Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 4/0544

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Louis Conard (Volume 4p. 203-204).

544. À MADEMOISELLE LEROYER DE CHANTEPIE.
Croisset, 3 juillet 1857.

Merci [mille fois] de l’article et [mille fois encore] ! J’ai reçu tout le paquet.

L’approbation, la sympathie d’un esprit comme le vôtre m’est plus agréable mille fois que les injures de l’Univers ne me sont odieuses. Car vous saurez, chère lectrice, que j’ai été fortement injurié par ce journal et par beaucoup d’autres, — ce qui m’est complètement égal, je vous assure.

Tous ces gens-là sont des sots. Aucun n’a dit contre mon livre ce qu’il y avait à en dire. J’en sais plus long qu’eux tous là-dessus. Ainsi, on m’a reproché (dans la Revue des Deux Mondes, entre autres) des fautes de français qui n’en sont point, tandis qu’il y en avait une, une grossière, palpable, évidente, une vraie faute de grammaire, et qui se trouvait au début, dans la dédicace. Pas un ne l’a vue. On ne la verra plus, du reste, car je l’ai fait enlever au second tirage qui a eu lieu il y a un mois. Tout cela, du reste, est fort peu important et très misérable. Il faut, quand on veut faire de l’Art, se mettre au-dessus de tous les éloges et de toutes les critiques. Quand on a un idéal net, on tâche d’y monter en droite ligne, sans regarder à ce qui se trouve en route.

J’ai une très longue lettre à vous écrire, j’attends la vôtre pour cela ; j’ai voulu seulement ce soir vous dire merci.

Un mot sur vous cependant. Puisque la musique vous fait tant de bien, pourquoi ne venez-vous pas l’hiver, à Paris, en entendre ? C’est une mauvaise chose que de vivre toujours aux mêmes endroits ; les vieux murs laissent retomber sur notre cœur, comme la poussière de notre passé, l’écho de nos soupirs oubliés et le souvenir des vieilles tristesses, ce qui fait une tristesse de plus.

Vous étouffez, il vous faut de l’air.

Mille tendres bonnes choses. Tout à vous.