Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 6/1096

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Louis Conard (Volume 6p. 110-111).

1096. À GEORGE SAND.
[Paris.] Mardi matin [19 avril 1870].
Chère Maître,

Ce n’est pas le séjour de Paris qui me fatigue, mais la série de chagrins que j’ai reçus depuis huit mois ! Je ne travaille pas trop, car sans le travail que serais-je devenu ? J’ai bien du mal à être raisonnable, cependant. Je suis submergé par une mélancolie noire, qui revient à propos de tout et de rien, plusieurs fois dans la journée. Puis, ça se passe et ça recommence. Il y a peut-être trop longtemps que je n’ai écrit. Le déversoir nerveux fait défaut.

Dès que je serai à Croisset, je commencerai la notice sur mon pauvre Bouilhet, besogne pénible et douloureuse dont j’ai hâte d’être débarrassé pour me mettre à Saint Antoine. Comme c’est un sujet extravagant, j’espère qu’il me divertira.

J’ai vu votre médecin, le sieur Favre, qui m’a paru fort étrange et un peu fol, entre nous. Il doit être content de moi, car je l’ai laissé parler tout le temps. Il y a de grands éclairs dans ses conversations, des choses qui éblouissent un moment, puis on n’y voit plus goutte.