucre. — En été de six heures du matin jusqu’à 10 ou 11 heures du soir. Ce genre de travail se fait dans une atmosphère brûlante ; mais celui qui est l’objet de cette enquête consiste à remplir des caisses de 10 kilos avec des morceaux de sucre cassés à la mécanique. Le salaire est de 5 centimes par cinq caisses — 100 kilos, 10 centimes. L’ouvrière est debout toute la journée ; elle ne peut pas arriver à gagner plus de 2 francs par jour, car pour cela il faut qu’elle remplisse 200 caisses. À quel excès de fatigue doit-elle arriver ! fatigue physique et anéantissement moral. Peut-elle seulement songer à ses devoirs ? Quant à les remplir, quand ? Comment ? à quelle heure ? il y a peu de chômages ; mais quand il y en a l’ouvrière devient ce qu’elle peut.

La manufacture de tabacs. — Les jeunes filles de 13 à 14 ans sont admises à travailler à la manufacture ; mais c’est pour elles une école d’immoralité. Le titre de cigarières, est, à peu d’exceptions près, un brevet d’inconduite. Ce travail a aussi des inconvénients graves pour la santé ; beaucoup de tempéraments ne peuvent s’y faire, et la nicotine rend la maternité très difficile en causant un empoisonnement des enfants dans le sein de leurs mères ; aussi meurent-ils peu après leur naissance.

Voilà quelques extraits d’une enquête qu’on ne peut pas suspecter de mensonge ou d’aggravation. Le caractère « immoral » du travail moderne y apparaît clairement. À qui la faute ? dira-t-on ; singulière question ! L’employeur et le patron sont responsables aux yeux de l’ouvrier et de l’ouvrière, cela va sans dire, car quel serait le recours de l’exploité s’il ne s’adressait ou ne s’attaquait à l’exploiteur ? Mais plaçons-nous à un point de vue plus élevé, et remontons encore la chaîne des causalités ; nous verrons que le patron lui-même dépend de forces qu’il n’a pas créées, en tant qu’individu, principalement la concurrence. « Il n’y a pas deux mois que je causais avec l’un d’entre eux, sincèrement ému de ne payer à une ouvrière que dix-huit centimes de façon pour un pantalon de toile.

« Mais que voulez-vous ? disait-il, je ne puis pas faire autrement. Le jour où je payerais davantage, je n’aurais plus qu’à fermer boutique. La concurrence m’étranglerait ». C’est le mot propre. La concurrence étrangle l’ouvrière, et non seulement la concurrence entre patrons, mais celle que se font les ouvrières entre elles. J’insiste là-dessus : comme il n’est pas de limites à la misère, on trouve toujours une malheureuse qui travaillera à plus bas prix qu’une moins malheureuse qu’elle-même, et l’on ne saurait, par conséquent, fixer un minimum pour le salaire, avant d’avoir au préalable, imposé une borne au besoin. Du reste, ce minimum, qui le fixerait ? L’État ? Alors, sans doute, cette étrangleuse, la concurrence, serait étranglée à son tour, mais le commerce et le travail même seraient pris dans le même lacet » [22].

Ainsi la concurrence étrangle l’ouvrière ; mais, sans concurrence pas de commerce et pas de travail. Le commerce et le travail exigent donc que l’ouvrière soit étranglée.

Désorganisation de la famille. — Nous avons montré par des faits irrécusables que la main-d’œuvre féminine se substitue de plus en plus à la main-d’œuvre masculine. Le perfectionnement de l’outillage et son extension à la plupart des branches de la production ont permis au fabricant d’utiliser la femme et l’enfant dans une proportion beaucoup plus grande que par le passé. Ce phénomène s’accentue sous l’empire de la concurrence industrielle qui oblige le patron ou la société anonyme à réduire, par tous les moyens, ses frais de production. Par exemple, la crise de l’industrie textile en France est causée par la concurrence des produits américains dont l’outillage plus parfait donne un rendement supérieur au nôtre. Lorsque la jeune fille française pourra faire ce que fait déjà la jeune fille américaine, c’est-à-dire conduire seule seize métiers, le producteur français pourra peut-être lutter à armes égales. Sans doute cette jeune fille sera usée complètement en quelques années, comme celle des États-Unis ; sans doute le personnel féminin sera de plus en plus préféré, et la femme continuera de déserter le foyer, mais le capital ne s’inquiète guère de ces choses. Ce qu’il exige à présent, plus que jamais, c’est du travail de femme et du travail d’enfant, de la main-d’œuvre à bon marché. Voilà pourquoi la désorganisation de la famille ouvrière est un fait social normal du régime capitaliste, et que ce fait évident, constaté, prouvé, se réalise de plus en plus.

