Correspondance de Victor Hugo/1852

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1852.


(À Madame Victor Hugo)
Madame Rivière
37, rue de la Tour d’Auvergne.


5 janvier [1852] Bruxelles.

Je commence, chère amie, par répondre à tes cinq questions, et je réponds oui sur toutes. J’ai reçu le papier timbré et je t’ai écrit (dans la lettre qui contenait les 2 000 francs pour Guyot) ce que m’avait dit le notaire Vanderlinden à ce sujet. J’ai reçu l’excellente lettre d’Auguste et je lui répondrai en détail, dis-le lui bien, dès que les inventions de Louis Bonaparte à l’endroit de la presse auront pris la forme de lois et seront connues. Alors seulement on pourra statuer sur l’Avènement ou l’Événement. Si cela est possible avec dignité, je ne résisterai pas à la reprise du journal. Nous examinerons ensemble, et ce que voudra Auguste, je le voudrai.

J’ai reçu toutes les lettres de mes chers enfants, et toutes les tiennes, et plus elles sont longues, et plus elles me charment. Ainsi, n’ayez pas peur de faire des volumes. La brochure de Granier[1] m’est également parvenue, et j’y ai remarqué l’omission de mon nom[2]. Enfin, pour répondre à tout, tu peux, le cas échéant et pour des choses peu secrètes, m’écrire directement à M. Lanvin, 16, place de l’Hôtel de Ville. J’y suis installé d’aujourd’hui et j’ai prévenu mon hôte que si l’on demandait M. Lanvin, c’était moi, et que si l’on demandait M. Victor Hugo, c’était moi. Ainsi, je vis là sous mes deux espèces.

Quand Charles arrivera, il me trouvera dans cette halle immense, avec trois fenêtres qui ont vue sur cette magnifique place de l’Hôtel de Ville. J’ai loué (pour presque rien) les meubles indispensables, un lit, une table, etc., — et un bon poêle. Je travaille là à l’aise, et je m’y trouve bien. Si je rencontre un vieux tapis pour 15 francs, je serai parfaitement heureux. En attendant, chère amie, prends dans ma chambre ma vieille causeuse que tu as fait recouvrir de rayé rouge et blanc, fais-la emballer le plus succinctement du monde, foin et toile d’emballage (pas de caisse, c’est inutile), mets mon adresse dessus, Lanvin, 16, Grande Place, Bruxelles, et fais porter la chose aux messageries Van Gend, 130, rue Saint-Honoré (Laffitte et Caillard). Là, tu expliqueras que ce meuble doit m’être expédié par la petite vitesse. Cela coûte 7 francs les 100 kilos (deux cents livres). On te demandera donc pour la causeuse quelque chose qui n’ira pas à 7 francs, et que tu paieras et porteras sur mon compte. Quand ce sera expédié, tu m’en donneras avis.

Il y a sur la table de mon cabinet un coffret de cuir. Ce coffret contient, parmi beaucoup de papiers tous utiles, une certaine quantité de choses écrites de ma main. Il y a également des choses écrites par moi dans le long tiroir du bas à droite de ma petite armoire chinoise en laque à deux battants. Je te prie de chercher dans ce tiroir et dans le coffret de cuir tous les papiers écrits de ma main, prose et vers, de les réunir et de les mettre sous une enveloppe commune bien scellée. Tu me les feras parvenir par Charles quand il viendra. Tu feras de même un paquet ficelé et cacheté de tous les exemplaires uniques de mes discours que contient le coffret de laque à couvercle rond près de mon lit, et tu me l’enverras de la même façon.

Je t’ai dit que la malle recouverte de drap contient beaucoup d’effets précieux, entre autres une croix de diamants que tu connais et qui ne m’appartiendra qu’à un moment donné. La clef de cette malle était avec plusieurs autres dans le coffret brisé que je t’ai remis le 2 décembre. Ouvre-la, et serre précieusement la croix de diamants. Tu peux laisser le reste dans la malle en ayant soin d’en garder la clef sous ta main, et en lieu sûr.

Voilà bien des recommandations, chère amie, et je ne t’ai pourtant encore rien dit. Si je t’envoyais toutes les tendresses qui sont dans mon cœur, c’est moi qui te ferais des volumes. Comment peux-tu me supposer des défiances à moi qui sens en toi un si noble et si ferme et si tendre appui ! Retire ce vilain mot-là[3]. Je prends des précautions, voilà tout ; et je les prends dans votre intérêt à tous.

Tu vois et tu sens toi-même que mes prudences n’avaient rien d’exagéré et qu’elles m’ont bien réussi. Que mes fils n’oublient pas cet axiome de ma vie : c’est parce qu’on a su être prudent qu’on peut être courageux.

Je te remercie avec effusion, je te remercie mille fois de tout ce que tu fais. Fais le plus que tu pourras pour Mme d’…[4] J’ai là un devoir vers lequel il m’est impossible de ne pas me tourner avec un intérêt profond. Je suis touché des paroles si délicates et si vraiment bonnes que tu me dis à ce sujet[5].

Je t’envoie la lettre que Louis Blanc m’a écrite. Lis-la et fais-la lire à la Conciergerie. Tu me la renverras par une prochaine occasion. Louis Blanc me presse pour avoir réponse, oui ou non, qu’en pensez-vous tous ? Qu’en pensent Meurice et Auguste ? Qu’en pensent Charles et Victor ? La chose peut être utile. D’ailleurs ce serait pour Charles un travail tout trouvé. Il paraît que les fonds sont faits en Angleterre. Mais n’y aurait-il pas inconvénient à me confondre, ne fût-ce qu’en apparence, avec Louis Blanc et Pierre Leroux ? Cela me ferait perdre l’isolement de ma situation actuelle, cela me rattacherait au passé d’autrui et par conséquent combinerait mon avenir avec des complications qui me sont étrangères, cela m’ôterait quelque chose de la pureté que j’ai aujourd’hui, n’ayant trempé dans rien, n’ayant pas tenu le pouvoir, n’ayant pas hasardé de théories, n’ayant pas fait de fautes, et ayant simplement tenu le drapeau levé et risqué ma tête le jour du combat.

Et puis il faudrait aller en Angleterre, et rien ne presse encore de ce côté. D’autre part, ce serait un organe et un moyen de continuer la lutte. Mais ce n’est qu’une revue, il faudrait un journal.

Enfin il y a un journal qui s’offre à moi ici, le Messager des Chambres. Le rédacteur est venu me trouver hier et ce matin et part pour Paris. Je t’envoie une lettre de lui qui te fera juger de sa bonne volonté. Il a peu d’argent. C’est là le côté faible de son affaire, surtout voulant la monter sur un très grand pied. Délibérez donc tous entre vous sur tous ces points et envoie-moi le plus tôt possible votre sentiment sur l’ouverture de Louis Blanc et la réponse à y faire.

Désormais, chère amie, quand je t’écrirai par la poste, j’affranchirai la lettre. Affranchis de ton côté quand tu m’écriras par Mme Taillet, car je ne sais comment faire pour rembourser les ports de lettres. Dans ce paquet tu trouveras une lettre pour M. de la Roëllerie qui m’a donné asile dans la nuit du 2. Il demeure rue Caumartin et connaît Mme Abel. Elle te dira le numéro. Tu feras porter la lettre. Je l’ai écrite depuis longtemps déjà.

Tout va bien ici. Quelques réfugiés sont abattus (entre autres Schœlcher, qui du reste s’est conduit héroïquement (mais je les relève. Ce matin, il y avait dans le Sancho (le Charivari de Bruxelles) des vers à moi adressés par un étudiant. Je refuse les dîners et les petites ovations en famille. J’ai besoin de mon temps pour travailler. Jamais je ne me suis senti le cœur plus léger et plus satisfait. Ce qui se passe à Paris me convient. Par l’atroce comme par le grotesque, cela atteint l’idéal des deux côtés. Il y a des êtres comme le Troplong, comme le Dupin, que je ne puis m’empêcher d’admirer[6]. J’aime les hommes complets. Ces misérables-là sont des échantillons incomparables. Ils arrivent à la perfection de l’infamie. Je trouve cela beau. Ce Bonaparte est bien entouré. On dit que, sur les sous, son aigle aura la tête sous l’aile ; fort bien. Quant aux 7 500 000 voix, y eût-il plus de zéros encore, je mépriserais tout ce néant.

Mes chers êtres bons et courageux, vous êtes ma joie, je vous embrasse.

Tu as reçu M. Bourson, n’est-ce pas ? C’est un homme très intelligent[7].


À Auguste Vacquerie[8].


Bruxelles, lundi 5 janvier.

Je ne veux ici que vous serrer la main, cher Auguste. Vous pensez avec raison qu’il m’est impossible de rien résoudre en commun avec vous et notre cher Paul Meurice, quant à l’Avènement, tant qu’on ignore par quelles menottes la presse sera garrottée sous le Bonaparte. Vous me direz votre avis sur la proposition de Louis B.[9] le plus tôt possible car il demande prompte solution. Cela ne pourrait-il pas aggraver la captivité de mes fils, et la vôtre, et celle de Meurice ? Question encore. Pesez tout cela. Vous êtes le sage, de même que vous êtes le vaillant.

À vous ex imo[10].
À Charles.


Bruxelles, lundi 5 janvier 1852.

Dans trois semaines, mon Charles, tu seras ici. Ce sera un peu d’exil pour toi, et bien du bonheur pour moi. Nous vivrons de la vie austère et douce du travail. Je suis sûr de toi, et je ferai ce qui sera en mon pouvoir pour te rendre Bruxelles aimable. Les gens d’ici ont de la bonne volonté pour les affaires de journal et de librairie, mais je crains que l’argent ne leur manque. Cependant je pense que nous finirons par nouer quelque chose. En attendant, nous vivrons comme le frère aîné et le frère cadet. S’il y a quelques privations à subir (il y en aura) je commencerai par moi. Et puis, je t’envoie toutes mes tendresses, mon enfant.

On me disait ce matin : votre fils Charles sera le premier journaliste d’ici, s’il veut. Mais il est difficile pour un étranger d’écrire dans les journaux, et ils me font l’effet de n’avoir pas le sou. — C’est égal, nous verrons. — Et puis c’est une œuvre de dévouement[11].


À André Van Hasselt[12].


Bruxelles, 6 janvier 1852.

Ce n’est pas moi, monsieur, qui suis proscrit, c’est la liberté ; ce n’est pas moi qui suis exilé, c’est la France. La France hors du vrai, hors du juste, hors du grand, c’est la France exilée et hors d’elle-même. Plaignons-la et aimons-la plus que jamais.

Moi, je ne souffre pas. Je contemple et j’attends. J’ai combattu, j’ai fait mon devoir, je suis vaincu, mais heureux. La conscience contente, c’est un ciel serein qu’on a en soi.

Bientôt j’aurai près de moi ma famille et j’attendrai, avec calme que Dieu me rende ma patrie. Mais je ne la veux que libre.

Je vous remercie de vos beaux et nobles vers.

Ex imo corde.

Victor Hugo[13].
À Madame Victor Hugo.


Bruxelles, 8 janvier, jeudi.

Chère amie, je t’ai écrit hier soir par M. Couvreur, du Messager des Chambres. Mais il ne sera pas à Paris avant quatre ou cinq jours. Je profite d’une occasion que me donne M. Lévy pour t’envoyer de mes nouvelles. M. Lévy est l’ami de Crémieux. C’est lui qui m’a apporté le paquet au sujet duquel tu t’es inquiétée. Sois tranquille. J’ai tout reçu. M. Lévy est excellent et continue de m’offrir ses bons offices. J’en userai, et je commence aujourd’hui comme tu vois.

Je t’écris de ma chambre sur la Grande Place, avec un beau soleil et ce magnifique Hôtel de Ville sous les yeux. Hier, j’ai visité l’intérieur de l’Hôtel de ville en compagnie du bourgmestre de Bruxelles, M. de Brouckère, qui me fait très gracieusement les honneurs de la ville. Je continue d’être ici l’objet d’une foule d’attentions. Le Maupas[14] d’ici, un certain baron Hody, qui m’avait envoyé les gendarmes le mois passé, vient d’être forcé de donner sa démission. Mon affaire n’est pas étrangère à sa déconfiture. Je te donne quelques détails à ce sujet dans la lettre que te remettra M. Couvreur.

M. Couvreur, que tu recevras de ton mieux, est un homme intelligent et avenant. Seulement préviens bien nos amis qu’il n’a pas d’argent et qu’il semble avoir ici peu de crédit. Ceci fort entre nous.

Écris-moi toujours de longues lettres. Elles m’intéressent au plus haut point. Mets-y force détails. En choisissant bien les occasions, tu peux tout m’écrire.

Quant à l’affaire délicate dont tu me parles, je crois que le Voyage au pôle nord peut paraître sans inconvénient aucun dans la Revue de Paris en le signant Mme Thévenot d’Aunet[15]. Ce nom déroute les malignités. Au reste, juge et décide. Ce que tu feras sera bien. Mais songe qu’il m’importe de porter aide et appui là. Je te remercie dans tous les cas de l’appui et de la chose.

On nous dit ici que Xavier Durieu[16], Rivière, l’avocat, et Hippolyte Magen, le libraire[17], sont déportés à Cayenne[18]. J’ai reçu ce matin l’ancien constituant Laussedat[19] dont les biens ont été mis sous le séquestre. Les horreurs continuent en France. — Quant à la Belgique, sois parfaitement tranquille. Les ministres et le bourgmestre me font mille assurances cordiales. Ne crains rien. Je suis ici comme un centre. Ma halle — car ma chambre est une halle — ne désemplit pas. Il y a quelquefois trente personnes, et je n’ai que deux chaises ! — Je vais du reste faire effort pour clore ma porte ; car, si je me laisse envahir, on me prendrait mon temps et j’en ai besoin plus que jamais. Je continue à force mon travail sur le 2 décembre. On m’envoie un journal de modes qui paraît ici et qui s’intitule : Esmeralda. Les journaux belges appellent Bonaparte Napoléon le Petit. Ainsi j’aurai baptisé les deux phases de la réaction, les Burgraves et Napoléon le Petit[20]. C’est déjà quelque chose. — En attendant mieux.

Je t’embrasse, ma bonne et généreuse femme. Tes lettres m’apportent de la force et de la foi. Dis à ma chère petite fille de m’écrire et à tous ces chers enfants de la Conciergerie.

J’attends toujours Charles pour la fin du mois. — Pas d’imprudence en paroles[21].


À Madame Victor Hugo.


Bruxelles, dimanche 11 janvier [1852].

Mme Coppens te portera cette lettre, chère amie. Depuis le 31 décembre je t’ai écrit (sans compter celle-ci) quatre lettres : 1°, par M. Bourson. — 2°, par Mme David. — 3°, par M. Couvreur (du Messager des Chambres). Cette lettre ne t’arrivera qu’un peu arriérée, car M. Couvreur a différé son départ, et ne sera à Paris que dans quelques jours. — 4°, par M. S. Lévy, ami de Crémieux. Je réponds en ce moment à la lettre que Mme Coppens m’a apportée et à ta lettre d’avant-hier vendredi. Il est utile de faire une récapitulation pour bien nous fixer.

Tu sais en ce moment que je suis banni par le Bonaparte, c’est-à-dire expulsé, c’est le mot dont se sert ce drôle. Hier, j’étais chez Schœlcher, Charras[22] arrive, nous causons tous les trois. Charras était en train de nous raconter son arrestation, sa captivité, son élargissement, et des choses de l’autre monde. Survient Labrousse[23]. Il me dit : — Vous êtes banni, avec 66 représentants de la gauche, comme chefs socialistes. J’ai vu le décret. Votre nom m’a frappé et je vous cherche pour vous le dire. — J’espère bien que j’en suis aussi ! a dit Charras. — Et moi aussi ! a dit Schœlcher. — Sur ce, nous avons continué notre conversation.

Du reste, ceci doit te rassurer un peu quant à la Belgique. Ce n’est pas le lendemain du jour où il nous expulse qu’il peut décemment nous reprendre. Je sais bien qu’il se fiche de la décence. Mais c’est égal, il n’étendra pas la main hors de la frontière pour nous saisir en ce moment-ci. Dans quelques mois, je ne dis pas. Mais il a fort à faire à cette heure. Sois donc tranquille.

Je demeure, comme tu sais, sur la Grande-Place. Le bourgmestre de Bruxelles est venu me voir. Je lui ai dit : Savez-vous qu’on dit à Paris que le Bonaparte me fera saisir ici et enlever la nuit chez moi par ses agents de police ? M. de Brouckère (le bourgmestre) a haussé les épaules et m’a dit : Vous n’aurez qu’à casser un carreau et qu’à pousser un cri, l’Hôtel de Ville est sous vos fenêtres. Il y a trois postes, vous serez bien défendu, allez !

En ce moment, le gouvernement belge se conduit bien. Jugez-en par ceci[24].

D’ailleurs, je ne fais pas d’établissement ici. J’y vis le pied levé, et comme je te l’ai déjà dit, il ne faut qu’une enjambée pour être en Angleterre.

Ce n’est pas seulement le bon marché qui me fait rester, quoique la considération soit grande, c’est la facilité de trouver des affaires de librairie. On a déjà entamé divers pourparlers. À Londres, ce serait plus difficile. — La contrefaçon se meurt ici, elle est cernée et bloquée par les traités internationaux, il y a donc toute une industrie belge qui réclame et qui va périr, 25 000 ouvriers imprimeurs sans pain, force plaintes, etc. — Le gouvernement belge serait frappé de cette idée qu’en profitant de notre présence (Dumas, Thiers et moi) à Bruxelles, on pourrait nous acheter des droits de propriété, légitimer ainsi la contrefaçon, faire tomber les traités par ce seul fait, et rendre vendables une foule de livres qui sans cela pourriront en magasin. En outre, rendre la vie à la librairie belge, etc. — M. Bourson s’occupe de cette affaire, et est venu m’en parler. Dans ce cas-là, comme les libraires belges ont peu d’argent, le gouvernement, dans un but d’intérêt national, leur ferait une avance. On pourrait en venir jusqu’à m’acheter, non seulement Les Misères, mais la propriété même de mes œuvres. On parlerait par cent mille francs. Ceci étant, il faut un peu voir venir. — Dis à Charles de faire une réponse dilatoire à son libraire. Je ne refuse pas du reste de lui parler, et quand Charles viendra à Bruxelles, si M. Brie veut venir avec lui, je serai charmé de causer de ses offres. L’inconvénient qu’elles ont, c’est de m’ôter (pour une faible somme) la faculté de vendre en Belgique la propriété absolue de mes œuvres complètes. Il faut bien songer à cela.

J’insiste, chère amie, pour que tu m’envoies la causeuse. Je n’ai ici que deux chaises. C’est une dépense de 6 ou 7 francs et je n’aurais pas ici un canapé à moins de 80 francs. On me demande 6 francs par mois pour m’en louer un.

Je ne comprends rien à ce prétendu billet Hugelmann. C’est quelque fraude. Tu as très bien fait, et tu feras toujours bien de ne rien signer sans me prévenir. Refuse net.

Je suis d’accord avec vous tous quant à la proposition de Londres. Je vais répondre dans ce sens. Renvoie-moi la lettre de Louis Blanc par la prochaine occasion.

Je travaille à force au récit du 2 décembre. Tous les jours les matériaux m’arrivent. J’ai des faits incroyables. Ce sera de l’histoire, et on croira lire du roman. Le livre sera évidemment dévoré en Europe. Quand pourrai-je le publier ? Je ne sais pas encore.

Je ne comprends rien, et personne ici ne comprend rien, à l’exception outrageante que le Bonaparte fait pour Jules Favre, Michel de Bourges et Carnot[25], tous trois membres comme moi du comité de résistance. Il paraît que Jules Favre plaide à Paris, C’est étrange. Qu’en dit-on à Paris ? Si tu entends quelque explication, envoie-la moi.

Dans mon prochain envoi, je répondrai à Auguste très en détail. Tout ce qu’il me dit est du plus haut bon sens, et j’adhère à tout. Je répondrai aussi aux trois charmantes lettres de Charles, de Victor et d’Adèle. Dis-leur de m’écrire souvent et sans attendre mes réponses.

J’ai tant à faire que je ne puis écrire autant de lettres que je voudrais à vous tous. Je passerais ma vie à vous écrire. Il me semble, chers bien-aimés, que c’est causer avec vous. Ma plume va au hasard. C’est illisible, mais qu’importe !

On fait ici, entre nous proscrits, une souscription pour les plus pauvres. J’ai demandé à Schœlcher s’il y avait un maximum. Il m’a dit quinze francs. Je les lui ai donnés.

Chère amie, j’emplis ces deux lignes d’effusions pour vous tous. Écrivez-moi tous et long[26].


À Paul Meurice.


Bruxelles, dimanche 11 [janvier 1852].

