Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 091

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Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 199-202).

91.

LAGRANGE À D’ALEMBERT.

À Berlin, ce 1er juin 1771.

Mon cher et illustre ami, j’ai reçu à la fois votre Lettre du 21 avril et votre paquet du 14 février contenant l’Hydrodynamique de M. Bossut je vous remercie de tout mon cœur de l’une et de l’autre ; je vous suis surtout fort obligé de m’avoir fait connaître cet excellent Ouvrage, que j’ai lu avec autant de satisfaction que de fruit et qui a beaucoup augmenté en moi l’estime que j’ai depuis longtemps pour le mérite de l’auteur. Si vous avez occasion de le voir, voudriez-vous avoir la bonté de lui faire des compliments de ma part et des excuses de la petite impolitesse que j’ai commise à son égard en omettant de le remercier du présent qu’il m’a fait, il y a environ quatre ans, de sa pièce sur le mouvement des planètes[1]. Comme je ne faisais alors que d’arriver dans ce pays et que j’étais accablé de mille petits devoirs qui ne me laissaient guère de temps de reste, il se peut que j’aie manqué à l’honnêteté que je lui devais, mais je vous prie de l’assurer du cas que j’ai toujours fait de ses talents et de ses Ouvrages. Je lui destine un exemplaire de la traduction française de l’Algèbre allemande[2] d’Euler, qui s’imprime actuellement à Lyon et où la moitié du second Volume, qui roule entièrement sur l’analyse de Diophante, est de ma façon je le lui ferai parvenir dès que l’Ouvrage paraîtra, mais je le dispense d’avance de tout remercîment. Vous jugez bien que je ne manquerai pas de vous en envoyer aussi un exemplaire, ainsi qu’à notre ami le marquis de Condorcet, à qui je vous prie de vouloir bien faire mille compliments de ma part. Je compte que vous aurez reçu une petite balle que je vous ai envoyée il y a quelque temps, et qui contient les deux derniers Volumes de notre Académie, savoir les années 1768 et 1769, le troisième Volume du Calcul intégral d’Euler, qui paraît depuis peu, et dont il n’y avait encore à Berlin que ce seul exemplaire, qui est venu de Pétersbourg dans les équipages du prince Henri[3], et deux brochures pour le marquis de Condorcet, lesquelles renferment les Mémoires que j’ai donnés dans les mêmes Volumes pour 1768 et 1769. Si vos occupations et surtout votre santé vous permettent de jeter les yeux sur ces Mémoires, j’espère que vous voudrez bien me faire la grâce de m’en dire votre avis je suis surtout fort curieux de savoir ce que vous pensez de la nouvelle méthode que j’ai donnée dans le Volume de 1768 pour réduire en série les racines des équations littérales, et dont j’ai fait ensuite l’application au problème de Kepler dans le Volume de 1769[4]. Vous trouverez, au reste, dans ce même Volume, tous les écrits que vous m’avez envoyés sur les verres optiques, et vous pouvez compter sur la même exactitude de ma part à faire imprimer tout ce dont vous voudrez bien honorer notre Académie. Je suis presque sûr de pouvoir envoyer quelque chose pour le prix de la Lune. Je crois qu’on peut adresser directement les paquets à M. de Fouchy et qu’il n’est pas nécessaire qu’ils lui soient remis francs de port ; si cela était, vous m’obligeriez très-fort de m’en avertir à temps. Il est vrai que je pourrais envoyer le paquet à M. Métra, en lui faisant rembourser par les Michelet les frais de port ; mais je ne voudrais pas m’y embarquer sans nécessité, car quelqu’un qui a eu autrefois occasion de lui adresser un paquet, pour qu’il le fit parvenir franc de port à sa destination, m’a dit qu’il en avait fait monter les frais à une somme exorbitante. Voulez-vous avoir un petit échantillon de la manière dont ces messieurs arrangent les choses ? Vous lui avez remis votre paquet à la moitié de février, comme je le vois par votre billet ; je ne l’ai reçu qu’à la fin de mars, et l’on m’a fait payer 2 écus et 16 gros pour le port, qui font plus de 10 livres, argent de France. Je vous prie cependant de ne lui en rien dire, car il n’en serait ni plus ni moins seulement il se fâcherait peut-être contre moi et me le garderait ; au reste, je serais bien aise de savoir si mes Lettres vous sont remises franches de port ou non c’est un article sur lequel j’ai quelque intérêt d’être éclairci. Quant aux envois que vous pourrez avoir occasion de me faire par la suite, je crois qu’il vaudra toujours mieux se servir de la voie de quelque libraire, comme Briasson ou autres ; je crois, par exemple, que Panckoucke est en grande liaison avec notre libraire Bourdeau, à qui il fait souvent des envois considérables. Adieu, mon cher et illustre ami ; portez-vous bien et aimez-moi comme je vous aime ; je vous embrasse de tout mon cœur.

P.-S. — La petite balle dont je vous ai parlé a été adressée à M. de la Lande, à qui vous pouvez en demander compte au cas qu’elle ne vous ait pas encore été remise ; elle contient, outre les Ouvrages dont je vous ai déjà parlé, un exemplaire des Tables de M. Lambert[5]. Qu’est-ce que c’est qu’un Traité du Calcul intégral, de M. Fontaine, qui paraît à Paris ?


  1. C’est sans doute l’Ouvrage intitulé Recherches sur les altérations que la résistance de l’éther peut produire dans le mouvement moyen des planètes. Paris, 1766 ; in-4o.
  2. Les Éléments d’Algèbre, par M. Léonard Euler, traduits de l’allemand avec des notes et des additions, parurent seulement en 1774 (Lyon et Paris, 2 vol in-8o). Les additions de Lagrange occupent les pages 369-658 du second Volume. — Voir Œuvres, t. VII, p. 5-180.
  3. Le prince Henri de Prusse.
  4. Le Mémoire est intitule Sur le problème de Kepler, année 1769, p. 167-203. Voir Œuvres, t. III, p. 113-141.
  5. Zulage zu den logarithmischen und trigonometrischen Tabellen, Berlin, 1770, in-8o.