Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 101

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Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 228-230).

101.

LAGRANGE À D’ALEMBERT.

À Berlin, ce 24 février 1772.

Mon cher et illustre ami, M. le marquis Caraccioli, à qui j’écris par ce même ordinaire, vous remettra cette Lettre avec un billet cacheté qui appartient à une des pièces qui ont concouru pour le prix de votre Académie et que l’auteur a oublié d’y joindre. Je vous prie de vouloir bien le faire parvenir à M. de Fouchy. Quelque peu ambitieux que je sois, je vous avouerai que rien ne me flatterait davantage que l’honneur d’être agrégé à votre illustre Compagnie ; mais, quoi qu’il en arrive, il me suffira toujours que vous et un petit nombre de vos confrères m’en ayez jugé digne, et ma reconnaissance en sera constamment la même.

Je vous prie de vouloir bien faire, par anticipation, mes remercîments à M. l’abbé Bossut du présent qu’il me destine. Je m’acquitterai moi-même de ce devoir envers lui dès que j’aurai reçu et lu son Ouvrage, dont j’ai d’avance une très-grande idée. Comme j’ai déjà un exemplaire du Calcul intégral de M. Euler, je vous remercie de tout mon cœur de l’offre généreuse que vous me faites de me céder celui que l’Académie de Pétersbourg vient de vous envoyer. Avez-vous reçu aussi les recherches sur le passage de Vénus qui font partie du XIVe Volume des Commentaires[1], mais qui se vendent aussi séparément, et les Recherches sur la comète de 1769 par M. Lexell, sous la direction de M. Euler[2] ? Je vous enverrai tout cela par la première occasion que je pourrai trouver, si vous ne l’avez pas déjà. Il me semble que ces Recherches ne répondent pas, à beaucoup près, au moins quant à la partie analytique, à la manière un peu emphatique dont M. Euler les avait annoncées.

Notre Volume de 1770 paraîtra à Pâques la partie mathématique en est déjà imprimée. Si je trouve une occasion pour vous faire parvenir un exemplaire de mes Mémoires avant que l’impression du Volume soit achevée, je la saisirai volontiers ; sinon, je profiterai de la première qui se présentera pour vous envoyer sans frais le Volume dès qu’il aura vu le jour, et j’y joindrai à l’ordinaire un exemplaire de mes Mémoires pour notre ami le marquis de Condorcet, dans le souvenir duquel je vous prie de vouloir bien me rappeler. Je souhaite que vous vous hâtiez de publier les nouveaux volumes d’Opuscules que vous m’annoncez, et j’espère que vous serez longtemps encore en état de faire souvent de pareils présents aux géomètres. Ne vous semble-t-il pas que la haute Géométrie va un peu en décadence ? Elle n’a d’autre soutien que vous et M. Euler, car pour moi je ne puis vous suivre que de loin.

Votre objection suppose, ce me semble, que les puissances et qui agissent sur l’une des extrémités du ressort sont, dans ma solution, l’une verticale et l’autre horizontale, tandis que l’autre extrémité est fixée horizontalement, et dans cette hypothèse elle me paraît sans réplique ; mais ce n’est pas là mon idée. J’imagine un ressort fixé à une extrémité et tendu à l’autre par des forces quelconques, et je réduis toutes ces forces à deux, dont l’une agisse suivant la direction de la tangente et l’autre suivant la perpendiculaire à cette tangente, quelle que puisse être d’ailleurs la direction de cette tangente. Cette supposition est analogue à celle que l’on fait communément dans la recherche des trajectoires ou dans celle des chaînettes, où l’on réduit toutes les forces en tangentielles et normales. Mais le peu de place qui me reste dans cette Lettre m’oblige à réserver pour une autre ce que j’aurais encore à vous dire sur ce sujet, ainsi que mes observations sur le Mémoirede M. le chevalier de Borda, que je viens de lire et que je trouve bien peu digne de lui. Ses objections contre votre théorie ne sont que des sofisticherie, pour ne rien dire de plus. La réponse que vous lui faites dans l’article 113 de la nouvelle édition de votre Traité des fluides me paraît très-juste, et il vous sera aisé de réfuter de même tout le reste de son Mémoire. Avez-vous remarqué le paralogisme qu’il fait à l’article 7 pour trouver la contraction de la veine ? Ne trouvez-vous pas bien pitoyables les raisonnements par lesquels il prétend prouver qu’il y a toujours une perte de forces vives, etc. ? Adieu, mon cher et illustre ami ; je vous embrasse de tout mon cœur ; on ne saurait être plus vivement touché que je le suis des marques d’amitié et d’estime que vous me donnez de plus en plus.

À Monsieur d’Alembert, de l’Académie française,
des Académies royales des Sciences de France, de Prusse, etc., etc.,
à Paris.

  1. De l’Académie de Pétersbourg. Il s’y trouve plusieurs Mémoires (en latin) sur ce sujet, par J.-L. Pictet, Ét. Rumovski, G.-Maurice Lowits, L. Krafft, Christ, Euler et J. Islenieff.
  2. Recherches et calculs sur la vraie orbite elliptique de la comète de 1769 et de son temps périodique, exécutés sous la direction de M. L. Euler, par M. L. Lexell. Pétersbourg, 1770 ; in-4o.