Cher ami, ma femme déjà vous a dit combien votre lettre m’avait charmé et combien je vous remerciais des détails sur le 2 décembre. Envoyez-moi toujours tout ce que vous pourrez recueillir. Je vais faire un livre rude et curieux, qui commencera par les faits et qui conclura par les idées. Jamais plus belle occasion, ni plus riche sujet. Je traiterai le Bonaparte comme il convient. Je me charge de l’avenir historique de ce drôle. Je le conduirai à la postérité par l’oreille.

Dites à Auguste et à mes fils qu’ils auront par la prochaine toutes les réponses que je leur veux faire, mettez-moi aux pieds de votre noble femme, et prenez pour vous un bon serrement de main.


À Pierre Cauwet[28].


Bruxelles, 12 janvier [1852].

L’exilé vous remercie, monsieur Cauwet, vous m’envoyez de bonnes paroles et qui me touchent vivement. Je suis hors de France pour le temps qu’il plaira à Dieu, mais je me sens inaccessible dans la plénitude du droit et dans la sérénité de ma conscience. Le peuple se réveillera un jour, et ce jour-là chacun se retrouvera à sa place, moi dans ma maison, M. Louis Bonaparte au pilori.

Votre bien affectueusement attaché.

Victor H.[29]


À Messieurs les membres de l’Académie française.


Bruxelles, janvier 1852.
Messieurs et chers confrères.

Le malfaiteur politique dont le gouvernement pèse en ce moment sur la France a cru pouvoir rendre un décret d’expulsion dans lequel il m’a compris.

Mon crime, le voici :

J’ai fait mon devoir[30].

J’ai, par tous les moyens, y compris la résistance armée, défendu contre le guet-apens du 2 décembre la Constitution issue du suffrage universel, la République et la Loi.

Il est interdit aux bannis, de par le coup d’État, de rentrer en France sous peine d’être déportés à Cayenne, c’est-à-dire sous peine de mort.

Dans cette situation, en présence de la force brutale qui règne et contre laquelle je renouvelle du fond de mon exil mes protestations indignées, je ne puis prendre part à l’élection académique qui aura lieu le 22 janvier, et je vous prie, Messieurs et chers confrères, d’agréer, avec l’expression de mes regrets, l’assurance de ma vive cordialité et de ma haute considération.

Victor Hugo,
Représentant du peuple[31].


À André Van Hasselt.


16 janvier 1852.

Vous me comblez, monsieur et cher confrère, je dirai même que vous me meublez. Vous m’envoyez un canapé à Bruxelles, à moi qui ne pourrais même pas vous donner un fauteuil à Paris. Je le regrette pour nous autres infortunés quarante. L’Académie française serait un peu moins welche si elle prenait quelques belges comme vous.

Pour le moment, plaignons-la : cette pauvre Académie est toute penaude là-bas. Trois proscrits ! Depuis 1815 elle ne s’était pas vue à pareille fête. Dans ce temps-là c’était Louis XVIII qui chassait l’autre Napoléon, le grand, de l’Académie des Sciences.

Quant à moi, je m’étends voluptueusement sur votre excellent canapé et j’y lis vos bons et beaux livres. Ô ingratitude humaine ! Je commence à regarder avec dédain ma malle, que j’avais élevée à la dignité de sopha et que vous avez destituée. C’est fini ! de Spartiate, je me fais sybarite. Bientôt j’irai me mettre aux pieds de Mme van Hasselt et vous serrer la main.


À Madame Victor Hugo.


Bruxelles, 17 janvier. Samedi.

Je n’ai qu’une minute, chère bien-aimée femme. Je t’écris par la bonne de Schœlcher, vieille femme qui a du courage comme dix jeunes hommes et qui l’a prouvé. Elle te contera son histoire et te remettra pour moi une lettre d’elle que tu me feras passer par la plus prochaine occasion. Tout continue d’aller ici passablement. Toute la presse libérale est pour nous et vivement. Je t’en envoie des extraits à propos de mon bannissement. Une foule de journaux par toute la Belgique ont reproduit mon discours de 47 sur la rentrée des Bonaparte[32]. Cela fait ici grand effet. Je pense avec bonheur que mon Charles va venir et que je le verrai dans une quinzaine de jours.

Il était allé au bal de l’Opéra[33]. Les journaux jésuites d’ici l’ont dit. Chers enfants, prenez garde à cela. Espionnage à Paris, diffamation au dehors.

Je suis convaincu que Charles ici sera un homme.

Probablement j’arriverai à construire une citadelle d’écrivains et de libraires d’où nous bombarderons le Bonaparte. Si ce n’est à Bruxelles, ce sera à Jersey. Hetzel[34] est venu me voir. Il a un plan d’accord avec le mien. D’un autre côté, la Belgique se tournera, je crois, vers nous, pour sauver sa librairie. Je t'envoie deux pages d’une brochure. Lis et fais lire à la Conciergerie. C’est un symptôme.

Hetzel me disait hier qu’on vendrait au moins 200 000 exemplaires d’un livre intitulé : Le Deux-Décembre, par Victor Hugo.

Quand tous quatre seront libres, je songe à des travaux collectifs. L’Événement, pourquoi pas ? Une librairie politique à Londres, une librairie littéraire à Bruxelles, voilà mon plan. Deux foyers, et notre flamme les alimentant tous deux.

Pour réussir à mener la chose à bonne fin, il faut vivre ici stoïque et pauvre et leur dire à tous : Je n’ai pas besoin d’argent ; je puis attendre, vous voyez. — Qui a besoin d’argent est livré aux faiseurs d’affaires, et perdu. Vois Dumas. Moi, j’ai un grabat, une table, deux chaises. Je travaille toute la journée et je vis avec 1 200 francs par an. Ils me sentent fort, et les propositions me viennent en foule.

Quand nous aurons conclu quelque chose, vous viendrez et nous rétablirons l’aisance de toute la famille. Je veux que vous soyez tous heureux et contents, toi, ma femme, et toi chère fille aussi. Vous tous enfin !

Il me semble que Meurice, Auguste, Charles et Victor pourraient faire, à eux quatre, une Histoire depuis Février 48 jusqu’au 2 Décembre.

Distribuez-vous le travail. Chacun fera sa part ici. Nous travaillerons sur la même table, avec la même écritoire et la même pensée.

Je te remercie de la causeuse, j’en ai besoin, et je vous envoie à tous, Tour-d’Auvergne et Conciergerie, toutes les tendresses du proscrit satisfait.

Je vous répondrai à tous par le prochain courrier. En attendant, écrivez-moi tous de longues lettres. Chère amie, ne manque pas de bien remplir les pages. — À propos, j’ai vu cette immondice qu’il appelle sa Constitution ![35]


À Madame Victor Hugo.


Bruxelles, lundi 19 janvier [1852].

Ceci n’est qu’un mot, et qui te parviendra par la poste. La page ci-jointe t’explique pourquoi je t’écris par Mme Bellet sans attendre d’occasion. Tu me répondras expressément au sujet de cette page une page où tu me diras ce que tu auras fait, et que je brûlerai comme tu brûleras celle-ci.

Dis bien à Auguste que la prochaine occasion lui portera une lettre. J’écrirai aussi à chacun de mes trois chers enfants séparément. Je dois bien cela à toutes leurs charmantes lettres.

Le pauvre Charles sera triste de vous quitter. Cette liberté ici ne vaut pas sa prison, mais j’aurai bien de la joie à le voir. Que ceci le console. Quant à mon Victor, je l’embrasse sur les deux joues — et toi aussi, chère petite fille bien-aimée, ne sois pas jalouse. — Mais c’est que Victor est bien vaillant et bien courageux. Il m’écrit les lettres les plus calmes, les plus fermes et les plus sereines du monde, avec ses sept mois de prison devant lui ! C’est bien, cher enfant. Tu vois que j’allais au devant de ta pensée en signant ma dernière lettre le proscrit satisfait.

On me prodigue ici toutes sortes de respects. Il n’y a pas encore de peuple en Belgique, il n’y a qu’une bourgeoisie. Elle nous haïssait, nous démocrates, avant de nous connaître. Les journaux jésuites, abondants ici, avaient fait de nous des croquemitaines. Maintenant ces bons bourgeois nous vénèrent. Ils sont furieux de mon bannissement qui me fait sourire. L’autre jour un échevin me lisait le journal dans l’estaminet. Tout à coup il s’écrie : Expulsion ! et donne sur la table un coup de poing qui casse son cruchon de bière. — Tout à l’heure je déjeunais d’une tasse de chocolat, comme tous les jours, au café des Mille Colonnes. Un jeune homme s’approche de moi et me dit : — Je suis peintre, monsieur, et je vous demande une grâce. — Laquelle ? — La permission de peindre, de votre chambre même, la vue de la Grande Place de Bruxelles et de vous offrir le tableau. — Et il ajouta : — Il n’y a plus que deux noms dans le monde : Kossuth et Victor Hugo.

Tous les jours ce sont des scènes pareilles. Je vais être obligé, à cause de cela, de changer de café pour déjeuner. J’y fais foule et cela me gêne.

Le bourgmestre vient de temps en temps me voir. L’autre jour, il m’a dit : Je me mets à vos ordres. Que désirez-vous ? — Une chose. — Laquelle ? — Que vous ne blanchissiez pas la façade de votre Hôtel de Ville. — Diable ! mais c’est mieux blanc. — Non, c’est mieux noir. — Allons ! vous êtes une autorité, je vous promets qu’on ne blanchira pas la façade. Mais, pour vous, que voulez-vous ? — Une chose. — Laquelle ? — Que vous fassiez noircir le beffroi. (Ils l’ont refait neuf, pas mal, mais il est blanc.) — Diable ! diable ! noircir le beffroi, mais c’est mieux blanc, — Non, c’est mieux noir. — Allons, j’en parlerai aux échevins et cela se fera. Je dirai que c’est pour vous.

Ce billet n’est encore qu’un mot en attendant. Écris-moi toujours de longues lettres. Fais ma commission. Hélas ! quand serons-nous réunis ? Oh ! si une bonne proscription pouvait vous chasser tous de France !

Embrassé mon Adèle. Serre la main d’Auguste et de Paul Meurice.

Tu as oublié de m’envoyer la lettre (d’une femme anonyme) qui m’était adressée. Tu ne m’as envoyé que celle qui était pour toi. Répare l’oubli[36].


Lundi 19 janvier[37].
À brûler.

Chère amie, lis ceci tout de suite avec attention, et dès que tu l’auras lu, tu détacheras cette page de ma lettre et tu la brûleras. Tu vas en sentir l’importance pour toi-même.

Mme D…[38] veut venir me joindre ici. Elle a l’intention de partir le 24. Va la voir tout de suite, et parle-lui raison. Une démarche inconsidérée en ce moment peut avoir les plus grands inconvénients. Tous les yeux aujourd’hui sont fixés sur moi. Je vis publiquement et austèrement dans le travail et les privations. De là un respect général qui se manifeste jusque dans les rues. En ce moment donc, il ne faut rien déranger à cette situation. J’ai d’ailleurs dans l’idée qu’avant peu nous serons à Paris. Dis-lui tout cela. Traite-la avec tendresse et ménage ce qui souffre en elle. Elle est imprudente, mais c’est un noble et grand cœur. Ne lui montre pas ceci. Brûle-le tout de suite. Dis-lui que j’écrirai à l’adresse qu’elle m’a donnée. Veille aux coups de tête[39].


À Madame Victor Hugo[40].


Samedi 24 [janvier 1852].
À brûler.

Ta lettre par Mme Tailler m’arrive au moment où j’allais t’écrire de mon côté. Chère amie, tout de suite un mot. Ce matin. Mme D… m’a encore écrit. Elle veut absolument venir, ne fût-ce, dit-elle, que pour quelques jours. Cela suffirait pour amener les plus graves inconvénients. Elle dit qu’elle viendra sans t’en parler. Il faut absolument, chère amie, que tu la voies et que tu la ramènes à la raison. Elle en manque ici complètement. Tu sais tout ce que je pense d’elle et combien c’est une généreuse et noble nature à mes yeux. Mais les coups de tête perdent tout. C’est justement cette violence que je lui sais, qui m’empêche de lui écrire. J’avais cependant usé du moyen qu’elle m’indiquait de façon à la rassurer complètement. Elle veut des lettres à elle. C’est là, dans les habitudes que tu lui connais de tout dire au monde entier, un très grand danger. Ma vie ici, je te le répète, est profondément austère et laborieuse. À Paris on dit tout ce qu’on veux, mais à Bruxelles je vis en public et on n’y dit rien de ce qui se colporte à Paris. Paris suppose, Bruxelles voit. — Vois Mme D... Veille sur elle. Je lui écrirai dès qu’elle sera calme. Elle veut venir, même Charles ici. Fais-lui sentir à quel point c’est impossible. Cela me ferait quitter Bruxelles sur-le-champ. Dis-lui que c’est un temps à passer et qui sera court. Mais empêche ce voyage qui serait fou.

Toujours Samedi 24 [janvier][41].

Maintenant encore un mot tout confidentiel. Ce qu’Abel a dit à Meurice est insensé. La personne dont il parle est ici en effet[42] ; elle m’a sauvé la vie, vous saurez tout cela plus tard, sans elle j’étais pris et perdu au plus fort des journées. C’est un dévouement absolu, complet, de vingt ans, qui ne s’est jamais démenti. De plus, abnégation profonde et résignation à tout. Sans cette personne, je te le dis comme je le dirais à Dieu, je serais mort ou déporté à l’heure qu’il est. — Elle est ici dans une solitude complète. Ne sortant jamais. Sous un nom inconnu. Je ne la vois qu’à la nuit tombée. Tout le reste de ma vie est en public. Je ne réponds pas de ce qu’on suppose, je réponds de ce qui est. Tu vas juger des inventions (inévitables du reste) par un détail. Depuis que je suis ici, je ne suis sorti que deux fois avec des femmes en leur donnant le bras : la première fois avec Mme Tailler (le soir de son départ), la deuxième fois, il y a huit jours, avec Mme Bourson. Dis donc à Abel que ce qu’on lui a porté, c’est un paquet de Paris et non de Bruxelles. Dis-le aussi à Paul Meurice. Tout ce que je t’écris là est la vérité devant Dieu ! Comment, dans ma situation, j’irais m’afficher dans les rues de Bruxelles, moi ! c’est absurde et stupide. — Dans quelques jours nous vivrons ensemble, Charles et moi, et ce sera encore plus clair. J’ai retenu deux chambres à lit dans la même maison. — Ce sera toujours Grande Place, mais je quitterai le no 16. — Chère amie, l’heure presse. Je ne prends que le temps de t’envoyer mes plus profondes tendresses. Je t’écrirai lundi par une occasion une longue lettre, pour tout le reste, ainsi qu’à nos chers prisonniers[43].


À Madame Victor Hugo.


Mardi 27 janvier.

Demain mercredi mon Charles sort de la Conciergerie. Chère amie, ce sera une grande tristesse pour toi de le perdre et une grande joie pour moi de le gagner. Je veux qu’en rentrant à la maison il trouve cette lettre de moi qui lui dira que je l’attends le plus tôt qu’il pourra venir.

Voici quelle est ma vie et quelle sera sa vie ici : je quitte le n° 16 à la fin du mois et je vais, n° 27, même Grande Place. Nous aurons là deux chambres à lit, dont une à feu et au midi. Celle-ci est grande et convient au travail commun. Je me la suis réservée. Si pourtant Charles qui est frileux tient à la chambre à feu pour se lever le matin, je la lui laisserai le reste de l’hiver, quitte à la reprendre au printemps, si nous sommes encore à Bruxelles. J’aurai ce logis du n° 27 à partir du 1er février. Quant à la dépense, il faut qu’elle soit très sévèrement circonscrite, rien n’étant plus douteux que l’avenir, et les ressources en apparence les plus sûres pouvant manquer ou tarder. Je vis, moi, pour 100 francs par mois. Voici le devis par jour :

Loyer 1 fr. 00 Déjeuner (une tasse de chocolat) o fr. 50 Dîner 1 fr. 25 Feu 0 fr. 25 3 fr. 00

Cela fait 90 francs par mois. Le reste (10) est pour le blanchissage, les pourboires, etc. À nous deux Charles, nous dépenserons donc 200 francs par mois. — De cette façon nous attendrons en travaillant que quelque affaire se termine ici ou à Londres. Une fois le débouché du travail assuré et réglé, nous augmenterons notre aisance et l’aisance générale. — Dans sept mois, chère amie, vous nous rejoindrez tous[44]. D’ici là, la situation se sera éclaircie. Nous aurons conclu quelque chose, j’aurai vendu tout ou partie de mes manuscrits et de mes réimpressions, et nous pourrons fonder tous, quelque part, dans un beau lieu et dans un lieu sûr, une colonie heureuse. Et quand je dis tous, il va sans dire que j’entends mes quatre fils. Meurice et Auguste sont de ma famille.

À propos de cela, Brofferio m’a écrit une lettre charmante pour me demander en Piémont et m’offrir une villa sur le lac Majeur. Ainsi bon espoir.

Je t’écris ceci à la hâte, bien chère amie. Demain ou après-demain au plus tard, Mme de K…[45], qui passe ici, te portera une nouvelle lettre et des lettres pour Auguste, pour Paul Meurice, pour mon Victor, pour ma chère fille, et pour Charles, s’il n’est pas déjà ici. Préviens-moi du jour et de l’heure où il arrivera.

Mets dans sa malle pour moi mon pantalon d’été gris neuf, mes pantoufles maroquin neuves, tous mes gilets, mes foulards, tout ce que j’ai encore de linge de corps à la maison. Ajoute les exemplaires (brochés verts) de mes 14 discours, les journaux exemplaires uniques qui sont dans la boîte de laque à couvercle rond près de mon lit et que je t’ai recommandés, tous les papiers écrits par moi et que tu as dû dépouiller, ma lorgnette (qui est dans l’armoire de ton père). Cherche dans cette armoire, sur ma table et dans la malle couverte de drap tous mes portefeuilles. J’ai voyagé avec. Ils contiennent tous des notes qui me sont précieuses. Envoie-les moi ainsi que mes albums de dessins. Fais choisir auparavant à Paul Meurice, à Auguste et à Mme Boucher, chacun le dessin qu’ils voudront dans ces albums.

Chère maman bien-aimée, dans deux jours tu recevras une plus longue lettre. — Je suis d’avis de sous-louer et je t’expliquerai ce que je crois faisable. En attendant, sois toujours rayonnante. Le mot de Mélanie[46] est stupide... Oui, rayonne. Nous traversons de bonnes et magnifiques adversités. Tout ce qui se passe est utile, utile à la France comme leçon, utile à nos enfants comme épreuve, utile à nous deux comme lien d’amour et consécration.

J’approuve d’avance tout ce que tu fais et tout ce que tu dis. Je sais que tu n’as rien que de sage dans l’esprit et de grand dans le cœur. Tu as bien, bien, bien parlé à Villemain[47]. C’est un ami du reste, et je lui écrirai.

Encore un mot pour vous tous. Je vous aime bien ![48]


À Charles[49].


Mercredi 28 janvier [1852] Bruxelles.

Je ne t’écris qu’une page à toi, mon Charles, car tu seras peut-être en route pour Bruxelles quand cette lettre sera à Paris. Si tu n’es pas encore parti, je veux que tu aies ta lettre, ne fût-elle que de dix lignes. Viens le plus tôt que tu pourras et préviens-moi de ton arrivée par un mot. Je te conseille, pour moins de fatigue, de venir plutôt le jour que la nuit. J’irai t’attendre au débarcadère. Aie soin de me dire l’heure où tu arriverais. Ta mère te communiquera ce que je pense du travail possible et utile à Bruxelles, et puis nous en causerons. Je t’embrasse sur les deux joues, mon Charles. A bientôt[50].


À Auguste Vacquerie.


Bruxelles, mercredi 28 janvier [1852].

Il y a bien longtemps, cher Auguste, que je veux causer avec vous et vous remercier de vos lettres si nobles et si cordiales. Encore quelques mois, je l’espère, et nous serons tous réunis, soit à Paris, soit dans l’exil où nous saurons bien nous refaire une France. Dans tous les cas nous aurons la famille en attendant la patrie.

Je ne crois pas que nous puissions rester ici, et je le regrette, car à tous les points de vue pour nous Bruxelles vaut mieux que Londres. Mais probablement au printemps il y aura sur la Belgique une fonte de ces russes qui composent maintenant, hélas ! l’armée française. Et d’ici là, le gouvernement belge aura peur, et nous mettra dehors. Je dois dire pourtant que ces jours passés il s’est bravement conduit à mon occasion. Le gouvernement français a fait savoir au gouvernement belge qu’il avait la certitude que j’allais publier à Bruxelles un manifeste et qu’il demandait formellement mon expulsion de la Belgique. — Le roi Léopold, de son chef et sans même que je fusse consulté ou averti, a répondu non tout net. C’est la première fois que la Belgique répond non au Bonaparte depuis le 2 décembre. — Le lendemain le bourgmestre est venu me voir de la part du ministre de l’Intérieur et m’a conté le fait confidentiellement. Je lui ai gardé le secret, mais la chose a transpiré d’ailleurs, elle a été dite dans la Gazette de Cologne, et les journaux d’ici la répètent en ce moment. — Cela va peut-être regâter la situation. Car le Bonaparte ne se fâche des soufflets qu’on lui donne que si les soufflets font du bruit.

