Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 8-9/1924

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Louis Conard (Volume 8p. 342-343).

1924. À MADAME X***[1].
[Croisset, décembre 1879].
Madame,

Voici une heure que j’ai reçu votre lettre et j’y réponds immédiatement pour vous calmer, car votre inquiétude m’inquiète. Comment ! une émeute est imminente et la Champagne va devenir prussienne ? Ah non, ça, c’est trop ! En quoi notre temps est-il « étrange » ? Je ne comprends rien à tout cela ! Nous sommes, au contraire, dans le calme, la platitude. Avez-vous peur de Blanqui ? de Humbert ? L’élection de Javel vous terrifie-t-elle ? Ce serait trop naïf !

Quant à mes bonshommes, c’est parce qu’on les assomme avec Ségur et ses pareils qu’ils tournent à l’indifférence, et ce procédé-là est « tout à fait digne de moi » — bien que vous en disiez, ma chère amie.

Depuis trois mois je ne lis que des livres de dévotion moderne. Aujourd’hui, j’ai expédié le Manuel des jeunes communiants où il y en a des raides. « Avez-vous commis des actes déshonnêtes avec des animaux, etc… », page 376 ! Ce qui est peut-être un souvenir de ce passage de la Mischna : « Il n’est pas bon à l’homme prudent de rester seul avec un animal, surtout si c’est un quadrupède ! »

L’importance qu’on donne aux organes uro-génitaux m’étonne de plus en plus.

Et notre ami le P. Didon qui débagoule sur le divorce et le mariage !… Peut-on s’occuper de niaiseries pareilles ?

Je vous assure qu’en ces matières je suis un peu plus qu’un amateur. Eh bien ! Le cœur me saute de dégoût ! Pie IX — le martyr du Vatican — aura été funeste au catholicisme. Les Dévotions qu’il a patronnées sont hideuses ! Sacré-Cœur, Saint Joseph, entrailles de Marie, Salette, etc., cela ressemble au culte d’Isis et de Bellone dans les derniers jours du paganisme. En signalant ce symptôme je suis dans le vrai — et je fais mon devoir.

Je n’ai encore rien lu de Nana. Quant aux Rois en exil, je vous trouve un peu sévère ! L’auteur, il est vrai, n’a pas compris la grandeur du sujet. Ça sent trop la vie parisienne.

Je me suis délecté avec le dernier volume de Renan. Quel bijou d’érudition, et comme c’est modeste ! Il n’a pas le bon Dieu dans sa poche, celui-là, et voilà pourquoi je l’aime. Mais je vous aime encore plus que lui et je vous embrasse.

Votre vieux fidèle.

Amitiés au mari.


  1. Destinataire inconnue.