Contes du lit-clos/Le Vent qui rôde
« Hou ! hou ! fait le Vent… Ouvrez votre porte !
— Oh ! que nenni dà ! — Hou ! hou ! que m’importe !
J’entrerai quand même en votre logis !
— Close, toute close est la maisonnée !
— Hou ! hou ! j’entrerai par la cheminée,
Et sans me brûler aux tisons rougis !… »
… Et, comme chez lui, chez nous il se loge,
S’en va de l’armoire à la grande horloge,
De l’horloge au lit des bons vieux parents ;
Et les tout petits sous leurs draps se cachent…
Mais il vient vers eux, car il faut qu’ils sachent
Quel sort les attend quand ils seront grands !…
Couleur d’émeraude,
Le Vent rôde, rôde
« Hou ! hou !
Écoutez, petits, dit le Vent qui vente
En adoucissant sa voix d’épouvante,
Écoutez, petits, au lieu de frémir ;
Je viens de très loin vous dire des choses
Comme au grand jamais vos mères moroses
Ne vous en ont dit pour vous endormir ;
Je sais une Fée, à la voix très douce,
Qui, pour bien bercer le beau petit mousse,
Chante une chanson si belle, lon là !
Que vous oublierez la mère et l’aïeule
Pour n’écouter plus, seule, toute seule,
Pour n’écouter plus que cette voix-là !… »
Couleur d’émeraude,
Le Vent rôde, rôde
« Hou ! hou !
Je sais une Fée aux yeux de mystère
Qui font oublier le ciel et la terre,
Et changent le rêve en réalité ;
Des yeux prometteurs d’extases sans nombre,
Des yeux tout remplis de clartés ou d’ombre,
Des yeux bleus ou verts à sa volonté ;
Elle a les cheveux couleur d’algues vertes
Et ses bras ouverts, et ses mains ouvertes,
Vous dispenseront d’immenses trésors
Comme n’en a pas la Terre inféconde,
Et qui vous feront les maîtres du monde
Car ils vous feront aussi les plus forts !… »
Couleur d’émeraude,
Le Vent rôde, rôde
« Hou ! hou !
Délaissez vos sœurs, délaissez vos mères,
Et n’écoutez pas leurs plaintes amères :
Le Dieu des « terriens » les consolera !
Imitez, enfants, vos pères, vos frères :
On les a traités de fous téméraires…
Où sont-ils allés ? Nul ne le saura…
… Ils sont au pays, pays chimérique,
Plus lointain que l’Inde et que l’Amérique
Qu’on a baptisé du mot : Inconnu !
Au pays d’oubli, d’extases divines,
Pays des coraux et des perles fines…
… Et voilà pourquoi nul n’est revenu !… »
Couleur d’émeraude,
Le Vent rôde, rôde
« Hou ! hou !
Et voilà pourquoi, lorsque viendra l’heure,
Tous, vous quitterez la mère qui pleure
Pour Celle de qui nous parlons tout bas…
Mais, en attendant, reprenez vos sommes ;
Demain, vous serez de beaux petits hommes :
La Fée aux yeux verts aime les beaux gâs !
Hou ! hou ! »
Et le Vent rôdeur retourne à la grève…
Et les moussaillons font un joli rêve
Dans le creux douillet de leur oreiller :
Ils font leurs adieux à la maisonnée,
Ils rêvent que l’heure est déjà sonnée
Où leurs bâtiments vont appareiller !…
Couleur d’émeraude,
Le grand Vent qui rôde