À propos de bruit, ces jours passés on a voulu me donner une sérénade sur ma grande place. Un musicien belge, M. Lefèvre, m’a écrit à ce sujet. J’ai refusé en priant qu’on changeât les applaudissements pour moi en huées pour le Bonaparte. Offrez-lui ma sérénade en charivari.

Ici, en attendant qu’on me chasse on me caresse. À de certains jours mon immense galetas ne désemplit pas. Hier un prêtre est venu, l’abbé Louis, chef d’une institution probablement un peu jésuite, autrefois rédacteur d’un journal clérical. Il s’est confondu en admirations, puis m’a dit : Monsieur Victor Hugo, j’ai un pardon à vous demander. — Lequel ? — Je vous ai attaqué autrefois dans mon journal d’une manière horrible. — Eh bien ? — Oubliez-le. — Je lui ai dit : cela me sera d’autant plus facile à oublier que je ne l’ai jamais su. — Et tout le groupe qui était là s’est mis à rire. Du reste ce prêtre est bon homme. Il hait le Bonaparte. Il m’a dit : — Le clergé de France en ce moment perd l’église de Rome. — Oui, lui ai-je dit, mais l’église de Rome avait déjà perdu le clergé de France.

Je voyais l’autre jour de ma fenêtre sur la place un charlatan qui avait appuyé son tréteau à deux tas d’ordures, n’ayant pu trouver mieux. Hier en lisant la liste du sénat et la liste du conseil d’état, j’ai pensé à ce charlatan.

L’un appuie sa dictature comme l’autre appuyait son tréteau.

Nous, qu’allons-nous faire ? Que publierons-nous ? et comment publierons-nous ? je ne vois pas encore distinctement de quel côté ni de quelle façon, mais j’ai la certitude absolue que le débouché se fera. Nous emportons avec nous la pensée française, et la pensée française est nécessaire au monde politique, au monde littéraire et au monde commercial. Déjà quelques linéaments se forment, mais rien ne se dessine encore bien nettement. J’envoie à ma femme un journal belge qui parle de la contrefaçon à un bon point de vue. Vous lirez cela. C’est une idée qui gagne ici du terrain. Les chambres vont s’en occuper. Hier soir Méline (le grand éditeur contrefacteur) m’a envoyé Van Hasselt, me dire qu’aussitôt la question législative vidée, il me ferait des offres sérieuses, qu’il me priait de ne rien précipiter et de ne point conclure avec d’autres d’ici là. — En attendant, j’avance mon 2 décembre. Ce sera, par les faits curieux et innombrables, un livre inouï d’intérêt. Dinocourt[51] l’écrirait qu’il s’en vendrait cent mille.

Quant à l’Avènement ou l’Événement, est-ce que vous croyez à une loi de presse praticable en France ? je n’y crois pas. Je dis plus, j’affirme que la négation de toute presse continuera indéfiniment. Le lendemain du premier journal libre, Bonaparte tomberait. Quel est votre sentiment à ce sujet ? — On peut attendre encore. — Après quoi il sera utile et prudent de retirer le cautionnement.

Quant à l’Événement en lui-même (ou l’Avènement) il lui reste un avenir, fort beau peut-être, dont Hetzel et d’autres m’ont parlé et dont nous causerons quand vous serez libres tous. Il y a ici un rédacteur de l’Avènement, M. Coste, qui s’est très bravement conduit le 3 décembre. Mais n’en parlez pas. Il s’en cache et a raison, voulant rentrer en France. — Je n’ai plus qu’une ligne. Je vous envoie tout ce que j’ai de meilleur dans le cœur[52].


À François-Victor.


Bruxelles, mercredi 28 janvier [1852].

Mon Victor, comment vas-tu ? Charles te quitte aujourd’hui, j’en ai le cœur gros pour toi, tu vas être seul dans ta cellule. Ô pauvre cher enfant ! Quand me reviendras-tu ? Comme tes mois de prison pèsent à mes mois d’exil !

Je ne sais pas ce qui arrivera dans six mois, mais je sais que nous serons heureux quand nous serons ensemble. Où ? je l’ignore. À Bruxelles, en Angleterre, en Piémont, je veux bien, pourvu que nous soyons ensemble. À propos de Piémont, Brofferio m’a écrit une belle et charmante lettre pour me convier à venir chez eux. Puisque je suis exilé, dit-il, Turin me demande la préférence. Il me dit que le roi giovine bale, me recevra à bras ouverts, et les ministres sardes aussi, et il ajoute : Venite e procurate a me l’onore di annunziare il vostro arrivo… Ailleurs il dit : Venite dunque, noi vi aspetamo ; la Francia qui avete onorata vi proscrive ; l’Italia che vi ama et vi ammira vi offra un altra patria. Enfin, il m’offre, lui, si je ne veux pas de Turin, una modesta villa nel laggo maggiore... C’est tout simplement un des plus beaux lieux du monde. Nous serions bien là, mais notre devoir est peut-être d’aller ailleurs, comme à Jersey, par exemple, d’où nous pourrions mieux combattre. Il faut que je prenne le Bonaparte corps à corps.

J’en étais là de cette lettre quand de Flotte et Testelin[53] sont entrés. Ils m’annoncent que le ministère belge est en pleine désolation à mon sujet. Il y a huit jours, Bonaparte a demandé à Léopold mon expulsion. Léopold a dit non tout de suite, mais très mollement. Trois de ses ministres, Rogier, Frère Orban et Tesch, libéraux, l’ont appuyé ; les autres hésitent. Tiraillements. Le parti catholique s’en mêle. Les trois ministres libéraux offrent leur démission... J’interromps ceci ; je reçois une lettre qui m’appelle au ministère de la Justice ; j’y vais, je reprendrai cette lettre au retour.

Quatre heures. — Je reviens de la Justice. Le ministre l’emporte provisoirement et l’on m’a remis un permis de séjour à Bruxelles pour trois mois. Maintenant la Belgique a-t-elle trois mois devant elle ? Question[54].

Mon Victor, il faut que je te gronde à mon tour. Ta mère me dit que tu es triste. Oh ! je t’en supplie, mon pauvre doux enfant, ne te décourage pas. Tu as été vaillant et fort jusqu’à ce jour. Continue. Prends ta cellule comme je prends ma proscription. Une seule chose pourrait m’ôter ici ma sérénité, ce serait la pensée que tu souffres et que tu te laisses abattre. Je suis sans force contre ce qui vous frappe, chers enfants. Relève-toi donc, reprends ta gaieté, reprends ta fierté, rappelle-toi ce que tu m’écrivais toi-même quand tu me supposais atteint. Tout ceci est une grande lutte. Traversons-la grandement. C’est un honneur pour vous, c’est un orgueil pour moi que vous y soyez mêlés si jeunes, mes enfants, que vous y ayez déjà vos chevrons et vos cicatrices et que j’aie, moi, le droit de dire à ceux qui combattent avec nous pour le progrès : j’ai souffert dans moi et dans mes fils.

Et puis, songes-y, ces six mois passeront. Qui sait, même, si le régime actuel durera six mois ? Cela va grand train. Il y a d’excellents signes : le Montalembert, le Rouher[55] et le Dupin donnent leur démission. C’est que la baraque se lézarde : les rats s’en vont.

Écris-moi donc une bonne lettre joyeuse et courageuse, ce sera la joie de ta mère, si bonne et si noble, et ce sera ma consolation à moi qui suis seul. Je t’embrasse, cher fils[56].


À Madame Victor Hugo.


Bruxelles, mercredi 28 janvier.

Je commence, chère amie, par te remercier de tout et pour tout. Cette lettre te sera portée par madame de Kisseleff. J’ai passé hier chez elle une charmante soirée ; elle m’a fait dîner avec Girardin que je n’avais pas encore vu en effet. Il était venu chez moi et j’étais allé chez lui, sans que nous nous fussions rencontrés. Girardin m’a dit : Terminez vite votre livre, si vous voulez qu’il paraisse avant la fin de ceci. — Cependant je l’ai trouvé par un certain côté sceptique et bonapartiste. Il m’a dit : Mme de Girardin est aussi rouge que vous. Elle est indignée et elle dit comme vous ce bandit. — Il croit que le Bonaparte tombera sous trois mois, à moins qu’il ne fasse la guerre. Ce à quoi Persigny le poussera. Dans ce cas-là, la Belgique, dit-il, serait envahie fin mars. Il faudrait se mettre en sûreté d’ici-là.

Il y a eu revelléité de me mettre hors d’ici. Le ministère belge a tenu bon et en a été ébranlé. Lis ce que j’écris à Victor à ce sujet. Au reste, il faut toujours que vous lisiez tous toutes les lettres que j’adresse à chacun. C’est la même lettre qui se continue, et comme je suppose que vous lisez tous, je ne répète pas les faits. Il est également nécessaire d’être fort prudents à la Conciergerie. Ne lisez mes lettres qu’entre vous, n’en parlez qu’entre vous. Défiez-vous de la police toujours présente et aux écoutes. Vous devez être tous plus épiés que jamais.

Tout ce que tu me dis de l’effet du décret de spoliation[57] est admirablement vrai et juste. Tous les crimes dans un, le Deux-Décembre, ont fait moins d’effet sur le bourgeois, boutiquier ou banquier, que cette confiscation. Toucher au droit, c’est peu, toucher à une maison, c’est tout. Cette pauvre bourgeoisie a son cœur dans son gousset.

Du reste elle se relève un peu, dit-on, et l’opposition libérale recommence. C’est bon signe, et ce qui est beau, c’est le courage des femmes. Partout les femmes redressent la tête avant les hommes. Du fond de mon trou, je leur crie bravo.

Maintenant causons de mon Charles. Il va venir ici. Il faut y travailler ou y périr d’ennui et de néant. Mais travailler à quoi ? Pas de journaux payants, et d’ailleurs le gouvernement belge ne permettrait pas à un écrivain français d’user ici de la liberté de la presse. Que faire alors ? Quel travail utile ? Voici les idées qui me sont venues : d’abord, ce que j’ai déjà écrit à Charles, faire à eux quatre une histoire des quatre dernières années à l’aide de la collection de l’Évènement, se partager la besogne avant le départ de Charles. Charles ferait ici sa part et le livre se vendrait très bien, mais fini. La librairie belge est ainsi.

Ensuite, pourquoi Charles avant de partir ne verrait-il pas Houssaye et Gautier ? Il pourrait leur envoyer d’ici pour la Revue de Paris des lettres sur la Belgique, non politiques, et qu’il ferait admirablement. Il me semble qu’il y aurait là pour lui une centaine de francs par mois. Je lui donnerais le nécessaire, cela lui donnerait le superflu.

Pensez tous à tout cela, consultez-vous dans le grand conseil de la Conciergerie. Que Charles prenne l’avis de mes deux chers burgraves, Auguste et Paul Meurice.

Remercie Béranger pour moi[58]. Les bras ouverts de ton frère me touchent peu. Tu en dis très bien la raison.

Quant à Villemain, je lui suis reconnaissant de tout. Je lui suis reconnaissant à lui de t’avoir offert, et je te suis reconnaissant à toi d’avoir refusé. Chère amie, je trouve avec joie toute mon âme dans ton cœur.

Il faudra, je crois, songer à sous-louer l’appartement. Mon avis serait de le louer meublé (en retirant quelques meubles précieux ou fragiles que j’indiquerais) qu’en dis-tu ? Cela pourrait se louer ainsi cet été au moins 500 fr. par mois. Et ce serait une grande ressource. En ce cas-là, et si c’était ton avis et ta convenance, je crois qu’il me serait facile de faire mettre à ta disposition un autre appartement tout meublé où tu serais plus à l’étroit, mais bien. Il va sans dire qu’avant tout il faudrait que cela te convînt à tous les points de vue. Cette lettre devant te parvenir ouverte, je t’écrirai par Mme B... pour répondre à une partie de ta bonne lettre d’aujourd’hui qu’Eudoxie m’envoie.

Pense, chère amie, à m’envoyer par Charles tout ce que je te demande dans ma lettre d’hier, et puis moi, je vous envoie à tous mon cœur, ma pensée, ma vie. Je t’envoie, à toi en particulier, tout ce que j’ai de plus tendre dans l’âme[59].


À Victor Pavie.


Cher ami, cher poëte, merci. Votre lettre m’arrive et me touche au cœur. Je suis banni, proscrit, exilé, expulsé, chassé, que sais-je ? Tout cela est bon, pour moi d’abord, qui sens mieux en moi la grande joie de la conscience contente, pour mon pays ensuite, qui regarde et qui juge. Les choses vont comme il faut qu’elles aillent ; j’ai une foi profonde, vous savez. Je souffre d’être loin de ma femme si noble et si bonne, loin de ma fille, loin de mon fils Victor (Charles m’est revenu), loin de ma maison, loin de ma ville, loin de ma patrie ; mais je me sens près du juste et du vrai. Je bénis le ciel ; tout ce que Dieu fait est bien fait.

Je vous serre la main, cher vieil ami.

Victor .
29 janvier 1852[60].
À Brofferio.


Bruxelles, 2 février 1852.
Mon éloquent et cher collègue,

C’est du fond du cœur que je vous remercie. Orateur, vous me répondiez du haut de votre tribune, proscrit, vous me tendez les bras.

J’étais heureux de votre sympathie d’homme politique et de citoyen ; je suis fier de votre hospitalité que vous m’offrez avec tant de dignité, que j’accepterais avec tant de joie.

Je ne sais encore ce que la providence fera de moi, il me reste plus que jamais d’impérieux devoirs publics. 11 peut être nécessaire que je m’éloigne le moins possible de la frontière la plus voisine de Paris. Bruxelles ou Londres sont des postes de combat. C’est maintenant à l’écrivain de remplacer l’orateur ; je vais continuer avec la plume cette guerre que je faisais aux despotes avec la parole. C’est le Bonaparte, le Bonaparte seul, qu’il faut maintenant prendre corps à corps ; pour cela je dois peut-être rester ici ou aller à Londres. Mais soyez sûr que le jour où je pourrai quitter la Belgique ou l’Angleterre, ce sera pour Turin. J’aurai une joie profonde à vous serrer la main. Vous particulièrement, que de choses vous incarnez en vous ! Vous êtes l’Italie, c’est-à-dire la gloire ; vous êtes le Piémont, c’est-à-dire la liberté ; vous êtes Brofferio, c’est-à-dire l’éloquence. Oui, j’irai, j’irai prochainement vous voir, et voir votre villa du lac Majeur ; j’irai chercher près de vous tout ce que j’aime, le ciel bleu, le soleil, la pensée libre, l’hospitalité fraternelle, la nature, la poésie, l’amitié. Quand mon second fils sera sorti de prison, je pourrai réaliser ce rêve, et faire ranger ma famille en cercle à votre foyer.

Nous parlerons de la France, aujourd’hui, hélas ! pareille à l’Italie, tombée et grande ; nous parlerons de l’avenir inévitable, du triomphe certain, de la dernière guerre nécessaire, de ce grand parlement fédératif continental où j’aurai peut-être l’immense joie un jour de m’asseoir à côté de vous.


À Madame Victor Hugo.


Samedi 14 février.

Ne dis pas, chère amie, que je n’ai pas le temps de lire ; écris-moi de bonnes longues lettres, je t’en supplie. Ne perds pas cette douce habitude de causer avec moi à pleines pages. Ta lettre si courte nous est arrivée hier soir, vendredi. Nous n’en avions pas eu depuis dix jours que Charles est arrivé. Nous, dans l’intervalle, nous t’avions écrit deux fois, la première fois par la poste, la seconde fois (avec un gros paquet de journaux d’ici) par M. St Edme Jobert. As-tu reçu la lettre et les journaux ? J’ai, moi, très peu de temps pour écrire. Charles vient de te dire notre vie. J’y ajoute ceci : Je me lève à huit heures du matin (je vais réveiller Charles qui reste assez habituellement au lit, malgré mon réveil), puis je me mets au travail. Je travaille jusqu’à midi : déjeuner. Je reçois jusqu’à trois heures. À trois heures, je travaille. À cinq heures, dîner. Je digère (flânerie ou visite quelconque) jusqu’à dix heures. À dix heures, je rentre et je travaille jusqu’à minuit. À minuit, je fais mon lit et je me couche. Je fais mon lit, voici pourquoi : les draps sont grands comme des serviettes et les couvertures comme des tapis de table. J’ai été obligé d’inventer un procédé pour tricoter tout cela de façon à avoir les pieds couverts, et chaque soir je refais mon lit. Charles dort tout bonnement.

Acquitte les 151 francs dépensés par Victor pour s’équiper. Je t’enverrai dans quelques jours la procuration pour toucher ce qui m’est dû à l’Institut et à l’Assemblée, et tu te rembourseras sur la somme que tu toucheras. Porcher t’a-t-il apporté de l’argent à la fin de décembre ? Combien ? Marque-moi la somme. — Deux autres recommandations : — 1°, écris-moi si tu as mis en sûreté la croix de diamants dont je t’ai parlé et qui était dans le coffre de drap. Aies-en bien soin. — 2° Mets de côté et garde précieusement quatre ou cinq rouleaux cachetés (en papier gris) qui sont dans le bas de l’armoire de ton père et qui contiennent des copies toutes faites de plusieurs de mes manuscrits inédits. Quand tu viendras me rejoindre tu me les apporteras. C’est toujours cela de copié. Je ferai faire les copies du reste.

J’ai promis à notre cher Paul Meurice un dessin. Celui du petit album ne compte pas. À côté de mon lit, devant la glace, derrière le petit coffret de laque à couvercle rond, il y a un grand dessin très réussi qui représente deux châteaux dont un dans le lointain. Fais-le encadrer avec trois pouces environ de marge blanche et donne-le de ma part à Paul Meurice[61]. Remercie-le de sa charmante lettre. Dis à Auguste, qui m’a écrit comme toujours une lettre pleine de choses profondes, dis à Meurice et à Victor que je leur ferai les vers qu’ils veulent. C’est bien le moins que je jette quelques strophes à travers leurs barreaux[62].

Mon Charles est bon et charmant. Il réchauffe un peu le froid que j’ai loin de vous tous. Le difficile est de le faire travailler. Je n’ai pu encore lui arracher que quelques pages, excellentes du reste, sur ce qui s’est passé à la Conciergerie. Dis à nos trois prisonniers de recueillir leurs souvenirs et ceux des autres, et de m’envoyer tous les faits qu’ils pourront. — Je reviens à Charles. En attendant l’Histoire des quatre années, qu’Hetzel trouve chose excellente et très vendable, mais qui sera plus faisable quand vous serez tous là, je lui ai dit d’écrire un livre avec ses six mois de prison, et notre voyage à Lille. La Conciergerie et les Caves[63], voilà un beau et bon volume. Il me promet, il est doux comme une bonne fille, mais il ne commence pas. Je ne me plains pas, car je ne veux pas que tu le grondes. Je travaille pour tous. Seulement je crains que le temps ne se perde. Les années passent et les habitudes viennent. L’autre soir il était sorti, je travaillais. À minuit, on cogne à ma porte. — Entrez. — Monsieur, me dit l’hôtesse, monsieur votre fils a-t-il la clef ? (de la porte du dehors). — Non, madame. — En ce cas, je vais l’attendre. — Non, madame. — Comment faire alors ? — Couchez-vous. Je vais descendre dans votre boutique (l’entrée de mon logis est une boutique de tabac), j’écrirai tout aussi bien sur votre comptoir que sur ma table, et j’attendrai mon fils.

Je me suis installé, en effet, dans le comptoir ; je me suis juché sur le haut tabouret de la marchande, et j’ai écrit là. À trois heures du matin, Charles est rentré, il a été stupéfait de me trouver griffonnant sur ce comptoir et l’attendant. Je ne lui ai pas fait de reproches. Mais depuis lors, il n’est guère rentré passé minuit.

Pour ce qui est de mes affaires de librairie, la Belgique a peur, et une librairie belge libre, même purement littéraire, est impossible en ce moment. La chose que j’avais cru toucher recule. La contrefaçon n’est pas encore tuée légalement et l’invasion est imminente. Deux causes de retard. Il faut donc attendre encore. Hetzel va partir pour Londres et tâcher de nouer la chose en Angleterre. Tout cela exige que nous ne relâchions rien de notre vie étroite d’exilés mangeant trois francs par jour. — Je donne pourtant çà et là à Charles quelque « tigre à cinq griffes[64] ». Le tigre s’en va en fumée.

