Contes et légendes annamites/Légendes/120 Chatiment céleste

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Contes et légendes annamitesImprimerie coloniale (p. 295-297).


CXX

CHATIMENT CÉLESTE.




I


Il y avait deux époux qui s’étaient enrichis par l’usure. Ils avaient deux enfants, un garçon et une fille. Les parents moururent et la fille continua à habiter avec son frère. Une nuit de l’année 1872 qu’il faisait au dehors une tempête épouvantable, cette fille s’habilla et se para pour sortir. Son frère lui demanda où elle allait ; elle répondit qu’elle avait affaire dehors. Il voulut l’empêcher de sortir, mais elle persista dans son dessein et quitta la maison.

Elle ne revint pas de toute la nuit. Le lendemain on se mit à sa recherche et on la trouva dans un de leurs champs où elle était déjà engloutie jusqu’à mi-corps. Elle vivait encore et criait : « Cinq mauvais, trois bon ! Le riz hâtif est mêlé au riz du dixième mois[1]. » Autour d’elle la terre était brûlante, aussi ne put-on aller à son secours, et elle resta là à répéter toujours les mêmes phrases jusqu’au soir où elle disparut tout à fait. La terre se referma sur elle, noire et dure comme de la pierre, impénétrable à la pioche.

Cette histoire nous montre que les fautes des parents sont vengées sur les enfants. Les livres nous disent : « Près c’est pour nous, loin c’est pour nos descendants », c’est-à-dire que si les parents ont été vertueux ils laissent des mérites à leurs enfants, s’ils ont été méchants ils leur laissent des châtiments.


II


Il y avait quatre amis dont l’un était riche. Les trois qui étaient pauvres s’aimaient comme des frères. L’un d’eux était le frère germain de l’homme riche. Un jour le riche alla à la maison de l’un des trois autres et lui dit : « Tu es pauvre, je vais te prêter vingt ligatures pour aller faire le commerce. » L’autre consentit à les prendre et alla faire du commerce.

Le riche avait conçu de mauvais sentiments. Il avait une femme laide, tandis que son ami en avait une fort jolie, et il avait résolu d’écarter celui-ci afin de s’emparer de sa femme. Il tua donc la sienne, lui coupa la tête qu’il cacha dans le grenier à riz et prit le corps qu’il alla jeter dans la maison de son ami. Ensuite il enleva la femme de celui-ci et la cacha dans sa maison. Il avait chez lui une petite servante ; il eut peur qu’elle ne l’eut découvert, aussi lui fit-il boire d’une huile qui la rendit muette, afin qu’elle ne pût parler.

Quand l’ami revint de son voyage d’affaires il trouva dans sa maison le cadavre d’une femme morte et pensa que c’était sa femme. Le mandarin le fit arrêter, l’accusant d’être l’auteur de ce meurtre, et il fut condamné à mort. Sa mère alla partout chercher à emprunter mille ligatures pour racheter sa vie, mais elle ne les trouva pas.

Comme elle pleurait sur le chemin, elle rencontra les deux autres amis de son fils qui lui demandèrent ce qu’elle avait. Elle leur raconta ce qui était arrivé, et ils résolurent d’aller s’accuser eux-mêmes de ce meurtre afin de sauver leur ami. Ils allèrent donc se présenter au mandarin et s’accusèrent. La petite servante muette qui savait qu’ils n’étaient pas coupables leur faisait signe de ne pas s’accuser. Le mandarin surprit ces signes et pensa que cette enfant devait savoir quelque chose. Il fit donc prendre à cette servante une drogue qui la guérit de son infirmité, alors elle raconta comment les choses s’étaient passées et dit que tous les accusés étaient innocents.

Le mandarin condamna l’assassin à être décapité, mais ses amis demandèrent sa grâce et elle leur fut accordée. Seulement, comme il sortait du tribunal le tonnerre le frappa, un tigre emporta son cadavre et le dévora.



  1. Nàm xâu, ba tôt ; lûa chiêm tôn voi lûa mùa.