Correspondance avec Élisabeth/Élisabeth à Descartes - Berlin, 21 février 1647

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- Descartes à Élisabeth - Egmond, décembre 1646 Correspondance avec Élisabeth - Descartes à Élisabeth - La Haye, mars 1647


Monsieur Descartes,

J'estime la joie et la santé autant que vous le faites, quoique j'y préfère votre amitié aussi bien que la vertu, puisque c'est principalement de celle-là que le tiens l'une et l'autre, joint à la satisfaction d'esprit qui surpasse encore la joie, m'ayant enseigné le mayen d'en avoir. Je ne pouvais non plus manquer en la résolution que j'avais prise de n'user point de remède pour la petite incommodité qui me restait, puisqu'elle a rencontré votre approbation. Je suis à cette heure si bien guérie de ces apostèmes, que le ne crois pas avoir besoin de prendre des médicaments pour purger le sang au printemps, m'ayant assez déchargée par là de mauvaises humeurs, et exemptée, à ce que je crois, des fluxions que le froid et les poêles m'auraient données autrement.

Ma sur Henriette a été si malade que nous l'avons pensé perdre. C'est ce qui m'a empêché de répondre plus tôt à votre dernière, m'obligeant d'être toujours auprès d'elle. Depuis qu'elle se porte mieux, nous avons été obligés de suivre la Reine Mère de Suède, tous les jours en traîneau, et les soirs aux festins et aux bals, qui sont des divertissements très incommodes à ceux qui s'en peuvent donner de meilleurs, mais qui incommodent moins, lorsqu'on le fait pour et avec des personnes desquelles on n'a point sujet de se méfier. C'est pourquoi j'ai plus de complaisance que je n'avais à La Haye.

Je serais toutefois plus aise de pouvoir employer mon temps à la lecture du livre de Regius et de vos sentiments là-dessus. Si je ne retourne à La Haye l'été qui vient, comme je n'en puis répondre, quoique je n'aie point changé de résolution, parce que cela dépend en partie de la volonté d'autrui et des affaires publiques, je tâcherai de me faire venir celui-là par les vaisseaux qui vont d'Amsterdam à Hambourg, et j'espère que vous me ferez la faveur de m'envoyer ceux-ci par l'ordinaire. Toutes les fois que je lis vos écrits, je ne saurais m'imaginer que vous pouvez, en effet, vous repentir de les avoir fait imprimer, puisqu'il est impossible qu'enfin ils ne soient reçus et apportent de l'utilité au public.

J'ai rencontré depuis peu ici un seul homme qui en avait vu quelque chose. C'est un docteur en médecine, nommé Weis, fort savant aussi. Il m'a dit que Bacon lui a premièrement rendu suspecte la philosophie d'Aristote, et que votre méthode la lui a fait entièrement rejeter, et l'a convaincu de la circulation du sang, qui détruit tous les anciens principes de leur médecine; c'est pourquoi il avoue d'y avoir consenti à regret. Je lui ai prêté à cette heure vos Principes, desquels il m'a promis de me dire ses objections : s'il en trouve, et qu'ils en méritent la peine, je vous les enverrai, afin que vous puissiez juger de la capacité de celui que je trouve être le plus raisonnable entre les doctes de ce lieu, puisqu'il est capable de goûter votre raisonnement; mais je m'assure que personne ne le saurait être, de vous estimer à un plus haut point que fait Votre très affectionnée amie à vous servir, Élisabeth.