Contes coréens/Tchapoghui

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Traduction par Serge Persky.
Contes coréensLibrairie Delagrave (p. 63-66).

Tchapogui né sous le char.


TCHAPOGUI


Sous le roi Souk-Tzon-Tavani, vivait un pauvre hère nommé Kim-Khodoury.

Pour gagner sa vie, il allait abattre du bois dans la forêt voisine et le revendait.

Il faisait trois fagots par jour ; il en vendait deux et utilisait le troisième pour ses besoins domestiques.

Mais un étrange événement vint troubler son existence : il rentrait, chaque soir, trois fagots dans son enclos, et le lendemain matin, il n’en retrouvait que deux.

Le pauvre homme réfléchit ; comme il ne comprenait pas la raison de cette disparition, comme il était courageux à l’ouvrage, il résolut de faire quatre fagots.

Alors, ce fut le quatrième qui disparut.

« C’est bon, se dit le pauvre homme ; j’attraperai tôt ou tard le voleur. »

Quand vint la nuit, il se glissa dans la quatrième fascine et attendit.

Au milieu de la nuit, le fagot contenant le pauvre homme s’éleva et s’envola au ciel.

Les serviteurs d’Okonchanté, Dieu du Ciel, survinrent, délièrent la fascine et y trouvèrent Kim.

Lorsqu’on l’eut conduit devant Okonchanté, celui-ci lui demanda comment il était parvenu à monter au ciel. Kim le lui raconta avec force lamentations.

Alors, on apporta les livres où figurent le nom et la destinée de tous les vivants, et Okonchanté dit :

« Oui, tu es bien Kim-Khodoury ; il ne t’est pas donné de manger du vermicelle, mais seulement de la soupe à l’eau. »

Kim se mit à pleurer et demanda à changer de sort.

Il pleura tant que tous les habitants du ciel et Okonchanté lui-même eurent pitié de lui.

« Je ne puis t’être d’un grand secours, dit ce dernier, mais voici ce que je peux faire pour toi : prends le sort de quelqu’un et jouis-en jusqu’à ce que le dépouillé vienne vers toi. »

Okonchanté chercha dans les livres et ajouta :

« Prends le bonheur de Tchapogui, si tu veux. »

Kim le remercia, et au même instant les serviteurs d’Okonchanté le descendirent sur terre, à l’endroit où se trouvait sa chaumière.

Kim se coucha. Le lendemain, il se rendit chez un riche voisin et lui emprunta cent lians et dix mesures de millet.

Naguère personne n’aurait prêté à Kim quoi que ce fût, mais le sort de Kim avait changé, et le voisin lui accorda ce qu’il demandait sans aucune difficulté. Avec cette somme, Kim se mit à faire du commerce et il s’enrichit bientôt de telle manière qu’il devint l’homme le plus opulent de la Corée.

Tout le monde l’enviait ; lui seul savait que son bonheur n’était pas le sien, mais celui de Tchapogui. Nuit et jour, il attendait avec effroi la venue du terrible Tchapogui, qui lui ravirait d’un seul coup toute sa félicité.

« Je le tuerai », se dit Kim ; et il prépara un couteau, une épée et des flèches empoisonnées.

Un jour, voilà que deux mendiants, le mari et la femme, passèrent devant le palais de Kim.

Dans la cour se trouvait un char, sous lequel ils se cachèrent pour se mettre à l’abri des rayons du soleil.

La pauvre femme devint presque aussitôt mère d’un garçon, et l’enfant reçut le nom de Tchapogui, mot qui signifie : trouvé sous un char.

« Qui crie si fort sous ce char ? demanda Kim en arrivant dans la cour. »

— C’est Tchapogui ! » lui répondirent ses serviteurs.

Kim devint immobile comme s’il eût pris racine.

« Ah ! voilà donc mon créancier, se dit-il, ce n’est pas un individu terrible, mais un petit enfant sans défense, nu et misérable ! Gardons-nous de le tuer ! Je vais adopter ce Tchapogui, et, étant son père, je continuerai à vivre du bonheur de mon fils. »

C’est ce que fit Kim ; il vécut très longtemps, riche et heureux, comme père de celui qui naquit sous un char.