Correspondance 1812-1876, 2/1836/CLIII

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CLIII

À M. AUGUSTE MARTINEAU-DESCHENEZ, À PARIS


Nohant, 21 août 1836.


Tu sais que mon procès est terminé. Je suis à Nohant en liberté et en sécurité. Je ne te parlerai plus de mes affaires. Les journaux sont là pour raconter ces mortels ennuis que je veux oublier, et sur lesquels il ne m’est pas possible de revenir, même avec mes plus chers amis.

Je comptais aller à Paris chercher Maurice, qui entrait en vacances et serrer la main de mes bons camarades. Mais le tracas de mes affaires en désarroi m’a retenue à Nohant quelques jours de plus que je ne pensais. Pendant ce temps, Maurice est venu me trouver. Maintenant que le voilà hors du triste Paris, il n’a guère envie d’y retourner avant la fin des vacances. Pour le distraire de son année scolaire et de mes angoisses, qu’il a si vivement partagées, je l’emmène, ainsi que Solange, à Genève, où Liszt et une dame fort distinguée, que j’aime beaucoup et qui tient de fort près à mon ami le musicien, nous attendent depuis longtemps.

Nous partons le 28, et nous reviendrons à Paris tous ensemble à la fin du mois. Ne dis à personne que je vais faire ce petit voyage. Un tas d’oisifs viendraient m’y relancer, soit par écrit, soit en personne, et je vais tâcher d’oublier la littérature au bord des lacs.

Je te verrai donc au mois d’octobre, mon cher Benjamin, et, si je puis t’enlever, je t’emmènerai passer quelque temps à Nohant. Tu es employé du gouvernement, pauvre enfant ! arrange-toi alors pour avoir une bonne maladie de poitrine ou d’estomac (censé, comme dit Maurice), afin de prendre l’air de la campagne sous mes vieux noyers et sous l’aile paternelle de ton vieux George.

Donne-moi, en attendant, de tes nouvelles à Genève sous le couvert de Liszt, Grande Rue, et aime-moi comme je t’aime.

Adieu.