« Le nombre croissant des manufactures n’est pas la seule cause de la destruction de la vie de famille ; il en est la principale.

Les manufactures contribuent de deux façons à produire ce triste résultat : en employant la plupart des femmes dans des ateliers où elles sont retenues loin de leur ménage et de leurs enfants pendant la journée entière, et en rendant pour les autres le travail isolé absolument improductif, ce qui les pousse à chercher des ressources dans l’inconduite » Jules Simon — (L’ouvrière.) Mais le même auteur ajoute : « Il faut souhaiter que les femmes quittent les manufactures, mais il ne faut pas l’ordonner ». Cette restriction mentale est assez caractéristique de l’esprit libéral et jésuite. À un autre point de vue, elle est un bel aveu d’impuissance : il n’y a pas de remède (légal) contre la désorganisation de la famille. Il est vrai que Jules Simon et ses continuateurs préconisent un remède moral : le retour à la vie de famille !

Comme on le voit c’est très simple. Mais il serait difficile de pousser plus loin l’incohérence des idées.

D’après un rapport officiel, publié aux États-Unis en 1895, sur 1 067 établissement recensés, on a relevé à cette époque 70 921 femmes célibataires contre 7 775 femmes mariées, 2 011 veuves, 36 divorcées. Les célibataires formaient ainsi 88,57 % du total, les femmes mariées 7,47 % seulement, les veuves 2,51 % et les divorcées moins d’un %. (Eleventh annual report of the commissioner of labor, 1895) [23]

Vagabondage et prostitution. — L’accession de la femme dans l’industrie a été si peu un commencement de libération, que le vagabondage et la prostitution féminines ont augmenté d’une façon évidente, malgré l’accroissement constaté du travail féminin. En consultant les

Professions exercées par les femmes recueillies en 1897 par les refuges municipaux, l’Hospitalité de nuit et la Société Philanthropique :


PROFESSIONS
NOMBRE
d'Hospitalisées
Artistes 
10
Bijoutiers 
9
Blanchisseuses 
1 038
Bonnetières 
7
Brodeuses 
9
Brunisseuses et vernisseuses 
41
Cordières et matelassières 
7
Cartonnières 
12
Chapelières 
15
Chemisières 
10
Chiffonnières 
15
Confectionneuses 
10
Corsetières 
5
PROFESSIONS
NOMBRE
d'Hospitalisées
Couturières et
modistes 
721
Cuisinières 
1 072
Domestiques 
4 617
Empl. de commerce 
56
Femmes de chambre 
68
Femmes de ménage 
210
Fleuristes 
88
Gantières 
3
Gardes malades et infirmières 
93
Gouvernantes 
4
Institutrices 
32
Journalières 
3 106
Lingères 
212
PROFESSIONS
NOMBRE
d'Hospitalisées
Marchandes ambulantes 
185
Mécaniciennes 
91
Nourrices 
20
Papetières 
4
PassementLères 
65
Plumassières 
5
Repasseuses 
23
Tapissières 
26
Tisseuses 
9
Ouvrières diverses 
3 712
Sans profession désignée 
731
Totaux 
16 470
   
registres des asiles de nuit et des divers foyers d’hospitalisation, on constate que presque toutes les professions d’ouvrières sont représentées largement. Ci-joint un tableau des professions exercées par les femmes recueillies, en 1897, par les refuges municipaux, l’Hospitalité de nuit et la société Philantropique.

L’Office du travail a donné aussi une statistique au point de vue de l’âge des hospitalisés ; elle comprend 88 100 individus, c’est-à-dire 63 % du nombre total des hospitalisés. Nous relevons en ce qui concerne les femmes

De 17 à 25 ans 
292
De 25 à 40 ans 
1 300
De 40 à 55 ans 
1 123
De 55 à 60 ans 
597
De 70 à 80 ans 
63
Au-dessus de 80 ans 
»
  3 375

Ces chiffres ont une signification importante : on remarque, en effet, que le plus grand nombre des femmes hospitalisées sont aptes au travail au point de vue de l’âge. Si elles ne travaillent pas, ce n’est point à cause d’infirmités ; nous savons aussi que ce n’est point par paresse ni par dégoût du travail [24].