Tout à l’heure on a cogné à ma porte. J’ai interrompu ma lettre. C’était le directeur des Variétés, M. Carpier, qui vient de Paris, m’a-t-il dit, exprès pour me voir. Il m’a demandé, avec mille instances et offres, une pièce pour Frédérick[65], le Don César[66]. Il m’a fort parlé d’Auguste dont il sent le haut avenir dramatique. Il m’a paru homme intelligent. Il m’a dit que le Maupas avait poussé un cri de joie à l’idée d’une pièce de moi, se figurant sans doute que la littérature m’ôterait à la politique. Je lui ai dit qu’après la publication de mon livre, je verrais, mais que je devais ne rompre maintenant le silence que par un soufflet sur la joue du coup d’État. Il m’a offert de faire venir répéter sa troupe à Bruxelles ou à Londres, où je serais. Je dois le revoir encore.

Je suis charmé que le Voyage soit dans la Revue[67]. Quant à mon enfance, ajourne[68]. Je suis absorbé en ce moment par Bonaparte. — À bientôt, chère, bien chère amie. Mes tendresses à ma Dédé. Prends-en beaucoup pour toi[69].


À Madame Victor Hugo.


Bruxelles, 22 février.

Serrière[70] sort d’ici et nous a remis le paquet que tu nous envoies.

Je commence par te dire que tu es une noble et admirable femme. Tes lettres me font venir les larmes aux yeux. Tout y est dignité, force, simplicité, courage, raison, sérénité, tendresse. Si tu parles politique, tu le fais bien, tu vois juste et tu dis vrai. Si tu parles affaires et famille, c’est un grand et bon cœur qui parle. Comment donc peux-tu me supposer, avec toi — et avec personne, — un double fond ? Qu’ai-je à cacher, à toi surtout ?

Ma vie défie le soleil, et mon âme aussi ! Tu me parles argent à regret ? Je le comprends. Nous sommes pauvres, et il faut passer dignement un défilé qui peut finir vite, mais qui peut être long. J’use mes vieux souliers, j’use mes vieux habits, c’est tout simple. Toi, tu supportes les privations, les souffrances même, souvent l’extrême gêne, c’est moins simple, puisque tu es femme et mère, mais tu le fais avec bonheur et grandeur. Comment donc pourrais-je douter de toi ? À quel propos et pourquoi ? Est-ce que j’ai quelque chose qui ne soit pas à toi ? Ne dis pas ton argent, dis notre argent. Je suis administrateur, voilà tout. Quand je verrai mes pauvres bons fils travailler comme moi, quand je verrai naître un débouché et un libraire quelque part, à Bruxelles ou à Londres, n’importe où, pourvu que ce soit dans une terre libre, quand j’aurai vendu un manuscrit, je dirai : C’est bien et je ferai à tous la vie plus large. En attendant, il faut souffrir un peu. Quant à moi, c’est de vos souffrances que je souffre et non des miennes.

Tout ceci t’explique ma rigidité en matière de dépenses. — La recette n’est pas encore assurée, et nous ne vivons pas encore en couvrant nos frais. Cela viendra, mais n’est pas venu. — Mais comment peux-tu voir là de la défiance ? C’est de la réserve comme j’en ai vis-à-vis de moi-même. Tu sais bien que toute ma vie j’ai commencé les privations et les économies par moi. Chère amie, j’aurais là toute notre fortune que je te la livrerais, en peux-tu douter ? Je te dirais seulement : prends garde. — Je puis vous manquer un beau matin, et il faut tâcher d’avoir après moi le capital. La dignité même de ton caractère l’exige. Je ne veux pas que tu aies jamais besoin de personne. Vis comme tu as toujours vécu, sans moi comme avec moi, fièrement, dignement, regardant de haut les gouvernements, les hommes, les choses, n’ayant souci ni besoin d’aucune protection. C’est là l’avenir que je te veux, et à mes enfants. De là, je le répète, ma rigidité actuelle.

Si je ne t’ai pas encore envoyé la procuration pour l’Institut, c’est que le temps me manque à la lettre pour aller chez le notaire. C’est une journée entière à dépenser. Je le ferai pourtant, et je sens que la chose presse.

Mes lettres te paraissent quelquefois laconiques sur certains points intimes dont je causerais avec toi à cœur ouvert. Mais il faut bien que tu saches que les lettres sont souvent décachetées à la frontière par ceux mêmes qui les portent afin d’éviter une amende de 500 fr. par lettre contre quiconque frustre la poste d’une lettre. Cela est absurde, mais cela est ainsi. Ceci te fait comprendre mieux certaines réticences sur des points délicats.

Pour te parler d’un de ces points, les choses qu’on t’a dites sont pures chimères. Henri D… est un esprit léger, je ne le croyais pas méchant et faux. Il gâte ainsi un vrai service rendu. Si tu savais le fond réel des choses, toi qui es la grandeur d’âme, tu prendrais en gré (sinon en affection) l’abnégation, le sacrifice, la résignation et le dévouement. La femme dont je parle[71] t’admire et te respecte au delà de tout le monde, et ne fait allusion à toi qu’avec religion. Voilà la vraie vérité, vois-tu. Mais c’est égal, les sots jasent. Dédaigne leur jaserie.

Je vois, d’après la réponse que Charles te fait et qu’il m’apporte, que tu l’as un peu grondé dans ta lettre. Ne le gronde pas. J’ai besoin de le voir à côté de moi heureux et content, et s’il ne veut pas travailler, qu’y faire ? Un jour ou l’autre, je l’espère, la raison viendra, une affaire le tentera et il se mettra au travail. En attendant, je tâche qu’il soit heureux, je ne lui fais aucun reproche, je le laisse entièrement libre, et je fais ce que je peux pour qu’il se plaise près de moi. Je suis triste qu’il ne t’en dise pas un mot dans sa lettre. — Un jour, plus tard, mes enfants sauront tout ce que j’aurai été pour eux.

Mon livre avance. Il serait fini dans huit jours (en travaillant les nuits), s’il le fallait. Mais je ne vois pas encore urgence. Il m’arrive tous les jours de nouveaux renseignements qui me forcent à refaire des parties déjà écrites. Cela m’est fort pénible. Je ne crains pas le travail, mais je hais le travail perdu. Je ne sais pas encore si je joindrai les faits de la province à ceux de Paris. Cela pourrait devenir long et monotone. D’ailleurs Paris seul décide tout et a tout décidé le deux décembre comme toujours. Je ne donnerai probablement que le plus curieux des faits de province et en résumé[72] ; seulement ce qu’il faudra pour faire ressortir le mensonge de la prétendue jacquerie. Et puis je crois qu’il vaut mieux pour la propagande et la vente que le livre n’ait qu’un volume.

Quant au journal[73], sauf plus ample réflexion, je suis de l’avis d’Auguste. Rien à faire sous cette loi. Si un succès de journal littéraire était possible, il faudrait cependant examiner. On bornerait la politique aux faits et l’on ferait une magnifique littérature-opposition. Mais laisserait-on faire cela ? Consultez-vous entre vous. Vous voyez le terrain de plus près.

À propos de bonne politique et de bonne littérature, voici une noble lettre :


« Monsieur,

« Comme je ne vous reconnais pas le droit de dépouiller ma famille, je ne vous reconnais pas davantage le droit de m’assigner une dotation au nom de la France. Je refuse le douaire.

« Hélène d’Orléans. »

Charles te raconte que je l’ai mené à Louvain. On m’y a fait grand accueil. Le bibliothécaire m’attendait à la bibliothèque, le directeur de l’Académie à l’Académie, l’échevin à l’Hôtel de Ville. On m’a donné une médaille. Le curé ne m’attendait pas à l’église. J’y suis allé pourtant. La ville était en rumeur. Les élèves de l’Université me suivaient dans la rue à distance. L’un d’eux m’a écrit : — Nous n’avons pas crié vivat de crainte de donner ombrage, à votre sujet, à notre pauvre petit gouvernement.

Chère amie, je te finis cette lettre à dix heures du soir. Je vais l’envoyer chez Serrière qui part demain matin. Plusieurs représentants, Yvan[74], Labrousse, Barthélemy[75] sont là autour de moi qui me parlent de toi et t’envoient leurs respects. J’écrirai à Abel et à Béranger, ainsi qu’à Mme Ménnechet et Lucas[76]. J’écrirai à mon Victor et à ma courageuse et charmante petite Adèle. Je dis petite, quoiqu’elle soit aussi grande que toi, mais je la vois toujours haute comme ça, disant : papa é i[77].

Remercie Meurice de sa belle et bonne lettre et embrasse toute ma Conciergerie. — À toi, à vous tous[78].


À Madame Victor Hugo.


26 février.

J’ai passé la journée avec Marc Dufraisse[79], lui me contant, moi écrivant. J’ai griffonné ainsi sans m’en apercevoir vingt pages de petit texte, ce qui fait, chère amie, que je suis abruti ce soir. Je voulais écrire à toute ma Conciergerie, je voulais écrire à mon Adèle chérie, et voilà que j’ai à peine le temps de t’envoyer dix lignes. Le gros paquet sera pour la prochaine fois.

C’est Mme Coppens qui te portera cette lettre. Elle part demain matin. Il est huit heures du soir et je ne sais si j’arriverai à temps pour la rencontrer chez elle aujourd’hui.

J’ai invité hier Girardin à dîner et nous avons causé en toute cordialité. Il m’a parlé d’un feuilleton de Gautier qui me touche. Remercie Gautier pour moi[80]. Il paraît que M. Augier[81] me croit fusillé et croit mes ouvrages fusillés avec moi. Girardin m’a dit que le feuilleton de Gautier était charmant et m’a promis de me l’envoyer, ainsi qu’un feuilleton de Janin[82]. Donc il faudra que tu remercies Janin. Je suis convaincu que le remercîment venant de toi lui fera encore plus de plaisir que de moi.

Je viens de lire une bonne phrase dans l’Émancipation, journal jésuite et bonapartiste d’ici. Je te la transcris. Il s’agit du Corps Législatif.

« Les élections sont parfaitement libres. Cependant un journal qui proposerait au choix des électeurs le nom de Victor Hugo ou le nom de Charras serait inévitablement suspendu ».

La chose est adorable. Voici sur le même sujet ce que dit le Messager des Chambres[83].

Tu as dû recevoir ce matin mercredi par Mme Bellet la procuration avec un mot de moi. M. Taillet a dû t’expliquer le retard de ta lettre. Je t’envoie l’enveloppe afin de t’édifier complètement sur le petit travail de la police Piétri[84] qui me paraît digne de la police Carlier[85].

Je pense du reste que tu as dû recevoir la procuration à temps pour faire toucher par Pingard[86], le mardi gras étant un jour férié, ne pouvait compter.

Le mardi gras est ici très folâtre et assez farce. De ma fenêtre, sur la Grande Place, je voyais le centre des mascarades. Ma vitre était une stalle. Les flamands ont l’air endormi toute l’année, le mardi gras la gaîté les prend et les rend fous. Ils sont alors très drôles. Ils se mettent cinq dans la même blouse avec des chapeaux énormes et dansent comme cela. Ils se barbouillent, ils s’enfarinent, ils se noircissent, ils se rougissent, ils se jaunissent, ils sont à crever de rire. J’avais hier ma Grande Place remplie de Téniers et de Callots. Et puis des trompes assourdissantes toute la nuit. De ma croisée, je lisais cette affiche : Société des Crocodiles. Dernier grand bal.

Mon livre avance. J’en suis content. J’ai lu à des amis quelques pages qui ont fait grand effet. Je crois que ce sera une bonne revanche de l’intelligence contre la force brutale. Encrier contre canon. L’encrier brisera les canons.

Je me sens ici aimé de tout le monde. Le bourgmestre et les échevins sont aux petits soins. Je crois que je gouverne un peu la ville. Vrai, tous ces belges sont charmants. Ils disent qu’ils détestent les français ; au fond, ils les vénèrent. Moi je les aime fort, ces bons belges.

Ma fille chérie, joue de temps en temps mon air Brama[87] et qu’il te fasse penser à moi. Dis à ta bonne mère de m’écrire une longue lettre et donne-lui l’exemple. — Mon Victor, fais de même, et toi, chère bien-aimée, envoie-moi beaucoup de longues pages de tout le monde, à commencer par toi. J’ai faim de vous lire et soif de vous embrasser.

Tendresses à Auguste et à Meurice. As-tu donné à Meurice le grand dessin des deux châteaux derrière ma boîte de Chine à couvercle rond ?[88]


À Madame Victor Hugo.


Vendredi 27 février.

M. Coste de l’Événement te portera ce mot. Chère amie, il est bien heureux, il te verra, il vous verra tous.

J’ai été un peu souffrant ces jours-ci, travaillant toujours, sortant peu, ne faisant presque pas d’exercice, moi qui marchais tant autrefois ; cela m’a indisposé. J’ai eu de la fièvre deux ou trois jours, mais c’est fini. Je vais bien.

Nous faisons toujours Charles et moi un doux et paisible ménage. S’il se mettait de lui-même et sérieusement à travailler, je serais presque heureux ici, si ce mot heureux peut être prononcé quand tu n’es pas là, chère et noble bien-aimée, quand vous n’êtes pas là, mes chers enfants, quand vous êtes absents, vous tous qui êtes ma vie et ma joie !

Nous vivons l’œil tourné vers Paris, attendant tes lettres, chère amie, attendant un gros paquet de la Conciergerie. Il pleut, il fait froid, c’est le carême, on est seul. Nous avons bien besoin d’un rayon de soleil. Il dépend de vous de nous l’envoyer.

Dis à Victor, dis à Auguste, dis à M. et Mme Paul Meurice que nous parlons d’eux sans cesse, Charles et moi. Hier, à la table d’hôte des proscrits, Charles a dit des vers d’Auguste qui ont fait pouffer de rire l’exil. C’est Madame Revel remplacée par Philippe le Bel. Tu dois savoir cela.

Embrasse-les tous de ma part, même les hommes, et surtout les femmes.

Ceci n’est qu’un mot pour vous dire bonjour. J’interromps mon travail et je le reprends. Embrasse deux fois mon Victor-Toto et mon Adèle-Dédé[89] .


À Madame Victor Hugo[90].


Bruxelles, 29 février.

Je ne puis, chère amie, t’écrire que deux lignes. On vient tout à l’heure chercher cette lettre pour toi, et je n’ai pas pu me résigner à laisser passer une occasion sans t’écrire. Charles dîne en ville, ce qui lui fera manquer de te mettre un mot au bas de la page. Nous nous plaignons un peu de vous tous et de toi, dont les lettres nous sont une si grande joie. — Depuis l’arrivée de Charles, nous t’avons écrit trois fois. Cette lettre-ci est la 4e et nous n’avons reçu au goum qu’une lettre, et bien courte encore. N’oubliez donc pas, les uns et les autres, que les proscrits sont des affamés : affamés de famille et de patrie. Il faut leur écrire longuement et souvent.

M. Hem, qui te portera cette lettre, est l’associé de Méline. Il va à Paris pour la question de la contrefaçon. Si tu causes avec lui, il te fera comprendre les difficultés actuelles d’une affaire avec la librairie belge. N’oublie pas du reste que j’ai reçu 300 000 francs des Gaillard et Rampin il y a douze ans, et que je ne puis me laisser offrir moins aujourd’hui. Il m’a annoncé qu’après les questions de la contrefaçon réglées, Méline me ferait des offres sérieuses. J’en attends d’ailleurs d’autres de Londres. J’ai déjà eu de fort bonnes ouvertures. Mon 2 décembre ne pourra être publié qu’en Angleterre.

Je travaille sans relâche. J’ai pourtant fait faire hier à Charles une excursion à Louvain qui l’a grandement intéressé. Il te la contera. Girardin vient de m’écrire qu’il avait des offres à faire à Charles. Nous verrons. Il n’y a que l’immédiat qui puisse faire travailler Charles.

J’attends de Victor, d’Adèle, de toi, de tous, de longues et prochaines lettres. J’espère que mes deux enfants bien-aimés se portent bien, et toi aussi que j’embrasse bien fort. Amitiés les plus tendres à Auguste, à Paul Meurice. Hommages aux pieds de Mme Paul[91].


À Madame Victor Hugo[92].


Bruxelles, 8 mars [1852].

Ne te plains pas de nous, chère amie, ne te plains pas de moi surtout, qui pense sans cesse à toi et à vous tous ; ce qui nous manque pour t’écrire, ce sont les occasions. Tu en jugeras par ce mot du 27 février que M. Coste devait te porter. Il n’est pas parti. C’est au contraire Berru[93] qui est venu le rejoindre. Ce pauvre Berru est condamné à la déportation par ces drôles. Depuis ce jour-là, pas d’occasion pour Paris. Tout à l’heure on me fait dire qu’il y en aura une pour midi. Il est onze heures et demie. Je te griffonne bien vite ce mot. À la première occasion que je saurai seulement la veille, je t’enverrai une longue lettre, et j’écrirai aussi à tous. Je travaille toujours ardemment, et je suis toujours un peu ennuyé d’avoir à refaire à cause des nouveaux détails ou des renseignements contradictoires qui m’arrivent. Somme toute, le livre sera curieux jusqu’à l’étrange. J’écoute, j’interroge, je note, je confronte, je me fais l’effet du greffier de l’histoire. Un journal d’ici, le Sancho, disait ceci l’autre jour :

« Aussi la France n’est plus à Paris, elle est à Bruxelles avec Victor Hugo, le grand poëte, le profond penseur, à qui Dieu et la France semblent avoir remis le soin de venger un grand peuple en marquant au front, d’une parole ineffaçable et vengeresse, l’escamoteur du 2 décembre. »[94]

Charles de son côté depuis quelques jours m’a demandé du papier ; je ne le lui ai pas marchandé comme tu penses, il s’est enfermé dans sa chambre, et je crois qu’il travaille. J’ai vu sur sa table des feuilles offrant l’aspect de choses dialoguées. J’en conclus qu’il fait peut-être une pièce. Auguste m’a écrit une bien bonne et bien charmante et bien belle lettre, remercie-le. Le quatrain a fait notre joie. En attendant que je lui écrive, cause avec lui du cautionnement. Je ne crois pas que l’Événement puisse renaître sous quelque forme que ce soit. Il faudrait donc retirer le cautionnement. Il y a là 6 000 francs dont nous pourrons avoir prochainement grand besoin, et qui, dans tous les cas, seront mieux dans nos mains que dans les mains du Bonaparte.

Chère amie, on me rappelle l’heure, il faut que j’écourte cette lettre. J’ai pourtant encore des bonnes choses plein le cœur. Distribue-les à tous comme si je te les envoyais. Devine tout ce que je dis de tendre à mon Toto et à ma Dédé, et dis-le leur. Enfin fais-toi à toi-même mille tendresses et à nos chers bons amis Auguste et Meurice et prie madame Meurice de supposer que je lui baise humblement la main. — J’ai reçu une fort gracieuse lettre de madame Lucas. Je lui répondrai par le prochain courrier. — Encore mille baisers[95].


À Jules Janin.


Bruxelles, 10 mars 1852.

Quelqu’un qui m’aime m’a envoyé ici quinze colonnes de vous datées du 23 février, quinze diamants[96]. J’en suis tout ébloui et bien charmé. Que vous avez d’esprit, cher poëte, et que vous avez de cœur ! Vous savez qu’on a besoin de soleil en Sibérie, et vite, vous écrivez un feuilleton pour les proscrits, pauca meo Gallo. Ce pauca est beaucoup. Je vois que vous m’aimez toujours un peu là-bas, vous tous les poëtes, vous tous les artistes, vous tous les grands et bons cœurs. Merci. L’exil finit, l’amitié ne finit pas. Je vous serre les deux mains.

Victor Hugo[97].
À Hippolyte Lucas[98].


Bruxelles, 10 mars 1852.

Je suis heureux, cher ami, de ce charmant souvenir que vous m’envoyez. Vous voir serait, certes, plus charmant encore. Quand sera-ce possible ? Dieu le sait. Ne me plaignez pas, je remercie la destinée de tout ce qui se passe, et de tout ce qui se fait pour ou contre moi, pourvu que j’aie un peu de liberté, un peu de soleil, un peu de souvenir.

Votre ami.
V.Hugo[99].


À Madame Victor Hugo[100]
(Madame Rivière.)


Bruxelles, 11 mars 1852.

Cette fois M. Coste part, un peu imprudemment peut-être. Il te remettra cette lettre, chère amie, et ce tas d’autres lettres. Dis à mon Victor et à mon Adèle qu’ils auront bientôt les leurs. Ils savent que je paie toutes mes dettes. Charles t’écrira par la prochaine occasion. (Très prochaine.) Aujourd’hui je ne t’envoie que quatre lignes. C’est un peu court pour une lettre, c’est un peu long pour un bonjour. Prends-les avec ton doux sourire.

