Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 6/1058

La bibliothèque libre.
Louis Conard (Volume 6p. 65-66).

1058. À PHILIPPE LEPARFAIT.
Jeudi matin.
Mon cher enfant,

Maintenant que nous sommes entièrement libres, je vais agir.

Envoie-moi encore deux ou trois pièces comme Paix des neiges et la Fille du fossoyeur, enfin tout ce que tu pourras, afin de donner, d’un seul coup, un morceau au Moniteur, que je tiens à ménager.

Tu sais qu’il m’a proposé de publier tout Aïssé dès le lendemain de la première.

Quant au moment où il faut la faire jouer, novembre ou janvier, les avis sont partagés. C’est en somme peu important et moi j’aime mieux janvier. Il ne faut jamais avoir un grand nom derrière soi ; on vous talonne… on vous écourte. N’aie pas peur, j’aurai Berton père et Beauvallet. Je suis disposé à être rébarbatif, chien et insociable. Je vengerai notre pauvre vieux qui a tant souffert de ces canailles-là. Je te dirai même que je voudrais avoir un prétexte pour me fâcher avec l’Odéon, car les Français ont envie d’Aïssé, et là tu gagneras beaucoup plus ; mais l’Odéon ne me lâchera pas. Il y aura des brouilles, des raccommodements ; puis tout ira supérieurement, j’en suis sûr.

Remercie ce brave Malenfant de sa bonne lettre. J’attends l’envoi de Malot et celui de Caudron.

Mon déménagement m’occupe beaucoup, et je corrige trois épreuves par jour ; tu vois que je suis occupé.

Embrasse ta mère pour moi et qu’elle te le rende.

Ton G. Flaubert.

Ma position avec l’Odéon est superbe car ce n’est pas ma pièce et je puis parler haut, sans ridicule ; de plus j’apporte un succès ; de plus Chilly (ceci est en dehors d’Aïssé) m’a refusé un petit engagement d’actrice, poliment, c’est vrai, mais c’est un précédent dont je me servirai.

Je te répète, mon bon Philippe, qu’en agissant aussi noblement que tu l’as fait, tu n’as pas agi sottement ; au contraire !