Dans le rapport publié par le Reichstag en 1887, on avoue que les bas salaires poussent à la prostitution : « Quelquefois, les ouvrières de cette catégorie sont forcées par leur vie si dure de chercher un gagne-pain auquel elles répugnaient d’abord. » Le rapport de Posen : « On peut dire sans aucune restriction que le salaire minime et la vie sédentaire favorisent la prostitution, et que réellement ces ouvrières ne mangent que des pommes de terre, quand elles ne sont point des prostituées. »

Du reste, voici un témoignage peu suspect sur la prostitution. Il répond aux risibles flétrissures des moralistes qui accusent souvent le vice, là où il ne faut voir que des fatalités économiques et des infortunes inconnues : « Nous ne croyons pas que la satisfaction des sens et le besoin d’avoir des rapports sexuels avec les hommes doivent être classés parmi les causes sérieuses de la prostitution. Nous avons interrogé des milliers de femmes sur ce sujet et il n’y en a qu’un très petit nombre qui nous aient dit avoir été poussées à la prostitution par une ardeur génésique qu’elles tenaient à satisfaire. Beaucoup, dira-t-on, n’ont pas voulu avouer ce motif ? Bien que les filles qui se livrent à la prostitution manquent souvent de sincérité, nous croyons que, sur ce point, elles ne cherchent pas à tromper. Lorsqu’elles ont des besoins génésiques, elles ne s’en cachent pas ; elles mettent au contraire un certain amour-propre à le constater ; elles semblant trouver dans cette affirmation un motif suffisant pour expliquer la vie qu’elles mènent. Si l’infime minorité seulement avoue ce motif, c’est qu’il n’existe pas, pour le plus grand nombre. Avant nous, Parent-Duchatelet avait émis une opinion analogue, lorsqu’il dit : « Il y a des filles qui se livrent à la prostitution par suite d’un dévergondage qu’on ne peut expliquer chez elles que par l’action d’une maladie mentale qui diminue beaucoup la culpabilité aux yeux de celui qui les observe et qui les étudie de près ; mais, en général, ces Messalines sont rares. » La Prostitution clandestine à Paris, par le Dr O. Commenge, médecin en chef du dispensaire de salubrité de la Préfecture de Police.

Dans l’ensemble des jeunes insoumises reconnues malades pendant la période de 1878 à 1884, nous avons trouvé 692 orphelines, dit le docteur Commenge ; il y avait en outre, 456 jeunes filles qui avaient perdu leur mère.

Voici deux exemples-types cités par M. Commenge :

Le 4 décembre 1878 la nommée M… Elvire, âgée de vingt et un ans, née à Milan se présente à la préfecture de police pour être inscrite sur les registres de la prostitution, afin d’entrer dans une maison de tolérance. L’examen médical ayant démontré que cette jeune fille n’était pas déflorée, elle fut signalée par une note spéciale à l’administration : on insiste pour qu’elle ne donne pas suite à sa détermination, en lui faisant comprendre toute la tristesse de la vie qu’elle veut embrasser. Les observations restent sans effet et M.., qui était majeure, paraissant bien décidée à vivre de la prostituton, on ajourne l’inscription en décidant qu’elle passerait devant la commission d’inscription. Ce répit fait réfléchir la jeune fille qui, rentrant en elle-même modifie insensiblement ses dispositions et n’hésite plus à raconter son histoire. Elle avait perdu sa mère depuis quelques années et vivait avec son père en Italie ; mais à la mort de celui-ci, survenue récemment, elle a quitté Milan pour venir travailler à Paris comme couturière. Elle est à Paris depuis vingt-deux jours, sans avoir pu, malgré de nombreuses démarches, obtenir du travail ; après avoir épuisé le peu d’argent qu’elle possédait, se trouvant sans ressources et ne voulant pas mourir de faim, elle avait écouté des conseils qui lui avaient été donnés et avait pris la résolution d’entrer dans une maison publique pour vivre de la prostitution.

L’autre cas est celui-ci de C… Émile, âgée de seize ans et demi, née à Paris qui est orpheline.