Je te remercie des feuilletons que tu m’as envoyés. Ils m’ont fait grand plaisir, et à Charles, Charles te donnera tous les détails de notre vie ici. Moi je suis enfoui dans mon livre. Demain vendredi, nous dînons Girardin, Dumas, Charles et moi, avec un éditeur d’ici, M. Muquardt. Cet éditeur m’annonce des offres dignes de moi, dit-il. Nous verrons. En attendant, je pioche le Bonaparte. Boichot[101], chassé de Suisse, est venu me voir. Il sort d’ici. Il part demain pour Londres. Il voudrait, m’a-t-il dit, servir de trait d’union entre Ledru-Rollin et moi. Je verrai. Boichot est un homme jeune, sérieux et intelligent ; il comprend à merveille la question de l’armée.

Je lui ai donné une lettre pour un ouvrier nommé Desmoulins (ami de Pierre Leroux), qui fonde en ce moment une imprimerie française à Londres, et qui me demande appui.

Tu vois que tout cela marche un peu, quoique lentement. Prenons la lenteur en patience. Ce que je ne puis prendre en patience, chère amie, c’est ton exil, c’est la prison de Victor, c’est la prison de nos amis, c’est ma fille loin de moi. Chaque jour je suis plus impatient de vous revoir tous. Ma petite Adèle, pense à moi et joue Brama à mon intention. Il me semble que je l’entends. Mille baisers à vous deux, et toute mon âme[102] .


À Auguste Vacquerie[103].


Bruxelles, 11 mars [1852].

Vos lettres, cher Auguste, n’ont qu’un défaut. Elles sont rares. Nous les lisons avec joie, et il nous semble vous entendre. Une lettre de vous est une poignée de main.

Vous avez bien raison quant à cette annonce de D. César. Je n’y comprends rien. M. Carpier ayant Frédérick, je lui avais dit que le jour où j’écrirais D. César, il l’aurait, mais qu’avant tout, j’entendais ne rentrer dans la publicité que par le livre du 2 Xbre. Mon premier acte doit être un acte politique. Si vous croyez utile de faire faire la rectification, jugez la chose et faites.

Ma femme a dû vous parler du cautionnement. Il serait, je crois, utile de le retirer. Reparaître est impossible. Qu’en pensez-vous ?

Nous passons notre vie ici à parler de vous tous. Vous êtes personnellement, vous Vacquerie, très aimé et très populaire parmi tous nos proscrits. Le jour où vous serez libre et où vous nous arriverez, toutes les mains se tendront vers vous, et tous les cœurs.

J’espère que vous travaillez là-bas. Charles me dit que vous faites un drame. Qui écrira des drames, si ce n’est vous ? Avec quoi salera-t-on si ce n’est avec le sel ? Je suis convaincu qu’actuellement, toutes les conditions qui étaient contre vous sont pour vous, et que vous auriez un immense succès. In carcere musa, disait Catulle. Faites sortir la muse de la Conciergerie.

Vous me parlez d’une dédicace qui a fait un fort mauvais effet. Voici ce que les journaux d’ici en disent :[104]

Ils auraient dû ajouter : Auguste Vacquerie et Paul Meurice sont en prison.

Vous savez finir vos lettres par quatre charmants vers ; moi, je suis englouti sous la prose, et je ne puis que vous envoyer nos meilleures amitiés à Charles et à moi. Mon livre avance. Je l’intitulerai : 'Faits et gestes du 2 décembre. Le titre est insolent, et me plaît. En outre, il me permet mille petits détails familiers. Vous savez que c’est ainsi que j’aime l’histoire.

Ex imo.


À Madame Victor Hugo.


17 mars [1852] Bruxelles.

C’est madame Chambolle qui a la bonne grâce de te porter ce petit mot, chère amie. Ne gronde pas Charles s’il n’y a pas de lettre de lui. Il est sorti en ce moment, et je reçois à la minute l’avis de départ de Mme Chambolle pour Paris. Il n’y a donc pas de sa faute.

Charles ne travaillait pas, et perdait son temps. D’un autre côté il me disait : j’ai besoin de gants, de fiacres, d’argent de poche, etc. J’ai fait avec lui un arrangement : je lui donnerai 50 francs par mois pour son superflu personnel ; lui, de son côté, se lèvera tous les matins comme moi à huit heures et travaillera près de moi jusqu’à onze heures. Moyennant ces trois heures, je le tiendrai quitte de tout autre travail le reste du jour. Il a accepté avec enthousiasme ; il s’est levé et a travaillé le premier jour et le second jour ; mais déjà cela ne va plus que faiblement. Hier il a travaillé une demi-heure, et aujourd’hui pas du tout. Je l’ai un peu grondé, il s’est d’abord exclamé, comme tu sais, puis il a compris, et j’espère qu’à partir de demain la régularité reviendra. Ces 50 francs par mois me gêneront, mais j’aime mieux qu’il ne fasse pas de dettes et qu’il travaille un peu. Tu m’approuves, n’est-ce pas ? Oh ! que je voudrais t’avoir là et que j’aurais besoin de toi pour le remonter de temps en temps ! Du reste, ne le gronde pas pour tout cela. Il va peut-être enfin s’y mettre. Fais comme si je ne t’avais rien dit.

Il inclinerait vers les petits proverbes, vers les petits vers, vers les choses faciles et stériles, vers les collaborations de Dumas, ce qui est pire. Je le retiens et je le tourne vers les travaux sérieux et qui peuvent servir ses idées et son avenir. J’insiste pour qu’il fasse son livre de la Conciergerie. Parle-lui-en de ton côté.

Quant à moi, tu vois d’ici ma vie. Elle est toujours la même : levé à huit heures — travail — déjeuner à onze — ce n’est plus du chocolat. Charles a préféré une côtelette, — réception jusqu’à trois heures — travail jusqu’à cinq — dîner à la table d’hôte avec Charles, Dumas, Noël Parfait[106], Bancel[107], etc. — Visites jusqu’à dix heures — dix heures, travail jusqu’à minuit. Je dîne dehors quelquefois, mais rarement. Il y a ici une bonne vieille polonaise riche, madame de Laska, qui adore Charles. J’y ai dîné une fois. La semaine passée, j’ai dîné avec Girardin, Quinet[108] et Dumas, chez un éditeur d’ici, M. Muquardt dont je t’ai déjà parlé. Les libraires d’ici ont peur de mon livre du Deux-Décembre. Je serai évidemment obligé de ne le publier qu’à Londres. Du reste, l’important est de le faire. Il est certain qu’il sera publié. Comment, par qui, peu importe.

Remercie bien Mme Chambolle, si tu la vois, chère amie. Je t’envoie les plus tendres baisers de Charles et de moi. — Écris-nous bien vite et bien long[109].


À Madame Victor Hugo.


19 mars. Bruxelles.

Je t’ai écrit avant-hier, mais je ne veux pas qu’un paquet parte sans un mot de moi pour toi. Chère amie, nos lettres se sont croisées. J’ai reçu la tienne au moment même où tu devais avoir la mienne. Je vais aller tout de suite chez M. Coppens[110]. Dis à sa femme que je l’ai déjà vu plusieurs fois ici ; il ne me paraissait pas si accablé. Je tâcherai de le faire           [111] habituellement avec nous. Tu as dû recevoir par Mme Noël Parfait une lettre à l’adresse de M. Duboy, avocat à la Cour de cassation. Il serait très important d’avoir le plus tôt possible la réponse à cette lettre. Tu vas le comprendre.

J’ai besoin, pour mon livre, de détails sur ce qui s’est passé le Deux Décembre à la Haute-Cour. Marc Dufraisse a écrit à M. Duboy, qu’il connaît, pour lui demander ces détails. Tâche d’avoir la réponse de M. Duboy. Envoie chez lui. Peut-être ne faudrait-il pas lui dire que ces détails me sont destinés. Il n’aurait qu’à avoir peur !

Depuis que je t’ai écrit, Charles s’est un peu remis au travail. Presse-le dans le même sens que moi : un livre solide et sérieux qui sente son proscrit et qui ne laisse à personne le droit de dire qu’il n’a rien tiré de sa prison.

Son volume de vers publié à présent serait une très grosse faute. On le démonétiserait tout de suite avec cela, bêtement, mais sûrement.

Voici une nouvelle d’ici. Qu’y a-t-il de vrai ?[112]

Charles est ici très recherché. Il est charmant, et c’est tout simple. Je lui conseille la dignité, la tenue, même avec les femmes. Pas de légèretés, pas de dettes, et le plaisir après le travail. Il consent à tout, et je tâcherai qu’il pratique, mais j’aurais bien besoin de toi pour m’aider. Écris-lui toujours à ce point de vue, sans le gronder jamais.

J’ai vu hier Girardin, et nous avons causé beaucoup et longtemps. Il publie demain ici un livre socialiste, et part le même jour pour Paris. Je ne crois pas que ce qu’on t’a dit de lui soit exact, je l’ai trouvé hier très bien ; je lui ai dit : Allez à Paris le moins possible, restez-y le moins possible, soyez proscrit le plus possible. Vous êtes de ces hommes dont l’avenir a besoin. La quantité de pouvoir se mesurera à la quantité de proscription. Il m’a remercié et m’a dit une assez belle parole. Il m’a dit : il n’y a que vous qui ne bronchiez pas. Tous ont défailli, Cavaignac, Lamartine, Jules Favre, Michel de Bourges, Mathieu de la Drôme[113]. Vous êtes l’homme fort. Vous avez été le javelot. Vous avez parcouru en un clin d’œil une distance immense, et vous vous êtes enfoncé si profondément dans la démocratie que rien ni personne ne pourra vous en arracher. — N’est-ce pas que c’est assez beau ?

Si tu vois Mme de Girardin, félicite-la de son courage et de sa grandeur d’âme. La visite de Mme Sand[114] à l’Élysée et la place de Ponsard[115] sont fort mal jugées ici. Charles te raconte ce qui s’est passé hier entre Étienne Arago[116] et moi à propos du serment.

Chère amie, n’oublie pas qu’il me faut douze ou quinze longues pages la prochaine fois. Toutes tes lettres sont belles et fortes. Si j’avais besoin d’énergie, elles m’en donneraient. Ayons bon espoir. Tout va bien quand les têtes vont bien. Or nous n’avons jamais vu plus clair ni mieux su ce que nous faisons.

Embrasse mon Victor, embrasse mon Adèle, et dis-leur de t’embrasser. Il me semblera que je suis au milieu. Toutes mes tendresses à Paul Meurice, à Auguste Vacquerie. Mes respects à madame Paul.

As-tu parlé avec Vacquerie du cautionnement ? Qu’avez-vous fait ?[117]


À Madame Victor Hugo.


Bruxelles, lundi 22 mars.

Bonjour, chère maman. Ceci n’est qu’un mot à la hâte pour te dire que nous nous portons bien et pour t’envoyer ce feuilleton de Dumas, charmant pour toi. Écris-lui pour le remercier. Il y sera très sensible.

M. Carpier, le directeur des Variétés, est revenu ici ; « pour moi », dit-il toujours. Je lui ai renouvelé l’explication catégorique que je lui avais déjà faite : qu’il m’était impossible de rien donner au théâtre, et surtout une comédie, avant d’avoir fait un acte politique et publié mon livre. Il m’a dit : Mais, après votre livre, on ne laissera plus jouer votre pièce. — C’est possible, lui ai-je répondu, mais c’est mon devoir. — Il m’a dit d’ailleurs que l’Élysée était fort effaré de mon livre et que Romieu[118] lui en avait parlé avec anxiété. C’est bon.

Il demande une pièce à Charles. Pourvu que Charles la fasse en vers, afin d’écarter toute idée de vaudeville, et qu’il ait, lui aussi, publié ou écrit auparavant La Conciergerie, je trouve cela très bien, et j’y pousse Charles.

Hetzel dit qu’un mot de moi à Desnoyers[119] ouvrirait à Charles le feuilleton du Siècle. Je t’enverrai ce mot. Charles pourrait donner au Siècle des lettres non politiques sur Bruxelles. Dis-moi ton avis. Il faut que Charles travaille, et gagne de l’argent. Ceci atteindrait les deux buts et lui plaît beaucoup.

Je suis jusqu’au cou dans mon cloaque du Deux-Décembre. Cette vidange faite, je laverai les ailes de mon esprit, et je publierai des vers.

Tu as dû recevoir deux lettres de moi la semaine passée, l’une par Mme Chambolle, l’autre par Mme de Laska.

Chère amie, j’embrasse Adèle sur tes joues, et toi sur les joues d’Adèle. Écrivez-moi. — Poignées de main à Auguste et Paul Meurice. — Embrasse mon Victor[120].


À Jules Janin.


Bruxelles, 24 mars 1852.

Tout de suite un mot pour vos quatre pages. Votre lettre m’a trouvé écrivant à la France et à la postérité (j’espère, car la chose en vaut la peine), l’histoire de cet homme. — Est-ce un homme ? — Je m’interromps pour vous serrer la main. Si vous saviez quel bonheur c’est pour un exilé, — c’est toujours un peu sombre, l’exil, — de recevoir un rayon d’un charmant grand esprit comme vous. Vous me racontez mon avenir et mon avenir en de tels termes qu’il me semble que je le tiens, et cela me suffit. Oh ! si j’avais ma femme et mes deux autres enfants, et quelques amis dont vous êtes, cher Janin, et un peu de ciel bleu, et paulum sylvae super his foris, je ne demanderais rien, je ne regretterais rien. Quoi, pas même la France ! Hélas ! est-ce qu’il y a une France à présent ? Où est-elle ? Ma patrie, mon Dieu, montrez-la moi. Il n’y a pas pour moi la patrie, là où il n’y a pas la liberté. — Vous avez du reste raison de ne pas me plaindre, cher ami. — Dans le triomphe de la violence inepte sur la liberté, dans cette expulsion de l’intelligence par la force brutale, j’ai été choisi, parmi tant d’hommes qui valent mieux que moi, pour représenter l’intelligence, choisi, non par le Bonaparte qui ne sait ce qu’il fait, le pauvre imbécile, mais par la providence que je remercie. Quel immense honneur pour moi ! Enviez-moi tous, je vous représente !

Je ne veux pas que votre ami quitte Bruxelles sans vous porter ce bonjour. Il vous dira qu’il m’a trouvé, ma fenêtre ouverte sur la grande place où d’Egmont et de Horn ont été décapités, et ayant en face de moi ce vieux balcon de l’Hôtel de Ville, où venait s’accouder le duc d’Albe, dont la vilaine âme habite peut-être aujourd’hui Louis Bonaparte ; il vous dira comme votre lettre m’a charmé. Je lis avidement tous vos ravissants poëmes du lundi, vous improvisez comme les autres sculptent. Votre style est une volupté de mon esprit. À bientôt, en dépit de tout. À toujours. Je serre tendrement la vaillante main qui tient votre vaillante plume.

Tuus.
Victor Hugo[121].


À Madame Victor Hugo.
(Madame Rivière, 37 rue de la Tour d’Auvergne.)


Vendredi 26 mars.

Charles t’explique, chère amie, la hâte de notre lettre. Au reste, si mes lettres sont courtes, elles sont fréquentes, et tu sais d’ailleurs comme je travaille. En conscience, tu me dois des pages pour mes lignes.

Je voudrais pouvoir t’écrire longuement, car j’ai cent choses à te dire. Ces jours passés, j’ai eu la visite d’un élyséen, ancien ami à moi, ami actuel de Louis Bonaparte. Il passait par Bruxelles, m’a-t-il dit, et n’a pas voulu passer sans me serrer la main. Il m’a dit : Louis Bonaparte est désolé de la fatalité qui est entre vous.

— Ce n’est pas la fatalité, lui ai-je dit, c’est son crime. Et son crime est un abîme. — Il a repris : Il sait toute la reconnaissance que sa famille vous doit. Il a hésité cinq jours avant de mettre votre nom sur la liste de proscription. — Ah ! ai-je fait en éclatant de rire, il aurait mieux aimé me mettre sur la liste du Sénat, n’est-ce pas ? Eh bien, dites-lui ceci, c’est que c’est la liste du Sénat qui est la liste de proscription. Être exilé de France, ce n’est rien. Être exilé de l’honneur, c’est la vraie misère.

Le brave homme va être sénateur un de ces jours. Il s’en est allé comme il a pu.

Chère amie, j’écourte ce billet. Hetzel entre, il est minuit. Il part demain à 6 heures du matin. Je comptais pourtant bien encore remplir la page qui est là à côté, mais il faut y renoncer. Je t’envoie, et à mon Adèle, et à mon Victor, et à tous nos amis de la Conciergerie mes plus tendres affections. Il faut que vous m’écriviez tous bien long pour la peine[122].


À Madame Victor Hugo[123].


Mercredi 31 mars [1852].

Je saisis comme tu vois toutes les occasions, chère et noble amie. Je sais depuis cinq minutes que M. Over Straten, un belge très distingué, homme d’esprit et de cœur, part pour Paris. Il te remettra ces trois mots. J’interromps pour te les écrire une déposition que me font Amable Lemaître et Lachambaudie sur les pontons dont ils sortent[124]. C’est hideux.

Embrasse mon Victor et mon Adèle. Courage à tous. Grand succès à notre cher Paul Meurice[125]. Poignée de main à Auguste. Mon cœur à toi[126].


À Madame Victor Hugo.


Bruxelles, 8 avril.

Toujours des improvisations, chère amie. Notre cher et excellent Deschanel qui te portera ce mot, part pour Paris dans une heure. Reçois-le comme un de nos meilleurs amis qu’il est. J’ai vu par quelques lignes de Paul[127] dans l’Indépendance (remercie Paul de ma part) que tu t’étais occupée, et utilement, des sottes rumeurs répandues par l’Élysée sur ma rentrée obtenue. J’avais fait répondre ici immédiatement par ces six lignes :

« Plusieurs journaux annoncent que M. Victor Hugo a été autorisé à rentrer en France. On ne s’explique pas l’origine d’un pareil bruit. M. Victor Hugo a fait obtenir autrefois à M. Bonaparte l’autorisation de rentrer en France. Il n’a pas à la lui demander aujourd’hui. »

Cependant l’Élysée a insisté. Hier l’Observateur belge publiait ceci :[128]

J’ai répliqué par l’envoi suivant[129] :

Te voilà au fait de mon dialogue avec l’Élysée. J’espère que ce mot lui cassera le bec.

Chère maman bien-aimée, j’ai passé hier une bonne soirée. Alexandre Dumas est arrivé, nous avons dîné ensemble et parlé de toi. Il nous a dit comme tout le monde t’aime et te respecte, et je lui ai dit que tout le monde avait bien raison.

Tu as dû voir Hetzel. Il a dû te parler de mon livre, et te faire toucher du doigt les obstacles à la publication. Ces obstacles disparaîtront. M. Trouvé-Chauvel, l’ancien ministre des Finances, est venu me voir tout à l’heure. Je crois qu’il ira à Londres et qu’il s’occupera du mode de publication de mon livre. Ils étaient là trois anciens ministres de 1848, Charras, Freslon[130] et Trouvé-Chauvel. Je leur ai lu quelques pages de mon manuscrit. L’effet a été bon. Trouvé-Chauvel a dit : Ce livre sera un événement et un monument.

Caylus[131], du National, sort de chez moi. Il part pour l’Amérique. Le directeur du Courrier des États-Unis, journal français de New-York, désire m’acheter le droit de publier mon livre en Amérique. Caylus le verra, lui parlera et m’enverra la réponse. J’aurai une lettre de lui vers le 10 mai.

Voici un extrait d’un journal qui m’arrive[132] :

Il me semble que les journaux d’ici doivent t’intéresser. Avez-vous su cette petite histoire ?

« M. Villemain ayant été obligé de se présenter à l’Élysée pour quelque affaire relative à l’Académie française, M. Bonaparte lui dit d’un ton aigre-doux : « Monsieur Villemain, l’Académie française me boude ; elle n’est pas comme l’Académie des Sciences qui m’a donné trois sénateurs. — L’Académie française est plus heureuse, a répondu M. Villemain, elle vous a donné trois exilés. »

Pour aujourd’hui, voilà mon sac à nouvelles vidé. Quant au cœur, il ne se vide pas. Je t’écrirais cent pages de tendresses que je n’aurai pas commencé. Charles est sorti. Mais je fais sa commission en t’embrassant bien tendrement ainsi que ma Dédé et mon Toto. Je m’ennuie bien de sa prison. S’il s’ennuie autant de mon exil, ce sera une bonne heure que celle où nous nous reverrons. J’ai su le beau succès de Paul Meurice[133]. Félicite-le et embrasse-le pour moi.

Je serre la généreuse main d’Auguste[134].


À François-Victor.


Bruxelles, 14 avril [1852].

Mon Victor, avant de t’écrire la longue lettre que la tienne mérite, je veux t’envoyer un bon petit mot. J’ai lu ta lettre à Charles[135]. Je ne puis faire encore tout ce que tu désires, cher enfant, mais dès à présent, j’écris à ta mère pour te donner 25 francs par mois pour ta poche, que je lui rembourserai. Elle te les paiera à partir du 15 avril. Maintenant, sitôt mon livre vendu, je te donnerai 50 francs. D’ici là, et jusqu’à ce que mes débouchés de librairie se soient rouverts, je suis obligé à la prudence. Je crois que tu n’attendras pas longtemps tes 50 francs. Lis la lettre que Charles écrit à ta mère, et tu verras que l’affaire du livre est en assez bon train. Il est possible qu’elle soit terminée avant un mois.

