Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 1/0061

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Louis Conard (Volume 1p. 108-109).

61. À SA SŒUR.
[Paris], 3 juillet (?) 1842.

Ta lettre m’a fait bien plaisir, mon pauvre rat, puisqu’elle m’a donné de toi de bonnes nouvelles ; je souhaite que celles qui succéderont se ressemblent. J’ai vu avec plaisir pour vous qu’il y avait peu de monde à Trouville, de sorte que vous n’êtes pas embêtés du bourgeois.

Si tu savais comme on s’ennuie l’été à Paris et comme on pense aux arbres et aux flots, tu te trouverais encore bien plus heureuse. Te rassasies-tu à plaisir de la vue de la dune ? Savoures-tu bien tous les délices du cottage ? etc., etc. Réponds-moi des lettres détaillées.

Je quitte demain le quartier bon ton et je m’en vais loger rue de l’Odéon, 35, dans l’ancien logement d’Ernest. Mardi matin je commence donc ma vie féroce.

M. Cloquet viendra probablement à la fin du mois d’août passer quatre ou cinq jours avec sa fille à Trouville : Mlle Lise part pour Toulon le 15 juillet.

Quel grand homme c’est qu’Ernest Delamarre !!! Il monte des chevaux pur sang sur le boulevard, déjeune chez Tortoni, va parler à des grooms chez des marchands de vin et fait sa correspondance d’assurance. Il est indigné de ce que je porte les cheveux longs et il voulait à toute force, hier, m’entraîner chez un perruquier pour me les faire couper à la mode. Il a une balle et un genre de plus en plus divertissants. J’ai été deux fois déjà aux écoles de natation. J’ai haussé les épaules de pitié. Tous crétins ! une eau sale, des moutards ridicules ou des vieillards stupides qui y clapotent. Il n’y en avait pas un qui fût digne seulement de me regarder nager !