Elle a une sœur mariée à un ouvrier, chez laquelle elle a habité pendant quelque temps et à qui elle remettait le peu qu’elle gagnait comme apprentie chapelière, c’est-à-dire 1 fr. 50 par jour.

Le beau-frère trouvant que la présence de cette jeune fille chez lui augmentait les charges du ménage, lui fit comprendre, qu’il ne pouvait la garder plus longtemps et qu’elle devait chercher une place. Elle quitte le domicile de sa sœur, fort triste, la bourse à peu près vide, ne sachant où aller se loger, ignorant où elle trouverait les ressources nécessaires pour se nourrir. Après quelques tentatives infructueuses pour avoir une place, elle fait la rencontre d’un monsieur qui lui offre 20 francs si elle consent à l’accompagner dans un hôtel. L’offre lui paraissant tentante, après une légère hésitation, elle accepte la proposition qui lui est faite et bien qu’elle fût encore vierge, elle se livre à cet inconnu qui lui donne des ressources pour plusieurs jours. Elle n’avait jamais vu de pièce de 20 fr. ; aussi cette pièce d’or qu’elle touchait pour la première fois lui semblait-elle constituer une petite fortune ; elle s’empresse de louer un petit cabinet meublé dans un garni de la rue Royer-Collard, et vit pendant quelque temps avec sa pièce d’or. Quelques jours après elle s’en va de nouveau, à la recherche d’une pièce de vingt francs ; mais cette fois elle éprouve une grande déception, la générosité du client n’allant pas au-dessus d’une pièce de 5 francs. Sa troisième tentative à la recherche d’un louis d’or est encore plus malheureuse que la seconde, puisqu’elle est arrêtée par les agents du service des mœurs au moment où elle conduisait un amateur dans un hôtel.

Dirigée sur le commissariat de police du quartier, puis emmenée à la Préfecture de police, elle passe au dispensaire de salubrité le 8 mars 1894 [25].

Il est instructif de donner un aperçu des professions qui ne sauvent pas l’ouvrière du trafic de la chair :

Professions qui donnent le plus fort contingent à la prostitution clandestine.

(1878-1887)
Domestiques 
2 681
Polisseuses 
54
Couturières, lingères 
1 326
Brocheuses 
66
Blanchisseuses 
614
Employées de commerce 
64
Fleuristes 
207
Giletières 
39
Mécaniciennes 
218
Doreuses 
32
Passementières 
99
Repasseuses 
27
Cartonnières 
97
Papetières 
27
Modistes 
80
Piqueuses de bottine 
20
Plumassières 
81
Journalières et sans profession 
307
Brunisseuses 
78
Boutonnières 
77

Conclusions. — Telle est la situation abrégée de la femme ouvrière dans la vie moderne. Travaux pénibles et repoussants, longueur démesurée de la journée de travail (accompagnée de chômages intenses), intoxication professionnelle, déformation corporelle, tuberculose chronique, insuffisance d’alimentation, sweating-system, exploitation sur toutes ses formes. Le sort de la femme est donc pire que celui de l’homme. C’est donc sa situation matérielle qui doit attirer surtout l’attention du sociologue, du penseur, du législateur et du philosophe.

Tout ce que l’on peut dire à côté est superflu : « corruption », «  immoralité », « perfidie », « déchristianisation », etc., autant de mots vides de sens, autant de sombres asiles de l’ignorance ou de la mauvaise foi. La moralité d’un être ne peut scientifiquement s’expliquer que par l’examen attentif et approfondi des conditions matérielles de sa vie

Et le reste est littérature.

Faut-il donc, en présence de l’anéantissement de toutes les forces et de toutes les joies de la femme ouvrière, recourir à la charité ?

Il existe en France, dispersés sur tous les points du territoire plus de deux mille ouvroirs tenus par des religieuses de différents ordres, dont la moitié travaillent aussi de leurs mains ; ces deux mille ouvroirs ont près de 80 000 élèves, qui toutes travaillent, « et si l’on veut admettre que nos religieuses qui sont au nombre de 100 000, travaillent de leurs mains, si l’on tient compte aussi de la multitude d’asiles et de pensionnats où le travail des doigts occupe plusieurs heures dans la journée, et où les articles sont vendus, on pourra conclure, sans exagération, que la production industrielle qui sort de toutes ces institutions représente le travail d’environ 150 000 personnes. » [26].