Pauvre enfant, l’idée de ta solitude me serre le cœur. J’approuve le plan et l’idée du travail que tu as entrepris. Tu peux faire de cela une bonne occupation pour toi et un excellent livre pour nous. Va, pioche, sois courageux. C’est ainsi qu’on commence pour être grand. Ne parle pas d’avenir muré ; pour que l’avenir vous fût muré, mes enfants, il faudrait qu’il fût muré au progrès, à la démocratie, à la liberté. Est-ce que c’est possible ? En attendant, vous m’avez. Ne dis pas que tu es en tutelle. Ne vous suis-je pas frère autant que père ? je suis votre aîné dans la vie. Je vous conseille, c’est tout simple. Mais tout ce qui est à moi est à vous, chers enfants.

Tu m’esquisses très bien ton livre ; ce sera à la fois de l’histoire et de la politique, deux choses qui s’éclairent l’une par l’autre. Maintenant, prends-moi ton idée à deux mains, et ne la lâche pas. Tu sais ma devise : perseverando.

Écris-moi aussi ton journal. Tu ne peux te figurer le plaisir que m’ont fait ces quelques pages jour par jour. Il me semblait être de ta vie et refaire nos bons et doux repas de prison. Hélas ! maintenant, notre bonheur sera le dîner de l’exil. Va, sois tranquille, il sera bon.

Serre toutes les mains de mes chers prisonniers, et embrasse bien fort pour moi ta mère et ta sœur[136].


À Madame Victor Hugo.


14 avril. Bruxelles.

Chère maman bien-aimée, commençons par les affaires. Mon pauvre Toto n’est pas riche. Il me demande 50 francs par mois pour ses jours de liberté ; je ne puis les lui donner encore. Je lui donne 25 francs. Paie-les lui pour moi. Je te les rembourserai. Paie-lui les premiers 25 francs demain 15 avril. Quand j’aurai vendu mon livre, je lui donnerai ses 50 francs. Je pense maintenant que peut-être cela ne tardera pas. Charles te donne à ce sujet quelques détails.

Maintenant passons à Charles. Il te dit ce qu’il fait. Il voudrait gagner un peu d’argent. Que dis-tu de ceci ? Louis Desnoyers est directeur du feuilleton du Siècle. C’est un brave et charmant esprit, et qui m’aime. Prie-le de venir te voir, et explique-lui de ma part que je voudrais que Charles écrivît dans le Siècle. Charles pourrait écrire des feuilletons très amusants qu’il intitulerait : Lettres de Bruxelles. Rien de politique, bien entendu. Littérature, études de mœurs, vie flamande vue de près, etc. Cela serait curieux et Charles le ferait à merveille. Qu’est-ce que Desnoyers pourrait lui donner pour deux feuilletons par mois ? Fais cette négociation. Le succès sera très utile à Charles, utile à sa bourse et utile à son esprit. Devant quelque chose d’immédiat, Charles travaillera, tu le connais.

Je t’envoie un mot pour Paul Meurice. Son succès nous a fait une joie ici. Nous avons bu à sa santé, dis-lui cela.

J’ai eu, à deux reprises, une visite que je ne puis t’écrire, mais que je te conterai le bienheureux jour où nous nous retrouverons. C’est le médecin de la famille d’Orléans, M. Guéneau de Mussy, qui est venu me voir. Quoiqu’il m’ait dit le contraire, il m’a paru qu’il avait une mission. C’est du reste un homme distingué et qui a été parfaitement bien de toute façon. Il m’a dit que les d’Orléans se souvenaient toujours que j’avais été le dernier qui avait proclamé la régence le 24 février sur la place de la Bastille, quand tous leurs amis se cachaient et s’évanouissaient. Il m’a dit que Mme la duchesse d’Orléans disait de moi avec douleur : Quoi! est-il possible qu’il ne soit pas notre ami !

Je lui ai parlé dans les meilleurs termes des princes d’Orléans, et en particulier avec grand respect et sympathie profonde de madame la duchesse d’Orléans ; mais j’ai terminé en disant : Du reste, j’appartiens à jamais à la République, et entre la famille d’Orléans et moi, il ne peut y avoir et il n’y a pas d’avenir commun. — Je pense qu’il aura compris.

Il fait ici très beau depuis quelques jours, mais je n’en profite pas, travaillant presque toute la journée. En ce moment j’ai le plus beau soleil du monde sur le papier de cette lettre et ma fenêtre est toute grande ouverte. La seule chose qui me fatigue, c’est d’être assez souvent obligé de refaire des choses déjà faites dans mon livre, à cause des nouveaux renseignements. Oh ! comme je comprends le mot de l’abbé Vertot : Mon siège est fait !

Mon mal de larynx a à peu près disparu ; il est remplacé par une douleur sourde et fixe au cœur. On me dit qu’il faudrait marcher et moins travailler, et c’est justement ce qui m’est impossible. À la grâce de Dieu !

Nous trouvons d’ici que tout va bien là-bas. Je me défie un peu de notre coup d’œil d’exilés, et je tâche de ne pas me flatter. Après tout, que la providence fasse ce qu’elle voudra. J’ai dix ans d’exil au service de la République.

Chère amie, tes lettres sont ce que je sais de plus noble, de plus digne et de meilleur au monde. Elles n’ont de défaut que quand elles sont courtes. Écris-moi donc long et beaucoup. Embrassez-vous tous trois en moi, toi, mon Adèle et mon Victor. Je serai au milieu de vous.

Mes plus cordiales effusions à notre cher Auguste. Si tu vois Nefftzer[137], fais-lui nos vives et bonnes amitiés.

Ceci entre parenthèses pour ma fille (Ma Dédé chérie, écris-moi !)[138].


À Théophile Gautier,


Bruxelles, 17 avril 1852.

Cher Théophile, vous rappelez-vous nos dimanches de la Tour d’Auvergne ? N’y étiez-vous pas un soir avec Janin quand Mme Dillon s’est mise au piano ? Si vous y étiez, vous n’avez rien oublié, j’en suis sûr. Vous savez que je hais le piano, mais sous les mains de Mme Dillon, ce n’est plus le piano, c’est une voix qui parle, c’est un cœur qui saigne, c’est une âme qui chante. Où pour les autres il n’y a qu’un chaudron, il y a pour Mme Dillon une lyre. Il est vrai que c’est sa propre musique qu’elle chante, et que cette musique elle l’improvise, elle l’invente, elle la crée, elle la prend et la puise dans son cœur et dans le cœur de tous ceux qui l’écoutent. C’est pour cela que c’est beau, grand et touchant.

Aujourd’hui Mme Dillon sort de l’ombre ; vous qui avez la lumière, donnez-la lui, vous qui avez le succès, le triomphe, le rayonnement, la gloire, cher poëte, couronnez-la.

Je vous recommande Mme Dillon.

Si vous le voulez, Mme Dillon aura tout l’applaudissement qu’elle mérite ; vous le voudrez, n’est-ce pas, cher ami ? Et je me dirai : c’est moi qui ai fait cela, et je me figurerai que je suis une puissance dans mon exil.

Vous avez parlé de moi l’autre jour dans la Presse[139] en termes nobles et charmants, en grand poëte et en bon ami que vous êtes. Je ne vous remercie pas, je vous aime.

Victor Hugo[140].


À François-Victor.


17 avril. Bruxelles.

Mon Victor, ta lettre au Siècle[141] est aujourd’hui dans les journaux de Bruxelles. Nos amis me l’apportent avec enthousiasme. Tu as bien fait. Je te félicite, et je te remercie, mon enfant. Tu portes bien mon nom. Aie toujours cette dignité et ce courage.

J’aurais été bien heureux de te revoir et de te ravoir. C’est encore quatre mois de souffrance et de privation, exil pour toi comme pour moi. Offrons cette douleur à l’idée sainte que nous servons.

Cher enfant, Charles et moi, nous t’embrassons bien tendrement.

À Madame Victor Hugo.


Bruxelles, 19 avril [1852].

Chère amie, je te réponds tout de suite. Je suis très content de mon Toto. Dis-le lui bien et embrasse-le pour moi sur les deux joues. Je ne reçois que félicitations et enthousiasmes à son sujet. On m’arrête dans la rue pour me dire : Vous avez un fils digne de vous. Seulement il faut qu’il comprenne que dignité oblige. Il faut qu’il continue et que, lui et Charles, prennent la vie au sérieux. Tout ce que tu m’écris à ce sujet est profondément juste et vrai. — Entends-tu, mon Victor ? — Crois ta mère et suis ses conseils.

Je vais donc vous revoir, et nous allons recommencer la douce vie de famille. Tout cela nous remplit de joie ici. Il faut du reste prendre nos mesures bien vite et dès à présent. Si je vends mon livre en Angleterre, comme c’est de plus en plus probable, je quitterai la Belgique dans quinze jours ou trois semaines. Il serait peu raisonnable peut-être que vous vinssiez y faire un établissement pour si peu de jours, louer un appartement, etc. Voici quel serait mon plan en ce cas : Sitôt mon livre vendu, j’irais à Londres et de là à Jersey tout de suite. Jersey est une ravissante île anglaise, à dix-sept lieues des côtes de France. On y parle français, et l’on y vit très bien à bon marché. Tous les proscrits disent qu’on y est admirablement. Je tâcherais de trouver et je trouverais probablement à Jersey un appartement, peut-être une maisonnette, ayant vue sur la mer et fenêtres au midi, et, pourquoi pas ? un jardin. Je louerais cela non meublé, si c’était possible. Alors tu ferais emballer à Paris nos meubles les plus précieux et les plus dignes du voyage, nos tentures, nos tapis, etc. ; on mettrait notre appartement à louer, et vous viendriez tous me rejoindre par la voie du Havre. Nous nous installerions à Jersey le plus confortablement possible, et que le Bonaparte dure ce qu’il voudra, cela nous serait égal. L’hiver nous pourrions aller à Londres et l’été nous serions à Jersey. À Jersey, on parle français, ce qui est précieux, aucun de nous ne sachant l’anglais. Ceci en outre te laisserait le temps de te retourner quant à l’appartement. Il est fort difficile de le laisser ainsi tout meublé à la merci des portiers, sans compter l’avarie des meubles quand on n’habite pas. Cela vous épargnerait en outre, à ma Dédé et à toi, les longs circuits par Londres et Bruxelles et tous ces trajets de mer. Enfin, pour l’emballage des meubles, tu serais là, et personne, dans une telle besogne, ne peut remplacer l’œil des maîtres. J’ai déjà pris, près de M. Delhasse, qui est ici le correspondant de l’Angleterre, des renseignements sur Jersey. Ils confirment tout ce que je savais, et si mon livre est vite vendu, nous pourrions y être installés dans un mois ou six semaines. Que penses-tu de tout cela ?

J’ajoute que nos amis viendraient nous y rejoindre. Nous aurions une chambre pour Auguste, un étage pour M. et Mme Paul Meurice, et nous pourrions de là faire ensemble le Moniteur universel des peuples dont je jette en ce moment les bases avec M. Trouvé-Chauvel.

M. Trouvé-Chauvel part pour Londres demain ou après, avec des notes dictées par moi. Il est enthousiasmé de mon idée d’une librairie triple à Londres, à Bruxelles et à New-York, et d’un Journal des peuples rédigé par Kossuth, Mazzini, etc., et moi. Je crois que nous allons faire de grandes choses. Mais tout cela nous chasse de la Belgique. J’en suis triste, car c’est un pays doux et honnête, et qui doit être fort agréable l’été. En ce moment nous n’avons que le froid.

Réponds-moi sur tout cela, chère maman bien-aimée. Si tu aimes mieux venir tout de suite, n’hésite pas à le dire, je n’y ferai pas résistance, va ! Si tu crois sage d’adopter mon plan, discute-le avec Dédé et Toto, et écris-le-moi.

Dans tous les cas, je ferai ce que tu voudras, ce que vous voudrez tous, mes chers êtres bien-aimés.

Le bonhomme Jérôme est impayable ! Il a pourtant une dotation de 30 000 fr. ![143] — Ma douleur au cœur va mieux. Je t’embrasse tendrement, et mes enfants.

Consulte Auguste sur mon projet. — Fais-lui toutes mes plus tendres amitiés, et à Meurice. — Quand aura-t-on l’argent du cautionnement ?[144]


À Madame Victor Hugo[145].


Bruxelles, dimanche 25 avril [1852].

Je ne veux pas chère amie que madame David reparte sans te porter quelques lignes. J’ai signé le mandat pour Julie qu’elle te remettra. Je l’ai priée également de faire en sorte que mon ancien collègue Martin (de Strasbourg)[146] (qui a refusé le serment ces jours passés) vienne un peu causer avec toi de, ce que j’aurais à faire pour mettre ce que nous possédons en France (meubles et revenus de théâtre) à l’abri des lois Bonaparte contre mon livre. Tu as raison de penser que le projet annoncé par le Siècle me concerne. Il y a là une menace, la menace deviendra fait, il faudra y parer. Mme David priera Martin (de Strasbourg) d’en conférer avec toi et de te dire ce qu’il me conseillerait pour abriter notre avoir, le cas échéant.

Toutes tes objections contre le déménagement sont parfaitement fondées. Il faudrait seulement trouver moyen de louer et être sûrs que nos meubles ne seraient pas confisqués et vendus par le Bonaparte. — Songe à tout cela. — Ton projet d’écrire sur moi me plaît fort, tu feras un charmant et excellent travail intime, et je ferai de mon mieux pour te donner les matériaux.

Dis à ma bonne petite Adèle qu’elle m’a écrit une charmante lettre, pleine de cœur et d’esprit, et que je lui en veux beaucoup de ne pas m’écrire tous les jours. Une page seulement, et je serais content. Gronde un peu mon Victor qui s’amuse, c’est juste, mais qui ne m’écrit pas, c’est moins bien[147]. Pour parler sérieux, je recommande à Victor de vivre beaucoup plus avec toi, et de mêler un peu de bon travail à ses plaisirs ; les plaisirs n’en vaudront que mieux. Il n’aura pas seulement la joie du dehors, il aura la satisfaction intérieure.

Puis-je regarder l’affaire de Charles au Siècle comme faite ? Charles peut-il se mettre à ce travail ? Dans tous les cas, je lui ai dit de commencer, de faire tout de suite une lettre, et de l’envoyer à Louis Desnoyers. La lettre, bien réussie, fera réussir l’affaire. Qu’en penses-tu ?

La gaîté d’Auguste nous fait du bien. C’est là un homme fort. Il rit de ce bon rire robuste qui vient d’un grand cœur. Nous avons lu sa lettre avec bonheur. Dis-le lui bien. Je lui écrirai bientôt, ainsi qu’à notre cher Paul Meurice, dont je tiens en ce moment le Benvenuto. Je n’ai lu encore que la préface qui est très haute et très belle. Dumas, avec qui j’ai passé hier la soirée chez Van Hasselt, m’a dit que le succès d’argent était énorme, 3 000 fr. tous les soirs. Je félicite Paul Meurice et surtout le public.

Notre pauvre Paul F...[148] fait pas mal de platitudes dans l’Indépendance. Avant-hier il s’indignait contre les démagogues incorrigibles qui méconnaissent la « clémence » du prince président. Avertis-le, si tu le vois.

L’hospitalité belge devient de plus en plus maussade pour nos co-proscrits. La Belgique va même, dit-on, fermer prochainement ses portes. Tout cela est triste. Moi pourtant, on me respecte encore, mais je m’attends à être poliment prié un de ces matins d’aller voir en Angleterre si la Belgique y est. J’espère qu’elle n’y sera pas.

Chère bien-aimée, je t’envoie toutes mes plus profondes tendresses ainsi qu’à ma fille. Embrassez toutes les deux notre Victor pour moi.

Mme David trouve ton buste fort beau. Dis-le à Clésinger[149]. — Je serre la main d’Auguste et de Paul Meurice, et je leur écrirai bientôt[150].


À Madame Victor Hugo.


Bruxelles, 30 avril.

Chère amie, avant-hier, comme Lamoricière[151] sortait de chez moi, Bixio y est entré. Il m’a remis ta lettre. Je voulais le retenir à dîner avec nous, mais il partait immédiatement pour Liège. Nous n’avons eu que le temps d’échanger quelques paroles.

Tu me grondes de la brièveté de mes lettres, et je te remercie de m’en gronder ; du reste, je ne mérite pas de reproche. J’écris sans cesse, plus je vais, plus les documents abondent, il est maintenant évident que cela fera deux volumes, le matin je fais le livre, à partir de midi je fais le dossier, recueillant les dépositions, écoutant les témoins, etc. Le soir je me remets au livre. Je n’ai pas même le temps de me promener une heure par jour. À peine, après le dîner, et encore fait-il très froid le soir. Tu vois que, lorsque je t’écris, j’ai plus de mérite à écrire deux pages que d’autres dix. Du reste, c’est mon bonheur de causer avec toi.

Mon Charles s’est mis au travail, et, j’espère, sérieusement. Il fera et nous t’enverrons avant peu la première lettre au Siècle. La chose est assez difficile à faire, éviter la politique en un tel moment et trouver le moyen d’intéresser, ce n’est pas commode, mais je suis sûr que Charles s’en tirera à merveille.

Je t’envoie quelques extraits des journaux d’ici : voici comment ils protestent contre l’obéissance de leur gouvernement au Bonaparte[152].

Trouvé-Chauvel est parti pour Londres. J’attends prochainement une lettre de lui m’apprenant ce qu’il aura fait pour la réalisation de nos projets. Son départ d’ici avait été retardé de quelques jours par suite d’une grippe qui l’avait empoigné dans son lit d’auberge.

Outre l’affaire Trouvé-Chauvel j’ai reçu d’un libraire de Paris qui est venu exprès pour cela une proposition de réimpression de Notre-Dame de Paris format des quatre sous. Voici l’offre : 6 000 fr. dont 4 000 comptant, 2 000 en deux ans pour le droit d’imprimer Notre-Dame à 4 sous pendant six ans, en me laissant le droit de vendre comme je voudrais d’autres éditions en d’autres formats. Demande à Hetzel son avis sur cette offre, s’il la trouve avantageuse, et s’il me conseillerait de l’accepter.

Chère amie, si la non-conclusion de mes affaires à Londres amenait la prolongation de mon séjour ici, nous prendrions immédiatement des mesures et tu viendrais nous rejoindre tout de suite. Nous vous désirons comme vous nous désirez. Notre vie ici est toute à tronçons rompus, et il nous tarde de reprendre la vie de famille, seule vraie joie des proscrits. Voici seulement à quoi il faudra parer : La loi annoncée contre les délits de presse commis par les français (moi) à l’étranger prononcera des amendes énormes et des confiscations. Immédiatement après mon livre publié, procès, jugement, etc., contre moi. Le fisc saisira mes meubles, mes revenus de l’Institut, mes revenus de théâtre, etc. — Il faudrait qu’avant de quitter Paris tu eusses (en te concertant avec Martin [de Strasbourg]) mis tout cela à l’abri. Demande aussi conseil à M. Bouclier. J’écrirai à sa femme par la prochaine occasion. Remercie-le bien de sa bonne et charmante lettre.

Chère bien-aimée, il y a dans ta lettre quatre pages bien injustes. Tu le reconnaîtras plus tard, car ton cœur est la droiture même. Moi, je ne veux pas même me plaindre de toi à toi. D’ailleurs, je n’ai plus que peu de place et je veux la remplir de tendresses. Je t’embrasse et ma Dédé et mon Victor. Dis à Victor que Charles travaille. Allons ! course au clocher entre Victor et Charles ! Je t’embrasse encore. Toutes nos plus tendres amitiés à Vacquerie et à Meurice, dont le Benvenuto m’enchante[153].


À Auguste Vacquerie.


Bruxelles, 8 mai 1852.

Cher Auguste, c’est aujourd’hui le grand jour. Vous sortez[154]. Louis Bonaparte devrait sortir en même temps que vous, mais pour l’instant la providence en a décidé autrement. Que la fange soit bénie !

Je veux que cette lettre vous trouve demain matin chez vous et vous souhaite le bonjour à votre réveil. Nous sommes heureux, Charles et moi, de vous voir hors de prison, pour vous d’abord, qui pouvez respirer à pleins poumons ce qui reste d’air en France ; pour nous, ensuite, qui allons, j’espère, vous revoir bientôt.

Nous sommes ici le pied sur la branche. Il y a une sorte de persécution contre les proscrits français, persécution à laquelle j’échappe, je ne sais trop pourquoi ni comment.

Cependant je m’attends d’un moment à l’autre à recevoir quelque invitation polie à la suite de laquelle je m’en irai. Les journaux ont annoncé que j’étais à Jersey. Pas encore, mais bientôt.

