Contes du lit-clos/La Réponse de la Grand’Mère

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Contes du Lit-ClosGeorges Ondet, Éditeur (p. 243-246).



LA RÉPONSE DE LA GRAND’MÈRE




J’ai bien reçu, mon petit fieu,
La lettre où tu me dis adieu
Avant de partir en campagne,
Et je dicte la lettre-là
Que tu liras, bien loin déjà
De la Bretagne !

Je suis fille d’un matelot :
J’ai mon homme et trois gâs dans l’eau
— La vie est quelquefois bien rude ! —
J’en ai tant dit des : « Au revoir ! »
Que je devrais bien en avoir
Pris l’habitude

Pourtant, j’ai le cœur plein d’émoi :
C’est qu’aussi je n’ai plus que toi,
Plus que toi, tout seul, en ce monde,
Las ! que ferais-je, désormais.
Si je ne voyais plus jamais
Ta tête blonde ?

Mais je console mes chagrins
En me disant que les marins
Ne meurent pas tous à la guerre :
Vas-y gaîment, mon petit gâs,
Et reviens vite dans les bras
De ta grand’mère l


Pense à moi souvent, très souvent…
Et, chaque fois que le grand vent
Viendra de la côte bretonne,
Laisse-le te bien caresser :
Il t’apportera le baiser
Que je lui donne.

Je prîrai la Vierge d’Arvor,
Bien que j’invoque — et mieux encor
Sainte Anne… lorsque je suis seule :
C’est Elle qui doit, dans les cieux,
Protéger tous les petits-fieux,
La bonne Aïeule !

Retiens bien ce que je te dis :
Celle à qui tu donnas jadis
L’anneau d’argent des accordailles
Sera fidèle à votre amour
Et t’espérera jusqu’au jour
Des épousailles !

Sans adieu, mon petit Yvon :
Je dicte ces mots, qui s’en vont
Sonner bien doux à ton oreille,
À ta cousine Lénaïk,
Et je signe :
Veuve Rouzik,
Ta pauvre vieille !








(Musique de Théodore Botrel. — G. Ondet, éditeur.)