Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 1/0031

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Louis Conard (Volume 1p. 47-48).

31. AU MÊME.
31 mai 1839, onze heures, vendredi.

C’est demain qu’on se marie […].

Je suis dans une atmosphère de dîners. Mercredi dernier, Achille nous a payé son dîner d’adieu chez Jay. Le grand homme d’Orlowski l’avait commandé d’une façon pas trop canaille. Le frappé, c’était l’ordinaire ; à 5 nous avons bu 7 [bouteilles] de champagne, 1 de Madère, 1 de Chambertin. Hier, chez la mère Lormier, je me suis foutu une culotte ; demain j’y déjeune, j’y dîne, je recommence à m’empiffrer. Dimanche, c’est à la maison iterum ; le dimanche suivant, iterum. Ter quaterque beatus qui sic dinare possit !

Et avec tout cela, je m’ennuie, je m’emmerde, j’ai le cœur plus vide qu’une botte, je ne puis ni lire, ni écrire, ni penser ; il y a de beaux ans que je n’ai touché à un livre d’histoire. Merde pour l’homme aux études ! — Les historiens, les philosophes, les savants, les commentateurs, les philologues, les vidangeurs, les ressemeleurs, les mathématiciens, les critiques, etc…, de tout ça j’en fais un paquet et je les jette aux latrines.

Vivent les poètes, vivent ceux-là qui nous consolent dans les mauvais jours, qui nous caressent, qui nous embrasent ! Il y a plus de vérité dans une seule scène de Shakespeare, dans une ode d’Horace ou de Hugo, que dans tout Michelet, tout Montesquieu, tout Robertson.

Adieu, écris-moi vite […].