Dites à Victor et à sa mère et à sa sœur que je compte leur écrire par la première occasion. Ceci n’est qu’une poignée de main que je vous envoie par la poste.

Vous serez libre pour la grande mascarade du 10 mai[155]. On en parle beaucoup ici. Force belges font à cette occasion le voyage de Paris pour aller contempler de près l’éclat des lampions et des sénateurs.

À propos, est-ce que c’est vrai ? On dit que Cousin manque aux saintes lois de la platitude et refuse de prêter serment ! j’admire !

J’ai reçu une nouvelle lettre de Londres qui m’annonce que mon idée de librairie universelle va bien. J’attends un anglais nommé M. Piddington, pour jeter les bases. Mon livre sera le premier publié. Cette librairie serait l’usine intellectuelle du monde entier, la France soufflant la forge.

Vous avez dû, cher ami, faire de belles choses dans votre prison. Vous aurez un de ces jours, comme Paul Meurice, une grande acclamation autour de votre nom et un grand succès. Faites vite afin de nous venir rejoindre bientôt.

Chose étrange qu’il y ait à cette heure en France un homme auquel on puisse dire : Vous êtes libre ! Je me dépêche de vous le dire, pour la curiosité du fait, ce matin 8 mai. Vous, de votre côté, dépêchez-vous de mettre votre liberté en sûreté dans l’exil.

Je vous serre les deux mains.


À Madame Victor Hugo[157].


Bruxelles, 15 mai [1852] 4 h. 1/2.

Je ne voulais t’écrire, chère amie, qu’après avoir vu M. Piddington pour l’affaire de Londres. Je pense comme toi qu’elle traîne un peu, et je voulais t’envoyer un résultat positif, mais voici une occasion pour Paris, et je ne veux pas la laisser échapper. M. Piddington ne m’est annoncé que pour demain dimanche. Je t’écrirai ce qu’il m’aura dit par le retour de M. Stingeray qui sera jeudi ou vendredi à Paris.

En ce moment Charles achève son article pour le Siècle. Il va me le lire tout à l’heure. Je te l’enverrai sous ce pli. Depuis quelques jours Charles a bien et beaucoup travaillé ; je suis content de lui. Mais ce n’est encore qu’un commencement. Il faut que cela continue.

J’ai reçu une nouvelle lettre de M. Trouvé-Chauvel. C’est lui qui m’annonce l’arrivée de M. Piddington pour dimanche. L’affaire est toujours en bon train, cependant je vois poindre précisément l’obstacle que je craignais. Les libraires de Londres craignent, eux aussi, un procès de Louis Bonaparte, — l’imitation du procès fait par le premier Consul à Peltier pendant la paix d’Amiens[158]. Ils demandent communication préalable de mon manuscrit. J’ai répondu tout de suite et courrier par courrier que j’étais prêt à lire sur place tout ce qu’on voudrait, mais que je ne confierais le manuscrit à personne, que du reste mon livre était d’un bout à l’autre indigné et impitoyable pour le guet-apens de Bonaparte, qu’en aucun cas je ne consentirais à l’atténuer, et que si la liberté de la presse n’existait plus, même en Angleterre , j’aimerais mieux enfouir mon livre que l’amoindrir. J’attends la réponse. Je pense qu’ils n’insisteront pas.

Garde mes lettres, tu as raison, car je t’y envoie tout mon cœur, mais ne te plains pas de la rareté. Si tu savais comme je travaille ! Je croyais ne faire qu’un volume, il se trouve que j’en ferai deux. Mais le plus long et le plus difficile et le plus laborieux, c’est l’instruction du procès, c’est le travail des renseignements à réunir. Hier Baze[159] est venu. Il m’a dit des choses fort curieuses, je l’ai invité à dîner. Il est triste, mais courageux.

Je m’interromps. Charles m’apporte son article fini pour me le lire.

5 h. 1/4.

Je reprends cette lettre. Charles a commencé sa lecture. Tout ce qu’il m’a lu est excellent et lui fera, je crois, un succès dans le Siècle. Mais Magen vient d’entrer. B... part dans dix minutes. Nul moyen d’achever même la lecture de l’article. Tu ne l’auras donc que demain, par une autre occasion. Je t’envoie en attendant cette lettre que je termine à la hâte.

Connais-tu la lettre de Changarnier[160] ?

Charles te prie de lui faire envoyer ses effets par le docteur Hodé, médecin, rue de l’Échiquier, 24. S’adresser à lui de la part de M. Magen. M. Magen vient de publier un livre sur le 2 décembre que je te ferai parvenir[161].

Je ferme cette lettre à la hâte, et Charles et moi nous vous envoyons à toi, chère maman, à ma Dédé et à mon Toto nos plus tendres embrassements. Demain soir dimanche tu auras l’article de Charles[162].


À Madame Victor Hugo.


Bruxelles, 17 mai, 9 heures du soir.

Chère amie, ta lettre m’arrive. Quoique je ne me fasse aucun reproche, car mes heures se passent dans un travail acharné, j’ai du remords de penser que tu as été quinze jours sans lettres, et que tu es triste. Pourtant j’ai écrit le 9 mai à Auguste et il a dû te montrer la lettre ; et puis, au moment même où je recevais la tienne, ce soir, tu devais en recevoir deux par B... qui est parti hier dimanche pour Paris, une de moi et une de Charles t’apportant son article pour le Siècle. Tu es donc rassurée en cet instant où je t’écris, mais n’importe, chère maman bien-aimée, puisque tu as été quinze jours sans lettres, je veux que tu en reçoives deux coup sur coup. Charles qui a bien travaillé toute la semaine, est ce soir au théâtre où Mme Guyon joue, et moi je reste au logis pour t’écrire.

Je n’ai pas encore vu l’homme de Londres. Je l’attendais hier, et je l’attends toujours. Je crois, chose triste, que même en Angleterre il n’y a plus de presse libre et qu’on recule devant l’audace de publier mon livre.

Ceci entre nous, car il ne faut parler de cet obstacle à personne, les gens de l’Élysée s’en réjouiraient et feraient en sorte d’augmenter les difficultés. Dans ce cas-là, je suis résolu, je publierais le livre à mes frais, et n’importe comment.

Du reste il est toujours possible que l’affaire de Londres aboutisse et même probable qu’elle aboutira.

Tu sais qu’Hetzel n’est pas encore à Bruxelles, mais j’ai eu ta lettre.

On me dit, comme à toi, que Jersey c’est le paradis, et nous nous y rejoindrons bientôt, je l’espère. Mais tu ne me réponds pas à ces questions que je t’ai posées : As-tu vu Martin (de Strasbourg) ? Mme David t’a-t-elle mise en rapport avec lui ? Il faut trouver moyen de mettre notre mobilier à l’abri. Au besoin, il vaudrait mieux le vendre à l’hôtel de la rue des Jeûneurs que le laisser confisquer par le Bonaparte. Et puis il faut abriter aussi mon revenu de l’Institut, c’est possible, je crois, par une délégation, et mon revenu de théâtre. M. Martin, qui est un de nos amis politiques les plus sûrs et les plus honorables, pourra te conseiller excellemment pour toutes ces choses. Mais c’est important et urgent, car notre réunion à tous en est retardée. Pendant que tu feras cela, moi de mon côté, j’achèverai le livre et je le publierai. — Garde le plus grand silence sur ce que je t’ai dit de l’Angleterre.

Tu as en ce moment l’article de Charles. Il est très remarquable et sera, je crois, très remarqué, il écrit à Auguste, et je serai bien obligé à Auguste de lui venir en aide à cette occasion. Mais Auguste est-il encore à Paris ? Ne sera-t-il pas parti pour Villequier ? En ce cas-là, supplée-le, et fais de ton mieux ce que Charles indique. Ce premier article inséré, je suis convaincu qu’il travaillera, et c’est un grand point.

Chère femme, ma chère petite fille, mon Victor, que vous me manquez ! J’ai ici de bien tristes heures. J’aspire au moment où nous vous retrouverons tous. Je voudrais voir sourire le doux visage de mon Adèle-Dédé. Sais-tu, ma Dédé, qu’il y a tout à l’heure six mois, six mois ! que je ne t’ai vue ! Et toi, mon Victor, en m’attendant, rends ta mère heureuse.

Je me réfugie de toutes mes tristesses dans le travail, travail le matin, travail le jour, travail la nuit ; mais c’est encore une tristesse que ce travail-là, labeur austère de châtiment et de justice.

Quand nous serons réunis, je ferai des vers, je publierai un gros volume de poésie, je m’y dilaterai le cœur, et il me semble que nous aurons des heures charmantes. Que ne suis-je à ce temps-là !

Louer l’appartement irait tout seul et serait une bonne chose, si en louant l’appartement, on mettait à l’abri le mobilier. Mais tout loué qu’il serait, L. B. ferait saisir mes meubles pour payer les amendes auxquelles les juges me condamneront. Bon tas d’honnêtes gens !

Quels sont ces incidents et ces complications dont tu me parles, qui te tourmentent et qui pourtant n’ont rien de grave, me dis-tu. En somme, c’est assez aussi pour m’inquiéter de mon côté, écris-moi tout de suite et par la poste ce que c’est.

Dis à mon Adèle et à mon Victor que je vais leur écrire bientôt. Victor dans sa dernière lettre m’a parlé d’une conversation avec son oncle V. F.[163] me prédisant un procès, il m’a dit que tu m’écrirais les détails. Je les attends. Je m’aperçois que je n’ai plus de place que pour un million de baisers pour vous tous. Écris-moi vite.

Mme Guyon m’a apporté une très noble lettre de Janin. Remercie-le si tu le rencontres. Dis aussi à notre cher Théophile combien je suis touché de lire mon nom dans ses beaux articles[164].


À Adèle.


Bruxelles 26 mai [1852].

Mon Adèle, chère fille, je ne puis t’écrire que quatre lignes cette fois. Ta mère te dira comme l’heure nous pressait[165], mais je veux que tu aies un mot. Je voudrais, chère enfant, t’envoyer tout mon cœur. Si tu savais comme nous t’avons regrettée ici ! Bientôt tu nous arriveras, bientôt nous serons tous réunis, mon bonheur est avec vous tous. Chère fille, tu verras comme nous serons heureux quand nous serons ensemble. Jersey est un lieu charmant, nous y aurons la mer, la verdure, une magnifique nature, et puis, ce qui vaut mieux que tout, le foyer, le cercle intime, la famille, toute la joie des cœurs qui s’aiment.

Mon Adèle chérie, sache-le bien, je ne puis vivre heureux qu’avec vous tous et par vous tous. Toi, ma fille, tu es ma douce et constante pensée. Oh ! quand te reverrai-je !

Je t’embrasse sur tes deux joues que je veux roses et fraîches. À bientôt, mon pauvre ange[166].


À Madame Victor Hugo.


Bruxelles, 30 mai.

Je te réponds tout de suite, chère amie, et tu auras cette lettre demain matin. Je l’envoie directement pour ne pas perdre de temps. Tout ce que tu as ébauché est très bien, continue, il est impossible de mieux faire. Chère amie, j’ai le cœur serré de penser que tu es seule là-bas et qu’il faut que tu obvies à tant de choses et d’affaires à la fois[167]. Mais, de mon côté, tu le sais, je travaille, je ne perds pas une minute.

Victor a écrit hier à Charles. Le pauvre enfant est frappé de quelque malheur, tu dois savoir ce que c’est. Il me demande de le recevoir ici. Nous lui avons écrit de venir tout de suite. Je pense qu’il nous arrivera mardi matin. Nous tâcherons de l’occuper et de le consoler. Mais tu vas être encore plus seule. Cela me fait hâter plus encore le moment où nous serons tous réunis, moment bienheureux, tu verras !

J’ai vu M. Piddington le lendemain de ton départ ; j’ai rectifié ses idées. Il a paru comprendre. J’ai écrit à T.-C.[168] une lettre dans le même sens. Je n’en crois pas moins l’affaire manquée, et je me tourne d’un autre côté. J’ai même trouvé moyen de tirer parti de cette déconvenue. C’est un mal dont il sortira peut-être un bien. Quoi qu’il en soit, je me lève de grand matin et je fais force de rames.

Tu verras sans doute Jules Janin. Dis-lui que Mme Guyon m’a remis sa belle, sa bonne, sa charmante lettre ; que je lui répondrai par le retour de Mme Guyon, et avant, si elle tarde ; que je le savais déjà un grand et bel esprit et qu’il s’est révélé à moi comme un des plus nobles cœurs, et remercie-le. Remercie aussi notre bien cher Théophile qui devrait bien aller à Constantinople par Bruxelles afin que je lui serre un peu les deux mains.

Vois les propriétaires. Tâche de résilier le bail à l’amiable. Ce serait la meilleure solution. Je t’enverrai prochainement une liste estimative du minimum auquel il faudrait vendre certains meubles et au dessous duquel il faudrait les retirer. Du reste, je pense comme toi qu’il faut tâcher de ne rien ôter de la vente. — Tu ne me dis pas s’il t’a été fait quelque difficulté à la douane pour le plat de cuivre. Je t’enverrai aussi l’adresse où tu pourras faire porter et serrer les meubles réservés. On en aura très grand soin. Je t’ai déjà dit où. C’est près de la maison. — Ne pas vendre, cela va sans dire, les deux fauteuils aux armes de mon père.

Aie bien soin de mes manuscrits d’ouvrages publiés. Il y a encore là quelques petits manuscrits inédits, entre autres un acte d’Angelo[169]. Je te le recommande. Je te recommande tous les papiers, aies-en grand soin. Beaucoup peuvent être écrits par moi. Mets aussi de côté et rapporte moi quatre ou cinq rouleaux de copies de mes manuscrits inédits qui sont dans l’armoire de laque venant de ton père. Ne vends pas les étoffes non employées, surtout le satin de Chine à fleurs d’or. Tu trouveras dans le grenier un exemplaire complet du grand ouvrage d’Égypte donné autrefois par le ministère de l’Instruction publique. Il est neuf et complet, cartonné. Cela se vend très bien. Du reste ne vends aucun livre excepté celui-là. Si pourtant quelque guetteur se présentait, fais m’en part.

Hetzel est venu hier. Je verrai ses propositions. Tu fais bien d’ajourner Gosselin jusqu’à ce que j’aie vu ce qu’il y a du côté d’Hetzel. Voici le mot pour M. Ridel[170]. Mets sous enveloppe et envoie.

Chère bien-aimée, cette lettre est affaires d’un bout à l’autre. À peine ai-je pu te dire un mot de mon cœur. Tu m’es nécessaire, entends-tu bien. Tu as été grande et admirable dans toutes ces traverses. Ne doute pas une minute, ni du présent, ni de l’avenir. Tu verras comme nous ferons un petit groupe heureux à Jersey. Nous t’embrassons bien tendrement, Charles et moi. Si Jersey traînait en longueur, tu viendrais nous rejoindre à Bruxelles. Dis à Victor que sa chambre (la tienne) est prête.

Chère femme, chère fille, je vous aime. Vous êtes mon bonheur et ma joie. Presse le procès.

Mes plus tendres amitiés à Paul Meurice. Auguste est-il de retour ?

Tâche que l’article de Charles passe. Cela lui donnera de l’argent d’abord, et puis du cœur au ventre.

Je vais prendre Victor avec moi et me charger de sa dépense. Ce sera une petite somme à défalquer sur ce que je t’ai remis. 80 francs par mois[171].


À Madame Victor Hugo[172].


Bruxelles, 3 juin. 9 heures du soir.

Chère bien-aimée, une occasion m’arrive. Quelqu’un qui part demain matin te portera cette lettre. C’est M. Joseph de Wasme, d’une famille très distinguée de Bruxelles. Reçois-le de ton mieux, si tu peux recevoir quelqu’un au milieu de tes encombrements. Pauvre amie, quand je pense dans quel embarras doit te mettre toute cette vente, et que tu es là à peu près sans aide, je ne saurais te dire tout ce que j’éprouve de tendre et de profond pour toi. Aie bon courage, nous sortirons de ce défilé. Il est étroit et rude, mais j’ai le pressentiment d’une vie heureuse au bout.

Remercie Paul[173] des bonnes et belles lignes dans lesquelles il annonce la vente en question (Indépendance d’aujourd’hui. Tu l’as lue sans doute). Il y a dans ces lignes un accent affectueux auquel je n’étais plus accoutumé de la part de Paul et qui m’a bien vraiment touché. Dis-le lui. Les journaux d’ici ont presque tous répété la note de la Presse. Je pense que lundi il y aura quelques articles, soit de Janin, soit de Gautier, soit de Louis Desnoyers. À propos, que t’a-t-il répondu pour l’article de Charles ?

Voici quelques évaluations pour nos meubles :

Les quatre statues dorées 1 000 fr. La grande porte du salon (laque de Chine) 1 000 fr. Le banc gothique de mon cabinet 1 500 fr. Les deux meubles de laque Coromandel de mon cabinet 500 fr. Mon lit tout monté avec les rideaux, etc 1 800 fr.

Si ces objets n’atteignent pas ces prix-là, qui sont vraiment des minimum, je crois qu’il vaudrait mieux les retirer de la vente. Au reste je te laisse juge de tout cela. Le plus précieux de tous ces objets, celui qu’on aurait le plus de peine à retrouver et           [174] est de la plus magnifique conservation, c’est le banc gothique de mon cabinet. Parmi les tapisseries, une fort précieuse, c’est celle du plafond de la grande salle à manger, xve siècle, avec trame d’or et d’argent mêlée à la laine. Je la crois unique. Elle l’est certainement en France. — N’oublie pas de ne pas faire vendre les étoffes non employées. Ce n’est pas encombrant, et nous les emporterons aisément. Aie grand soin des papiers et des manuscrits.

L’affaire de Londres traînaille toujours. J’ai écrit ce matin mon ultimatum à T. C.[175] en lui disant que s’il ne pouvait conclure d’ici à dix jours, je prendrais un autre parti. J’ai ébauché quelque chose avec Hetzel. Tout cela au milieu de mon travail. Je te réponds que j’en ai la sueur au front. Il me tarde de pouvoir respirer et me reposer un peu. J’aspire à Jersey. Oh ! quand nous nous retrouverons tous, quelle douceur ! Tu verras la charmante vie. Je t’embrasse et je t’embrasse encore — et ma Dédé — et mon Toto — qui n’est pas venu.

Il va sans dire, et je suis complètement d’accord avec toi, que l’argent de la vente sera réservé de façon à être employé à notre mobilier futur, au retour.

Qu’est-ce que mon pauvre Victor a donc eu ? Le sais-tu ? J’ai fait préparer sa chambre. — Mais personne. — C’est donc quelque orage qui a passé ?[176]


À Madame Victor Hugo[177].


Bruxelles, 4 juin.

On m’apporte une lettre, je te l’envoie tout de suite. Lis-la. Je ne m’explique pas ce que cela peut signifier.


À Monsieur Victor Hugo, à Bruxelles.
Monsieur,

Je prends la liberté d’appeler votre attention sur un fait, bien simple en lui-même mais qui, dans les circonstances où vous vous trouvez placé, pourrait avoir une plus grande importance s’il était ignoré de vous. Je veux parler de la vente à vil prix d’une partie de vos livres, d’un grand nombre de lettres confidentielles, de manuscrits divers, etc., etc. Parmi ces pièces, j’ai trouvé votre acte de naissance, les extraits de service de votre père et d’une autre personne de votre famille, votre brevet de l’ordre de Léopold, un de vos prix (le Discours sur l’Histoire universelle de Bossuet) et enfin deux volumes anciens, l’un intitulé Chronique du temps du très chrétien et valeureux Louis onzième du nom (que Dieu absolve), Paris, Galiot du Pré, 1558, 1 volume in-8o, portant l’estampille de la Bibliothèque Nationale, et un autre volume portant celle de la Bibliothèque du Louvre.

Ces divers objets me font présumer que cette vente se fait à votre insu et à votre préjudice, c’est pourquoi j’ai cru devoir vous en donner avis, vous priant de vouloir bien excuser mon indiscrétion.

J’ai l’honneur d’être, Monsieur, avec le plus profond respect

Votre très humble serviteur
Détaille fils.
15, rue des Bernardins, Paris.

L’individu chargé de cette vente est un marchand de meubles de la rue des Martyrs qui dit avoir acheté tous ces objets à l’un de vos domestiques.

3 juin 1852.

Qu’est-ce que c’est que cette vente ? Il me paraît impossible qu’elle ait été faite par tes ordres. Je t’avais recommandé, chère amie, de ne vendre aucun papier ni aucun livre. Il pourrait y avoir en effet dans mes livres des livres prêtés par des bibliothèques publiques ou en provenant et qu’il fallait leur rendre. Il faudrait dans tous les cas, et lors même[178]


À Madame Victor Hugo[179].


Bruxelles [5 juin 1852].

Je ne crois pas ceci bien grave, chère amie, lis pourtant ; cette lettre est écrite de Paris à Charles[180].

