Contes du lit-clos/L’Horloge de Grand’mère

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Contes du Lit-ClosGeorges Ondet, Éditeur (p. 177-181).



L’HORLOGE DE GRAND’MÈRE




C’est une Horloge en châtaignier,
Au long coffre à la mode antique,
Que dut, longuement, travailler
Quelque Michel-Ange rustique :

Au bas, le sonneur de biniou
Fait face au sonneur de bombarde,
Durant qu’au fronton un hibou
De ses grands yeux ronds vous regarde.

Oh ! combien cela me charmait,
Quand j’étais tout petit, de suivre
La mort des Heures, que rythmait
L’énorme balancier de cuivre ;

Car, vraiment, lorsque, près d’un seuil.
On contemple une Horloge-close,
Elle a tout l’air d’un long cercueil
Où le Temps, qui n’est plus, repose !


La première Heure que chanta
L’Horloge de sa Voix profonde
Fut celle où grand’maman jeta
Son premier cri dans ce bas-monde,

Et ce fut ce Dong !, éclatant
De demi-heure en demi-heure,
Qui régla, dès lors, chaque instant
De ta Vie, Ô Toi que je pleure !

Dong ! Dong ! elle sonnait ainsi
Et l’Heure grave et l’Heure folle
L’Heure des jeux et l’Heure aussi
Où l’enfant partait pour l’école ;

Dong ! Dong ! le moment du Réveil,
Puis l’Heure où l’on se met à table ;
Dong ! Dong ! le moment du Sommeil
Quand passe le « Jeteur de sable » ;

Dong ! Dong ! l’Heure où, pour le Saint-Lieu,
On part, en bande, le Dimanche ;
L’Heure où, pour recevoir son Dieu,
Plus tard, on met sa robe blanche ;

Dong ! Dong ! la prime-aube du jour
Où l’on va travailler la Terre,
Et puis l’Heure où gémit d’amour
Le cœur las d’être solitaire !

Dong ! Dong ! les instants si joyeux
Où les petits gâs apparaissent ;
L’Heure digne où s’en vont les vieux
Pour faire place à ceux qui naissent !


… Et la Femme en âge avançait,
Devenait Maman, puis Grand’Mère…
Et l’Horloge aussi vieillissait
À tant sonner l’heure éphémère ;

Et Grand’Maman allait, venait,
Chaque jour de plus en plus frêle…
Et l’Horloge sonnait, sonnait,
D’une voix de plus en plus grêle ;

Quand de Grand’Maman la Raison
Sembla, pour toujours, endormie
L’Horloge, à travers la maison,
Sonna l’heure pour la demie ;

Et Grand’Maman, dans son lit-clos,
Agonisa, puis se tint coite…
Et ce furent de longs sanglots
Que pleura l’Horloge en sa boîte ;

Enfin, dans le lit, un soupir…
Et le grand balancier de cuivre
S’arrêta d’aller et venir
Quand Grand’Maman cessa de vivre…

Et Grand’Mère auprès des Élus
Est montée avec allégresse…
Et l’Horloge ne sonne plus :
Elle est morte aussi de vieillesse,

Morte à jamais ! C’est vainement
Qu’un grave horloger l’interroge :
C’était le Cœur de Grand’Maman
Qui battait dans la vieille Horloge !




(Cette poésie est éditée séparément. — G. Ondet, éditeur)