Correspondance 1812-1876, 4/1861/CDLXXXII

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CDLXXXII

À MADAME PAULINE VILLOT, À PARIS


Nohant, 11 juin 1861.


Chère cousine,

Je suis à Nohant, bien contente de retrouver ma vieille maison tranquille, et d’avoir vu, en courant, une partie de la Savoie, un des plus beaux pays que je sache. Vous me donnez de grands regrets de n’avoir pas attendu notre ami, mais je ne pouvais plus retarder mon départ. Je vous envoie une lettre pour lui, puisque vous avez la bonté de vous en charger et que vous savez où le prendre.

J’aurais bien voulu l’entendre dire les belles choses qui vous ont charmée ; car j’aime à écouter, et, avec lui, on a tout profit. Son succès parlementaire a étonné bien des gens qui se faisaient de lui une fausse idée ; mais ce n’est ni vous, ni moi, ni aucun de ceux qui l’ont entendu causer, qui ont pu être surpris de la force de son raisonnement et du charme de sa parole. Il y a en lui de grandes facultés, de grandes qualités et de grandes séductions. Pourquoi une entrave inconnue, venant d’ailleurs, ou de quelques accès de secret découragement, rend-elle si rare pour lui l’occasion de frapper de grands coups ? Je ne sais quelle chaîne engage souvent ce puissant et généreux esprit. Cela se perd pour moi dans la nuit des considérations politiques. Quel malheur pour lui et pour la France qu’il ne soit pas un simple publiciste ou un orateur libre de parler en toute occasion !

J’arrive chargée de plantes qui feront, j’espère, le bonheur de Lucien, si ce petit gueux persévère dans la botanique. J’ai un immense rangement à faire dans mes herbes ; mais il y en a un bien pire à faire dans la maison. J’avais un affreux cabinet de travail qui me donnait le spleen, on m’en fait un nouveau, tout simple mais bien propret, où je travaillerai avec plaisir.

En attendant, je ne sais où fourrer ma personne, mes bouquins et mes paperasses. Tout cela sera arrangé pour les vacances, et vous pourrez vous asseoir dans mon atelier sans crainte d’être dévorée par les souris.

Maurice est toujours au delà des mers, enchanté de l’Algérie et me chargeant de toutes ses tendresses pour vous et pour son Lucien. Et moi, chère, je vous aime bien, et vous apprécie chaque jour davantage.

G. SAND.