Contes du lit-clos/Le Vent qui rôde

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Contes du Lit-ClosGeorges Ondet, Éditeur (p. 191-193).
LE VENT QUI RODE




« Hou ! hou ! fait le Vent… Ouvrez votre porte !
— Oh ! que nenni dà ! — Hou ! hou ! que m’importe !
J’entrerai quand même en votre logis !
— Close, toute close est la maisonnée !
— Hou ! hou ! j’entrerai par la cheminée,
Et sans me brûler aux tisons rougis !… »
… Et, comme chez lui, chez nous il se loge,
S’en va de l’armoire à la grande horloge,
De l’horloge au lit des bons vieux parents ;
Et les tout petits sous leurs draps se cachent…
Mais il vient vers eux, car il faut qu’ils sachent
Quel sort les attend quand ils seront grands !…

Savez-vous pourquoi, désertant les flots

Couleur d’émeraude,
Le Vent rôde, rôde

Autour des lits-clos ?

               « Hou ! hou !
Écoutez, petits, dit le Vent qui vente
En adoucissant sa voix d’épouvante,
Écoutez, petits, au lieu de frémir ;
Je viens de très loin vous dire des choses
Comme au grand jamais vos mères moroses
Ne vous en ont dit pour vous endormir ;
Je sais une Fée, à la voix très douce,
Qui, pour bien bercer le beau petit mousse,

Chante une chanson si belle, lon là !
Que vous oublierez la mère et l’aïeule
Pour n’écouter plus, seule, toute seule,
Pour n’écouter plus que cette voix-là !… »

Savez-vous pourquoi, désertant les flots

Couleur d’émeraude,
Le Vent rôde, rôde

Autour des lits-clos ?

               « Hou ! hou !
Je sais une Fée aux yeux de mystère
Qui font oublier le ciel et la terre,
Et changent le rêve en réalité ;
Des yeux prometteurs d’extases sans nombre,
Des yeux tout remplis de clartés ou d’ombre,
Des yeux bleus ou verts à sa volonté ;
Elle a les cheveux couleur d’algues vertes
Et ses bras ouverts, et ses mains ouvertes,
Vous dispenseront d’immenses trésors
Comme n’en a pas la Terre inféconde,
Et qui vous feront les maîtres du monde
Car ils vous feront aussi les plus forts !… »

Savez-vous pourquoi, désertant les flots

Couleur d’émeraude,
Le Vent rôde, rôde

Autour des lits-clos ?

               « Hou ! hou !
Délaissez vos sœurs, délaissez vos mères,
Et n’écoutez pas leurs plaintes amères :
Le Dieu des « terriens » les consolera !
Imitez, enfants, vos pères, vos frères :

On les a traités de fous téméraires…
Où sont-ils allés ? Nul ne le saura…
… Ils sont au pays, pays chimérique,
Plus lointain que l’Inde et que l’Amérique
Qu’on a baptisé du mot : Inconnu !
Au pays d’oubli, d’extases divines,
Pays des coraux et des perles fines…
… Et voilà pourquoi nul n’est revenu !… »

Savez-vous pourquoi, désertant les flots

Couleur d’émeraude,
Le Vent rôde, rôde

Autour des lits-clos ?

               « Hou ! hou !
Et voilà pourquoi, lorsque viendra l’heure,
Tous, vous quitterez la mère qui pleure
Pour Celle de qui nous parlons tout bas…
Mais, en attendant, reprenez vos sommes ;
Demain, vous serez de beaux petits hommes :
La Fée aux yeux verts aime les beaux gâs !
                Hou ! hou ! »

Et le Vent rôdeur retourne à la grève…
Et les moussaillons font un joli rêve
Dans le creux douillet de leur oreiller :
Ils font leurs adieux à la maisonnée,
Ils rêvent que l’heure est déjà sonnée
Où leurs bâtiments vont appareiller !…

Et voilà comment, pourvoyeur des flots

Couleur d’émeraude,
Le grand Vent qui rôde

Fait les Matelots !




(Cette poésie est éditée séparément. — G. Ondet, éditeur.)