Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 1/0124

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Louis Conard (Volume 1p. 258-259).

124. À LA MÊME.
Jeudi, 1 heure du matin, 21 août 1846.

Seul maintenant ! tout seul !… C’est un rêve. Oh qu’il est loin ce passé si récent ! Il y a des siècles entre tantôt et maintenant. Tantôt j’étais avec toi, nous étions ensemble. Notre pauvre promenade au bois ! Comme le temps était triste ! Ce soir, quand je t’ai quittée, il pleuvait. Il y avait des larmes dans l’air, le temps était sombre.

Je repense à notre dernière réunion à l’hôtel, avec ta robe de soie ouverte et la dentelle qui serpentait sur ta poitrine. Toute ta figure était souriante, ébahie d’amour et d’ivresse. Comme tes yeux doux brillaient !

Il y a 24 heures ; t’en souviens-tu ? Oh ! ne pouvoir rien ressaisir d’une chose passée ! Adieu, je vais me coucher et lire dans mon lit, avant de m’endormir, la lettre que tu avais écrite en m’attendant.

Adieu, adieu, mille baisers d’amour. Si tu étais là je t’en donnerais comme je t’en ai donné. J’ai encore soif de toi, je ne suis pas assouvi, va !

Adieu, adieu.