Ainsi, non seulement l’œuvre de la charité est impuissante, mais elle est nuisible et malfaisante. La femme indigente, recueillie par les bonnes âmes chrétiennes, concurrence la femme pauvre et fait baisser son salaire déjà si dérisoire ! « Presque tous les ouvroirs de province, dit M. Monnier, s’adonnent à des travaux de confection assez simples, pour le compte d’entrepreneurs. La chemiserie y occupe la place principale. » [27]

Jules Simon lui-même, quoique préoccupé d’atténuer l’importance de ces faits, écrivait :

« Tout en étant loyale (cette concurrence) elle est écrasante. Si nous prenons pour exemple la fabrication des chemises en gros, à l’heure qu’il est, sur cent douzaines de chemises qui entrent dans le commerce parisien, les couvents en ont cousu quatre-vingt douzaines. » [28]

On sait que le mouvement s’est accentué. Aujourd’hui des centaines de couvents travaillent au rabais pour le Louvre, le Bon-Marché, etc., avilissent de plus en plus les salaires féminins, accroissant ainsi la prostitution. La moralité engendre l’immoralité. Phénomène bien caractéristique de ce temps si fertile en contradictions ! Dieu lui-même exploite les pauvres.

En résumé, il ne faut pas considérer l’état d’ouvrières (pas plus du reste que celui d’ouvriers) comme un progrès.

La femme industrialisée est un accident fatal du régime capitaliste : il résulte de deux grandes causes principales : le bas prix de la main-d’œuvre féminine et la transformation mécanique du travail moderne. La femme comme l’homme et plus que l’homme est encore dominée par des forces qui rendent illusoire la liberté.
Henri Dagan
  1. Voir La revue blanche du 15 février, ainsi que les analyses, critiques et réflexions publiées à ce sujet par le Petit Sou (7 mars), la République sociale (9 mar<), la Fronde (6 mars et 13 mars), les Temps nouveaux (mars et avril), Le Petit Parisien (mars) ; Union des dames de la Poste (15 juillet) etc., etc.
  2. Plusieurs couturières, après s’être servi de soie, ont présenté des accidents d’intoxication saturnine ; l’une d’elles ayant remarqué que chaque fois qu’elle mouillait ses doigts ou qu’elle passait le fil de soie dans sa bouche pour resserrer les brins, elle éprouvait une saveur légèrement sucrée. Chevallier fit acheter de la soie dans un grand nombre de fabriques ; cinquante échantillons, tous trempés séparément dans une petite quantité d’eau abandonnèrent une grande partie de leur poids. La matière pesante fut reconnue pour de l’acétate de plomb, 20 % de ce poison étaient mêlés à la soie. On avait pris un brevet d’invention pour ce mélange. Enlenberg ayant fait l’analyse d’une soie rouge ainsi chargée, a trouvé 17 grammes 71 de plomb dans 100 grammes de soie.

    « Les accidents saturnins, résultant de l’usage de telles soies sont rendus plus fréquents encore chez les couturières, par l’habitude qu’elles ont d’amincir l’extrémité du fil en le passant dans leur bouche. En outre, elles cassent la plupart du temps ce fil avec leurs dents et gardent quelquefois la partie rompue dans leur bouche. »

    Dr Proust, Traité d’Hygiène.
  3. Les poisons industriels, 1901 (Office du Travail).
  4. The Britith médical Journal, 7 janvier 1882.
  5. Extrait d’un tableau dressé par le docteur Layet, Hygiène industrielle.
  6. Annales d’Hygiène publ. 1898, p. 495.
  7. Extrait d’un tableau dressé par le docteur Layet ; Encycl. d’Hygiène et de Médecine, tome VI. Il va sans dire que les ouvriers sont également exposés dans toutes ces professions et une foule d’autres que nous passons sous silence.
  8. Les poisons industriels (Office du Travail).
  9. Ibid., loc. cit
  10. On a signalé des accidents d’arsenicisme chez des couturières travaillant à des robes de tarlatane colorée avec des produits arsenicaux qui n’étaient appliqués qu’au moyen d’amidon.

