Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 7/1495

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Louis Conard (Volume 7p. 200-201).

1495. À SA NIÈCE CAROLINE.
[Croisset]. Samedi soir, 5 heures [19 septembre 1874].

Comment ! pas de lettre ! Vieux croyait bien en trouver une, ici, à son retour ! et Vieux en est d’autant plus marri qu’il se trouve présentement souffreteux. Depuis jeudi matin, je suis en proie à une colique abominable ; à peine si je peux me tenir sur mes jambes. Je ne fais que monter et descendre l’escalier. Enfin, si je ne vais pas mieux lundi, j’emploierai des moyens énergiques ! Cette indisposition me cause une telle fatigue que j’ai dormi hier quatorze heures d’affilée, et cette nuit douze.

J’ai trouvé ici Mlle Julie, enchantée d’être revenue dans sa maison et d’y voir ! Il lui semble qu’elle renaît. Elle distingue des choses qu’elle n’avait pas vues depuis plusieurs années. Cependant elle est loin d’être guérie ; son œil droit se rétablit difficilement.

On m’a renvoyé aujourd’hui, de Paris, la lettre ci-jointe, à laquelle je prie ton mari de faire droit. Je croyais cette affaire terminée. Qu’elle le soit donc ! et promptement.

Autre réclamation audit sieur Commanville : MON VIN ! Je ne vois venir aucune barrique de vin !

J’ai beaucoup cabotiné pendant ces derniers jours. Mes acteurs seront satisfaisants. J’en aurai même quelques-uns de bons, entre autres Mme Hamet (celle qui a joué dans les Deux Orphelines le rôle de la Frochard). Pour ma Cocotte, j’en aurai une très belle (Cocotte), Mlle Kléber, mais j’ignore son talent.

Peragallo (l’agent dramatique) m’a demandé la Féerie, sûr, dit-il, de la placer. Je la lui donnerai quand je reviendrai à Paris, vers la fin d’octobre, sans doute. Je voudrais d’ici là avoir fini l’introduction de Bouvard et Pécuchet. Je me sens en bonne disposition de travail. Mais je suis gêné par mes désordres intestinaux qui m’empêcheront demain d’aller dîner chez Mme Lapierre.

J’espère que demain matin j’aurai des nouvelles de ma pauvre fille. Il faudra que tu viennes pendant le mois d’octobre, mon loulou, d’abord pour me voir et puis pour décider que faire de Julie pendant mes absences.

Adieu, pauvre chat. Je t’embrasse tendrement.

Ta vieille Nounou.

Mes amitiés à Frankline. Je regrette de n’être pas en tiers dans votre aimable société.