Contes et légendes annamites/Légendes/046 La création des montagnes

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XLVI

LA CRÉATION DES MONTAGNES.



Quand le ciel et la terre commencèrent d’exister vivaient le seigneur Không lô et la dame Giâc hai. Không lô voulut épouser Giâc hai et alla lui faire sa cour. La dame lui dit : « Si vous voulez m’épouser il faut qu’en trois jours vous éleviez une montagne si haute que de son sommet l’on puisse voir toute la terre. J’en élèverai une moi aussi, si la vôtre est aussi haute que la mienne je vous épouserai. »

Không lô accepta le marché et en trois jours bâtit une montagne ; la dame, de son côté, en avait bâti une ; celle de Không lô se trouva moins haute ; la dame la démolit à coups de pied et dit à Không lô de recommencer. Elle se retira sur la sienne pour y faire pénitence. Telle est, dit-on, l’origine de la montagne de Tàyninh[1].

C’est pour cette raison que dans les six provinces les femmes sont plus riches que les hommes. Cela fut prédit par un devin du haut pays, qui vint au moment où les Annamites commencèrent à s’établir dans le sud et ne voulut point y demeurer.

L’on attribue à Không lô la formation de neuf collines, reste de la terre qu’il laissa tomber par suite de la rupture des fils qui suspendaient ses paniers.

Không lô alla de nouveau se proposer en mariage à la dame retirée sur sa montagne. Elle consentit à l’épouser s’il venait faire la demande accompagné de cent personnes. Không lô se mit en chemin avec cette suite, mais au passage d’une rivière il ne sut comment faire passer son monde. Il tendit sur la rivière un bâton[2] et les cinquante premiers étaient passés sans encombre, quand il se produisit un mouvement imprévu qui précipita les cinquante autres dans la rivière.

La dame les tira d’affaire ; elle ordonna ensuite à Không lô de porter un grand bloc de silex pour qu’ils puissent s’asseoir et se sécher, mais elle refusa de l’épouser. Không lô, furieux, s’en alla bâtissant partout des montagnes et c’est là l’origine de celles de la Basse-Cochinchine.



  1. Nui hà Den, montagne de la dame Den (den, noir ?) Sur la montagne de Tàyninh il y a une pagode très vénérée des Annamites et qui est visitée par de nombreux pèlerins. Les habitants de Tàyninh et les pèlerins s’abstiennent de prononcer le mot den (noir) qu’ils remplacent par thàm. Les pèlerins au cœur pur et plein de foi se sentent réconfortés à l’approche du sanctuaire ; les autres, au contraire, le voient toujours s’éloigner devant eux. On l’appelle, par excellence, diên bà (le palais de la dame) : les sorciers, les bonzesses prétendent qu’ils y ont été initiés, qu’ils y ont fait pénitence (â trên diên, tu trên diên) et se mettent ainsi en crédit.
  2. Que le docteur Swift nommerait, comme dit Voltaire.