    Ces faits ont été observés en Allemagne, il y a déjà un certain temps. — Le professeur Hoffmann a analysé des tarlatanes vertes qui contenaient un treizième de leur poids de teinture arsenicale. Vingt mètres d’étoffes nécessaires pour la confection d’une robe de bal contenait 54 grammes d’arsenic.

  11. Les professeurs Hofmann et Ludwig ont cité un cas d’empoisonnement très grave chez deux femmes, la mère et la fille, occupées depuis six ans à la confection de couronnes mortuaires en mousse artificielle parsemée de fleurs rouges. Elles teignaient elles-mêmes les matériaux nécessaires et ne se servaient que de fuchsine et de vert d’iode. La première atteinte fut méconnue ; la seconde emporta la mère. L’autopsie révéla les lésions caractéristiques de l’empoisonnement par l’arsenic. À la suite de cet empoisonnement, on préleva chez les marchands de Vienne, six échantillons de la plus fine qualité de fuchsine : cinq présentèrent une proportion d’acide arsénieux variant entre 1 et 3 % (Revue d’hygiène, 1879 n° 79.)
  12. Traité d’hygiène industrielle.
  13. Malgré ces faits précis et caractéristiques, ces témoignages autorisés et probants, l’Enquêteur de l’Office du travail (Poisons industriels) a essayé de contester l’influence de la toxicité du tabac sur la grossesse et l’économie générale du corps. Il invoque les affirmations incertaines de quelques docteurs (préoccupés de sauvegarder le bon renom de l’État), appelle incriminations ces faits irrécusables et fait remarquer « la forme vague qu’elles affectent le plus souvent et leur indigence en observations directes, précises et suffisamment étendues ». C’est ainsi que l’on juge les observations et les travaux des docteurs Sarré, Étienne, Jacquemont, etc. L’enquêteur semble visiblement préoccupé d’atténuer. « Amica veritas, sed magis quam amicus minister. »
  14. Précis d’Obstétrique par Ribemont-Dessaigues et Lepage.
  15. Cité par le Dr Proust, dans son Traité d’Hygiène.
  16. M. Lissé du Mans a observé chez des ouvrières employées au secrétage, des avortements, des accouchements prématurés ou de mort-nés. Enfin les enfants mouraient en bas-âge. Il considère ces faits comme le résultat de l’influence mercurielle.
  17. D’après Hermann, les vaches qui paissent dans le voisinage des fourneaux d’Idria et sous le vent qui en vient avortent, et les veaux venus à terme périssent bientôt.
  18. Cité par le Dr Layet, dans l’Encyclopédie d’hygiène et de médecine publique, tome VI, page 609.
  19. Ergebnisse der Ermittlung über die Lohnverhaellnisse in der Waesche-Fabrication und der Konfektion Branche, etc. Stenographischen Bericht überdie Verhandlungen des Reichstags. VII, Legislat., Period ; I Session 1887. Band X 3, Anlage Band I, Art. 83 s. 698. (Interpellation sur les salaires dans l’industrie du blanchiment et dans la confection. — Compte rendu sténographique des sciences du Reichstag.

    Lire sur la tuberculose professionnelle un travail très documenté du docteur Thiercelin publié par le Mouvement socialiste.

  20. L’industrie de la couture et de la confection à Paris, par Léon de Seilhac.
  21. Extrait des Wohnungs-und Gesundheits — Verhaltnisse der Heimer — beiter in der Kleider — u. Wascheconfection. Service de la statistique du travail ; Ministère du commerce, Vienne, 1901.
  22. Les ouvrières de l’aiguille à Paris, Charles Benoist.
  23. le recensement de 1895 n’est pas une exception en ce qui concerne l’influence de l’industrialisation de la femme sur le mariage et le célibat. En effet, sur 17 427 ouvrières recensées en 1888, on constata que 15 387 étaient célibataires, 1 038 étaient veuves, 43 divorcées, 214 séparées, 745 seulement étaient mariées.

    (Fourth annual report of the Commissioner of labor, 1888, p. 325).

    .
  24. Voir le chapitre sur le chômage dans mon livre Les Superstitions politiques et les Phénomènes sociaux (Stock) 2e édition.
  25. La Prostitution Clandestine à Paris, par O. Commenge.
  26. Leroy-Beaulieu. — Travail des femmes, p. 377.
  27. Monnier. — Organisation du travail manuel des jeunes filles.
  28. Jules Simon. — L’Ouvrière, p. 172.