Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 7/1511

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Louis Conard (Volume 7p. 217-218).

1511. À SA NIÈCE CAROLINE.
[Rouen], samedi, 3 heures, 14 novembre 1874.

Zola m’a écrit, hier, que je ferais bien de venir tout de suite à Paris, pour surveiller les engagements d’acteurs avant ma lecture. Il me dit de prendre garde à Mlle Kléber et de ne pas faire comme lui, c’est-à-dire de ne pas me laisser leurrer, berner. De plus, Jules Godefroy m’a écrit ce matin qu’il tenait à ma disposition les notes agricoles que je lui avais demandées.

Donc, ma chérie, je m’en irai lundi avec un « des Chapeaux[1]… » et je dînerai chez toi. Mon intention était de t’écrire une vraie lettre pour répondre aux choses gentilles que contenait la tienne ; mais à peine avais-je la plume en main que Nion est entré. Sa visite a duré près de trois heures ! Il en est six maintenant. Du reste, elle ne m’a pas ennuyé, car il m’a conté des potins de Rouen assez drôles.

J’attends immédiatement le jeune Philippe. Laporte, dînant demain rue de la Ferme, reviendra pour déjeuner. J’emploierai mon après-midi à faire mes paquets. Jamais je n’ai été moins content de partir. Tantôt, quand j’ai vu Julio s’en aller, j’ai été pris d’un mouvement d’amertume inconcevable. Ce trimbalage régulier de Paris à Croisset et de Croisset à Paris me devient lourd !

Et il faisait aujourd’hui un temps splendide. Je me suis promené pendant une heure sur la terrasse. Les feuilles des boules de neige étaient absolument pareilles à des feuilles d’or. Elles se détachaient sur le bleu du ciel avec une violence artistique.

Adieu, pauvre chat, à bientôt.

Je t’embrasse à deux bras bien tendrement.

Ta vieille ganache d’oncle.


  1. « Les Chapeaux », surnom donné par Flaubert à Mmes Lapierre et Brainne.