Contes et légendes des Bretons armoricains/Notice

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Texte établi par Anatole Le BrazHenri Gautier Editeur (p. --326).






FRANÇOIS-MARIE LUZEL


Notice.


« Le véritable titre littéraire de la Bretagne, écrit M. Loth, doyen de la Faculté des lettres de Rennes, c’est sa merveilleuse collection, de jour en jour plus considérable, de légendes et de chants populaires. » Si cette collection a échappé presque entière au grand naufrage qui menace toute forme de littérature non fixée, c’est principalement à M. Luzel qu’on en est redevable.

François-Marie Luzel naquit à Plouaret, petit chef-lieu de canton des Côtes-du-Nord, dans le courant de l’année 1821. Sa famille, originaire du Finistère, avait acquis le manoir de Keramborgne dont elle exploitait elle-mème les vastes dépendances. Ce fut là son berceau. Il y passa toute son enfance dans la compagnie, qui devait à jamais lui rester chère, des laboureurs, des bouviers et des pâtres. À diverses reprises, dans les préfaces de ses livres ou dans ses rapports au Ministère de l’Instruction publique, il s’est plu à retracer le tableau de ces jours lointains, à faire revivre ce milieu rustique, les longues veillées d’hiver autour du foyer flambant, les graves entretiens, les propos facétieux, l’apparition soudaine, signalée par les abois du chien de garde, de quelque mendiant nomade, conteur de légendes ou chanteur de chansons. La première école où il fréquenta fut celle du bourg, où il eut pour condisciple, pour compagnon de travail et d’escapades, le peintre Yan Dargent, destiné à devenir, lui aussi, une des illustrations les plus sympathiques de la Bretagne.

C’est principalement sur ces premières années qu’il importera d’insister, quand on se mêlera d’écrire sur Luzel une étude complète et définitive. Le jour où, sur les conseils de son oncle, M. Le Huérou, le savant auteur des Institutions Mérovingiennes, il quitta Keramborgne pour entrer comme élève interne au Collège royal de Rennes, il avait en lui le germe de sa vocation. Les divers apprentissages qu’il fit par la suite contrarièrent sans doute quelque temps, mais en le renforçant peut-être d’autant plus, l’instinct secret qui l’entraînait vers sa vraie voie. Ses parents désiraient qu’il fût médecin. Il étudia d’abord à Brest, puis il se rendit à Paris. Les petits cénacles littéraires de l’époque l’attirèrent bientôt plus que les amphithéâtres et les salles de dissection. Il fut admis dans le commerce de Théophile Gautier, de Maxime Du Camp, de Mürger, de Baudelaire. Il assista aux plus subtiles discussions d’art. Sa simplicité native n’en fut ni corrompue, ni même altérée.

Les vacances le ramenaient à Keramborgne. Il s’y retrouvait avec un vif sentiment d’aise, parmi les humbles dont l’âme, riche de poésie, de traditions, de légendes, commençait à le passionner. Il nous a légué les noms de quelques-uns d’entre eux : Jean Kerglogor, le montreur d’images ; Garandel, surnommé Compagnon l’Aveugle, sorte d’Homère bas-breton ; Prigent, un pauvre d’esprit et un thésauriseur de rêves ; Marguerite Philippe surtout, qu’il ne connut que plus tard et qui fut une de ses collaboratrices les plus fécondes. Les récits de ces braves gens l’enchantaient. Il se mit de bonne heure à les transcrire sous leur dictée.

Cependant il fallait vivre. Sa carrière fut d’un pur Celte, tiraillé dans les sens les plus divers. On le vit tour à tour professeur de collège, employé de préfecture, journaliste, juge de paix. En dernier lieu, il était archiviste du Finistère. Mais si multiples qu’en aient été les aspects, aucune existence ne fut, en réalité, plus une. M. Luzel, à vrai dire, n’a été que l’homme d’une seule tâche. Toute son activité a été consacrée à ressusciter le passé poétique ou légendaire de la Bretagne, à fixer une image fidèle, désormais impérissable.

Il exhuma des antiques bahuts des fermes les manuscrits de mystères qui achevaient d’y moisir. Il publia coup sur coup les Gwerziou et les Soniou Breiz-Izel qui constituent une des plus belles collections de chants populaires qui aient jamais été éditées. Il donna enfin cinq volumes de contes (deux de Légendes chrétiennes et trois de Contes mythologiques) dont la réputation s’étendit promptement à toute l’Europe. Il préparait, quand la mort l’a Surpris, en mars 1895, un sixième recueil, digne de prendre rang auprès de ses ainés. C’est à cet ouvrage encore inédit que nous avons emprunté les « histoires » merveilleuses ou funèbres qu’on va lire.

Ce sont de scrupuleuses traductions, sans fausse parure, sans ornement apprêté. M. Luzel était, en ces matières, d’une absolue probité scientifique. « Tous mes contes, écrit-il, ont d’abord été recueillis dans la langue où ils m’ont été contés, c’est-à-dire en breton. J’ai conservé mes cahiers qui font foi de la fidélité que je me suis efforcé d’apporter dans la reproduction de ce que j’entendais, sans rien retrancher, et surtout sans rien ajouter aux versions de mes conteurs. » La Bretagne peut se mirer dans son œuvre ; il l’y a fixée telle qu’elle s’est révélée à lui. L’âme bretonne, comme on dit, n’a jamais eu d’historien à la fois plus enthousiaste et plus consciencieux.