Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 1/0024

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Louis Conard (Volume 1p. 32-33).

24. AU MÊME.
Rouen, dimanche [28 octobre 1838].

Me voilà enfin remis sur pattes et à table, à cette table que j’avais été forcé de quitter pendant quelque temps, et vers laquelle je reviens plus affamé et plus amoureux que jamais. Demain j’irai au collège en fumant « la vieille » comme à mon ordinaire ; tu sais que je n’ai rien perdu — que le temps — chose précieuse quand il aurait dû être passé en ribotes, puisque tu avais eu la bonté de te déranger pour nous dire adieu. Enfin tant pis, ce sera pour une autre fois et je te jure que je me vengerai de la raillerie du ciel qui m’avait rendu si c..

Orlowski est venu tout à l’heure me voir ; il est toujours aussi facétieux. Pour Me Le Poittevin, il me dédaigne, il ne vient plus me voir que tous les deux jours, tellement il est empêtré dans ses projets d’ameublement, et tu sais qu’il ne faut rien pour lui donner un embarras du diable.

J’ai presque fini les Confessions de Rousseau et je t’engage fort à lire cette œuvre admirable, c’est là la vraie école de style.

À peine sorti du lit, j’ai repris la lecture de ce bon Rabelais que j’avais un peu négligé depuis quelque temps, mais j’ai continué avec un nouveau plaisir et je touche à la fin. Je te recommande le chapitre où il est question de Me Gaster. Mon Rabelais est tout bourré de notes et commentaires philosophiques, philologiques, bachiques, etc…

Écris-moi dans ta prochaine lettre quelque bonne blague, car pour moi j’ai l’esprit à sec.

Adieu, je vais déjeuner puis fumer une pipe.

Tout à toi. Embrasse toute ta famille […]