Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 7/1440

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Louis Conard (Volume 7p. 123-124).

1440. À SA NIÈCE CAROLINE.
[Paris], samedi soir [28 février 1874].
Mon Loulou,

La première est décidée pour vendredi, et la répétition générale pour mercredi. Mais, d’ici là, il y aura encore du changement. Je pourrais bien n’être joué que samedi ou lundi. À la grâce de Dieu, du reste ! Je ne pense plus du tout au « Candidat ! » Tel est mon caractère. C’est une idée usée dans mon cerveau. Tant mieux ! je n’en serai que plus calme. Mais ce qui m’exaspère, ce sont les gens qui me demandent des places ! Il y a des âmes sans pitié ! J’en cognois qui m’ont écrit jusqu’à six lettres pour avoir un balcon ! Mon pauvre Bouilhet avait l’idée d’un livre intitulé les Gladiateurs modernes. Je comprends maintenant la profondeur de son idée. Il faut que nous amusions, dussions-nous en crever !

Il me sera impossible de donner (même en location) le quart des places que j’ai promises. Bonsoir !…

Je ne sais pas pourquoi je t’écris, ce soir. Car je n’ai rien à te dire : par besoin de causer, sans doute. Nous nous voyons si peu ! et je te ferai observer, à ce propos, que tu ne viens jamais me faire de visites ! tandis que tu vas chez un tas d’imbéciles, soit dit sans t’offenser.

Probablement que lundi, vers 4 heures du soir, je passerai chez toi en revenant de chez Charpentier, où je resterai tout l’après-midi à relire Saint Antoine. Nous avons laissé échapper des fautes. — C’est mardi qu’on m’a promis mes places.

Mon rhume dure toujours. Je suis très fatigué, doux et mélancholieux.

Ta vieille Nounou.