Je reprends. Charles écrit aujourd’hui même à M. Leclanché pour lui expliquer qu’il le paiera sur sa collaboration au Siècle, et pour lui dire combien j’ai été choqué de son procédé envers moi qui ne lui dois rien. Je pense que ce monsieur comprendra. Charles le paiera de mois en mois, sitôt que le Siècle s’ouvrira pour ses articles. Il serait pourtant, au cas où ce monsieur persisterait dans quelque tentative sur la vente, utile que tu en causasses avec quelqu’un, soit M. Bouclier, soit M. Ridel. Il est impossible que cette opposition ait quelque valeur, Charles ne possédant rien dans cette vente. Que signifie la ligne soulignée par moi ? est-ce qu’il y a quelque chose dans le catalogue qui concerne Charles ? Je ne puis supposer cela. Enfin, chère bien-aimée, veille à cette petite affaire. Veille aussi à la restitution de tous les objets indiqués dans la lettre relative au marchand de la rue des Martyrs.

Aie soin de bien ouvrir les tiroirs de tous les meubles, de vider les coffres et les malles et les armoires pouvant être vendus, et de n’y laisser aucun papier. Je te recommande énormément cela. Tu sais le parti qu’on peut tirer d’un papier intime égaré. Je vais entrer dans des haines féroces.

Il faut retirer le paravent de vieux laque estimé 60 francs et le meuble Coromandel estimé 70 francs. Si la stalle n’allait pas à mille francs, il faudrait la retirer. Retirer aussi les grandes portes. Vends toutes les tapisseries, excepté les deux gothiques de la petite salle à manger (appliquées au mur). A-t-on mis dans le catalogue que la portière arabe qui sert de plafond vient de la casbah d’Alger ?[181] Garde quelques exemplaires de ce catalogue et tâche de m’en envoyer un. C’est pour nous un petit monument. Du reste tout ce que tu fais est à merveille. Pauvre chère amie, tu es accablée de fatigue, je t’en dédommagerai à force de tendresses. Embrasse ma Dédé et mon Victor. Serre la main de notre cher Auguste. À bientôt[182].


À Jules Janin.


Bruxelles, 9 juin 1852.

Cher poëte, on m’apporte votre article[183]. J’ai les larmes aux yeux. Je vous écris à tort et à travers, tout droit par la poste. Si on ouvre cette lettre, qu’y trouvera-t-on ? Un cœur qui s’épanche dans un cœur. À cette heure où je vous écris, on vend mes derniers meubles, mais ce n’est pas cela qui m’occupe. Ce qui m’occupe, ce qui me console et me charme, c’est le beau poëme que vous faites de cette pauvre ruine. Jamais vous n’avez été plus éloquent, plus profond, plus doux. Vous prenez dans votre âme l’accent vrai, le cri touchant, le mot cordial. Je vous remercie, je vous remercie.

Un malheur immortalisé par vous n’est pas un malheur. Cette page que vous venez d’écrire surnage sur mon naufrage. Qu’importe ce qui est englouti ?

Cher Janin, on me dit que vous allez venir ici ; est-ce vrai ? Ce serait une grande joie pour ceux qui vous aiment dans cet exil, et pour moi entre tous. Je n’ai plus de maison à vous ouvrir, mais j’ai mes deux bras.

Savez-vous que ces désastres sont bons, et que la providence, dans ces catastrophes, caresse autant qu’elle frappe. Je ne vous connaissais pas bien encore ; je savais de vous le grand esprit, je ne savais pas le grand cœur. Maintenant, je vous vois comme vous êtes, je vous aime deux fois et cela vaut bien un peu d’exil.

À bientôt, si vous venez, à toujours, si vous ne venez pas, et du fond du cœur, ex imo.

Victor Hugo[184].


À Madame Victor Hugo[185].


Bruxelles, 13 juin [1852] Dimanche.

Chère amie, si tu n’es pas malade, tout est bien, mais je commence à craindre qu’une lettre de toi ne me soit pas parvenue. Depuis huit jours nous sommes sans nouvelles. Il est vrai que tu dois être bien fatiguée, que tu as dû passer les jours sans repos et les nuits sans sommeil, que les embarras de toute sorte ont dû t’assaillir à la fois, et je me rends bien compte que le temps et les forces t’ont manqué pour écrire. Pourtant j’ai besoin d’être rassuré, écris-moi dès que tu le pourras, envoie-moi sur la vente le plus de détails possible afin que je puisse renseigner quelques journaux d’ici qui me le demandent, je n’ai rien su que par les journaux de Paris et les correspondances de Bruxelles. Si j’ai quelque remercîment à faire à quelqu’un, écris-le moi. Est-il vrai qu’on n’ait pas vendu le grand lit doré ? Pourquoi ? Est-ce l’enchère qui a fait défaut ? La stalle gothique a-t-elle atteint le prix que je t’avais indiqué ? Écris-moi tout cela, et mille autres choses encore. Nous attendons avidement, Charles et moi. C’est Mme Guyon, la belle actrice de grand talent, qui emporte cette lettre en s’en retournant à Paris ; si elle te l’apporte elle-même, sois-lui gracieuse, comme tu sais l’être. C’est une digne et charmante personne. Je ne la charge pas d’une lettre pour Janin, je lui ai écrit par la poste. Son article était ravissant et a eu ici, ainsi que l’article de Gautier[186] très grand succès. J’ai écrit à Gautier. Est-il encore à Paris ?

Je pousse mon travail à force. D’ici à trois semaines, on me verra sortir de l’ombre. J’ai conclu avec Hetzel et Marescq[187] pour une réimpression de mes œuvres à 4 sous. Je t’expliquerai et te montrerai ce traité. Pas d’argent immédiatement, mais Hetzel, que je crois très honnête homme, dit que cela vaut mieux et que le produit différé sera plus grand. Nous verrons. Et s’il dit vrai, si cela se réalise, ce sera un bon procédé trouvé et un bon pont fait pour mes publications ultérieures. Remets à Mme Bouclier la lettre que je t’envoie sous ce pli pour elle. — La Nation ici annonce aujourd’hui mon livre. Je te coupe ces quelques lignes :

« Deux histoires du coup d’état bonapartiste viennent de paraître simultanément à Londres.

La première est intitulée : Histoire de la persécution de décembre, par Xavier Durieu, ancien représentant du peuple.

La seconde : Mystères du 2 décembre, par H. Magen.

La vengeance de l’histoire commence.

On annonce comme devant paraître également et sous peu, à Londres, une autre histoire du 2 décembre : celle où la plume de Victor Hugo aura incrusté le nom de M. Bonaparte.

Bientôt le monument de la justice des peuples sera complet. »

Je t’envoie une lettre du tailleur avec sa facture. Je n’y comprends rien. Ce n’est pas pour Charles. Je ne peux pas croire que ce soit pour Victor, auquel en mars dernier j’ai donné, par ton entremise, de l’argent pour s’habiller. — Chère amie, écris-moi vite. Comment va le procès ? L’argent rentrera-t-il bientôt ? Cela importe. Tu sais pourquoi. Comment vont nos chers amis Auguste et Paul ? Donne-moi de leurs nouvelles et dis-leur de m’écrire. — Ainsi que vous, Mlle Dédé, ainsi que vous, M. Toto. Chers enfants, je vous embrasse tendrement, chère bien-aimée maman, je t’embrasse sur toutes leurs joues.

En traitant avec Hetzel, je lui ai fait acheter à Charles un roman en un volume 500 francs avec faculté de le mettre d’abord dans un journal. J’ai donné à Charles un bon sujet. Il va se mettre au travail. Il doit livrer la première partie et recevoir les premiers 100 francs le 8 juillet. Je t’envoie cette petite bonne nouvelle. Charles a immédiatement écrit à M. Leclanché et lui a envoyé un premier bon de 50 francs pour le 8 juillet.

Demande à M. Bouclier et envoie-moi le modèle pour la délégation en

question[188].
À Madame Victor Hugo[189].


Bruxelles, 15 juin.

Presque en même temps que cette lettre, chère amie, tu recevras une autre lettre que je t’écrivais avant-hier. Mme Guyon, qui te la portera, a dû retarder son départ de deux jours. Tu auras donc la charrue avant les bœufs, la lettre du 15 avant celle du 13.

Pauvre bien-aimée, je commence par te plaindre de toutes tes peines et par te remercier. Que de mal tu t’es donné ! J’ai le cœur serré de penser à tant d’embarras et toi toute seule au milieu de cela. Remercie bien Auguste et Paul Meurice et madame Paul, comme je ferais si j’étais là. Je reconnais Auguste à toute cette bonne et généreuse amitié.

Je t’écris tout de suite, comme tu le désires, pour les 2 000 francs à donner au propriétaire en résiliation de bail. Il faut en effet prendre ces 2 000 francs sur l’argent de la vente. — Fais tout cela pour le mieux. — Quant à cet argent en lui-même, ce que tu dis est sage, et je suis de ton avis. Nous le garderons dans un portefeuille et nous ne le placerons que lorsque de certaines éventualités se seront évanouies. Sur tous ces points, je pense comme toi.

Tu verras dans ma lettre du 13 que j’ai fait faire à Charles une affaire. Il travaille maintenant, et j’espère que ce commencement l’encouragera. Occupe-toi de ton côté de sa collaboration au Siècle.

Je te remercie de toute la peine que tu t’es donnée pour ces papiers intimes. Mets-les tous dans une malle à part et sous clef que tu apporterais avec toi ou que tu laisserais en dépôt chez quelque ami très sûr, Bellet, par exemple. — Les journaux d’ici, très bienveillants du reste, ont raconté que parmi les objets de peu de valeur vendus chez moi, il y avait des livres non coupés, hommages des auteurs, avec leurs lettres non décachetées. Ce serait fâcheux. Est-ce vrai ?

H.[190] est parti ce matin pour Londres. Il va s’occuper du livre et clore d’une façon quelconque l’affaire de ce côté-là. Dans huit jours il sera de retour, et je crois que vers le 1er juillet, la bombe pourra éclater. Silence et réserve jusque là.

Il faudrait que tu m’envoyasses tout de suite le modèle de la délégation pour les droits d’auteur et le traitement de l’Institut avec la manière de m’en servir. Demande à M. Bouclier. Rappelle-toi que j’attends ce modèle pour faire la chose convenue.

Remercie Adolphe Dumas[191]. Ses vers sont très beaux. Je lui écrirai. Je vais les faire publier ici. Je ne pense pas que cela le contrarie.

Je viens de lire un chapitre du livre à trois ou quatre amis. Je suis de plus en plus content de l’effet. Il sera important que tu ne sois plus en France, ni personne des miens, quand cela paraîtra. Prépare-toi donc à un prompt départ, soit pour me rejoindre ici, soit pour Jersey. Chère amie, c’est mon bonheur de penser que je te reverrai bientôt. Voilà une rude année passée. J’espère un petit temps de répit. Quel bonheur de vous avoir tous autour de moi. Tout le monde ici parle de toi avec admiration et respect ; dis à mon Toto qu’il se prépare à venir, et à ma Dédé, et embrasse-les bien fort.

Je suis charmé des objets qui restent. Ce sera un bon recommencement de mobilier. Je te dirai où on pourrait les faire abriter et garder sûrement, excepté les bustes qu’il faudrait peut-être confier aux sculpteurs pendant l’absence[192].


À Madame Victor Hugo.


1er juillet [1852], Bruxelles.

Chère bien-aimée, quatre mots à la hâte. N’ayant pas d’occasion, je t’écris par la poste. Aujourd’hui même on met sous presse à Londres un volume de moi. Personne n’a osé l’acheter ; on l’imprime, c’est ça toute la hardiesse anglaise. Cela paraîtra le 25 juillet et sera intitulé Napoléon-le-Petit. C’est long comme le Dernier jour d’un Condamné. J’ai fait ce livre depuis que tu nous as quittés. Je publierai l’Histoire du Deux-Décembre plus tard. Étant forcé de l’ajourner, je n’ai pas voulu que Bonaparte profitât de l’ajournement. J’espère que vous serez tous contents de Napoléon-le-Petit. C’est une de mes meilleures choses.

Envoie-moi donc bien vite le modèle de délégation pour l’argent à toucher que tu sais. Tu vois que cela presse (Institut et droits d’auteur). Songe aussi qu’il faudra que tu sois près de moi ainsi qu’Adèle et Victor quand cela paraîtra. Préviens mon Victor. Qu’il se prépare à venir. C’est absolument indispensable. Je t’écrirai de quelle façon et où nous nous rejoindrons.

Janin m’a encore écrit une lettre charmante où il me parle beaucoup de toi.

Chère amie, j’ai improvisé ce volume en un mois. J’ai travaillé presque nuit et jour. La grande affaire de Londres ne va pas mal. Le capitaliste est trouvé. Mais il ne veut faire que de la littérature. En Angleterre, ils ont peur de la démocratie.

En attendant je forme ici une association littéraire (et politique) des proscrits. Vois Guyot, et demande-lui un exemplaire de l’acte d’association des auteurs dramatiques ; vois Louis Desnoyers et demande-lui un exemplaire de l’acte d’association des gens de lettres. Cela me servira de base. Parle-lui aussi de Charles qui fait un roman et travaille beaucoup. J’en suis très content.

Ne parle encore à personne de Napoléon-le-Petit, excepté à Auguste et à Paul Meurice, en leur recommandant le secret. Il faut que cela tombe comme une bombe.

J’ai encore mille et cent mille choses à te dire, mais la poste me presse. À bientôt tous. Écris-moi ainsi que ma Dédé, ainsi que mon Toto. Je vous aime tous[193].


À Jules Janin.


Bruxelles, 1er juillet 1852.

Je n’ai votre lettre que d’hier, cher Janin, Mme Thuillier étant venue sans me trouver. Je la prie de se charger de ce mot pour vous. Continuez-moi vos lettres ; elles m’apportent de la joie, c’est-à-dire de la force. Nous en avons besoin dans cet exil ; le ciel s’en mêle, il pleut, il fait froid ; la nature est toute triste et a l’air de pleurer. Je le comprends, pour peu qu’elle ne soit pas bonapartiste.

Vous n’avez jamais écrit une plus ravissante et plus admirable page que celle où vous me contez votre visite à ma pauvre maison. Une femme d’ici, me voyant ému hier soir, moi qui porte durement et gaiement la proscription, m’a dit : « Qu’avez-vous donc ? » Je lui ai lu cette page de votre lettre. Elle a pleuré, et elle a voulu la copier. À côté de vos grands triomphes éclatants de poëte, de critique et d’écrivain, enregistrez, je vous prie, ce succès obscur. La femme est jolie ; ce n’est pas un grand esprit comme vous, mais c’est, comme vous, un noble et bon cœur.

Je viens d’achever un livre de quelque deux cents pages, sur tout ce que nous voyons. Cela vous arrivera un de ces jours, dans un ballot de contre-bande, dans une barque de poisson ou dans un bateau de fonte brute. Si ce livre vous tombe dans les mains, et s’il vous soulage un peu dans votre exil de Paris, j’en serai content. Il vous aura rendu un peu du bien que me font vos lettres. Il paraîtra dans un mois. Londres met tout ce temps-là à imprimer deux cents pages.

Je vous lis assidûment tous les lundis ; vous avez l’art de rester puissant et de paraître libre sous le joug. C’est un miracle. J’admire cela de vous, et bien autre chose encore.

On me dit qu’après mon livre publié, le Bonaparte me rayera de l’Académie. C’est bien possible et fort simple ; il a pris d’autres libertés. Si cela arrive, Janin, je vous lègue mon fauteuil. Je n’aurai qu’un regret, ce sera de ne pouvoir vous recevoir. Comme je vous ferais les honneurs de chez moi !

À bientôt, à toujours. Je me porte bien, j’ai pourtant depuis six mois des douleurs assez opiniâtres au cœur. C’est un peu notre maladie, à nous autres. Nous vivons par là, il est juste que nous mourions par là. Dieu est grand.

Je vous serre les deux mains. Vale et me ama.

Victor H.[194]


À Madame Victor Hugo[195].


6 juillet. Bruxelles.

Chère amie, ne compte pas ce petit mot. Dès que je serai hors de mon livre, je t’écrirai une bonne longue lettre. Ceci est pour aller au plus pressé.

M. Vanderlinden se trouvait avoir la grande procuration générale préparée dès décembre dernier. La voici. Elle convient à merveille. M. Vanderlinden y joint le modèle de la contre-lettre qui devrait m’être écrite par celui de mes amis qui sera censé m’avoir fait le prêt. Il est d’avis que cette contre-lettre est nécessaire à cause des décès possibles ; les familles pourraient de très bonne foi réclamer la dette, et il faudrait payer. Avise à cela. Il est d’avis aussi qu’il vaut mieux que les droits d’auteur et l’Institut soient délégués à une personne amie, et non à d’autres qui pourraient tracasser, comme Aubin, par exemple. Je t’écrirai spécialement pour Aubin.

Je serai probablement obligé pour ce que tu sais de quitter Bruxelles le 14 ou le 15 juillet. J’irai préparer les logements à Jersey. En ce cas-là pourrais-tu attendre huit jours environ à Villequier ? De là, tu irais directement à Jersey en dix ou douze heures. Ce trajet n’est rien, et il y a peu de mer. Si tu aimais mieux venir tout de suite à Bruxelles, je t’attendrais, mais il faudrait repartir presque tout de suite pour Londres et faire le grand tour. Ce n’est peut-être pas très sage. Décide pourtant. Ce que tu voudras sera bien. Et plus tôt je te verrai, plus je serai heureux. — Ainsi que toi, ma petite Adèle bien-aimée Dédé. — Et toi, mon pauvre Toto. — Venez-nous bien vite. — Il faudrait faire tout mettre dans des caisses, mais les laisser à Paris à la garde de quelque ami qui se chargerait de nous les envoyer où nous serions fixés définitivement. L’argenterie paie un gros droit pour entrer en Belgique.

Aie soin de mes trois grands dessins, et du grand grand qui était sur le lit. On pourrait les rouler tous autour d’un manche à balai qu’on recouvrirait de toile cirée. Où as-tu fait placer les meubles qui nous restent, le lit, les statues, le vase, les bustes, les fauteuils, etc. ? Si tu n’as pas d’endroit, dis-le moi. Je t’en indiquerai un. J’avais aussi des volumes très précieux, Ronsard, l’Histoire de Paris, ma Bible, etc. Je pense que tu as tout mis en sûreté. Remercie Auguste de sa bonne et charmante lettre. Je lui écrirai, mais j’aimerais bien mieux le voir. Est-ce qu’il ne viendra pas un peu ? Avertis Victor qu’il faut qu’il se trouve prêt à venir dans huit jours ou dix au plus tard me rejoindre. La publication du livre rendra la France impossible à ma famille. Il y aurait danger sérieux, l’homme étant donné. Chère amie, j’espère que tu seras contente. — Moi, j’ai le cœur plein de toi, tu es bonne, tu es grande, tu es noble, tu es généreuse. Je t’embrasse les larmes aux yeux et je te baise les mains. Dis mille tendresses à Auguste et à Meurice, et mille hommages à madame Paul. J’embrasse mes chers enfants.

Charles travaille bien. Presse la rentrée des 6 000 francs[196].


À Madame Victor Hugo.


Bruxelles, 13 juillet [1852].

Toujours à la hâte, chère amie. Il importe que cette lettre t’arrive avant ton départ pour Villequier.

Hier, un incident ; députation de proscrits me priant de ne pas quitter Bruxelles. Je réponds : Cela ne dépend pas de moi ; on m’expulsera. On me réplique : attendez qu’on vous expulse. Je leur dis : — Mais si nous faisons un éclat de la chose, ce qui peut être un acte politique utile, il y aura solidarité, on vous expulsera peut-être tous. — Hé bien ! nous vous suivrons et nous nous reformerons autour de vous à Jersey. Vous parti, la proscription en Belgique est décapitée : le parti aujourd’hui à Bruxelles, se trouve rejeté à Londres. Vous êtes centre. À Jersey, vous serez seul. Restez-nous jusqu’à ce qu’on vous chasse. — Je leur ai dit que j’étais tout à eux et je les ai engagés à réfléchir, car une expulsion générale qui s’ensuivrait froisserait bien des intérêts, surtout les plus pauvres. Ils vont se consulter de nouveau, et ils reviendront.

Mon départ d’ici n’en est pas moins certain (car le ministère Lehon me chassera avec fureur) ; mais, n’étant plus volontaire, il serait retardé de quelques jours. Peut-être en ce cas-là pourrais-je partir avec Charles et Victor que j’attends le 25. Lis la lettre de Charles ci-jointe. Toi, sitôt mon livre paru (je te préviendrais) il faudrait aller à Jersey, que j’y fusse ou non. Tu te logerais à l’auberge et tu verrais des logis en attendant. Tu aurais soin de ne rien arrêter avant mon arrivée. — J’ai fini hier Napoléon-le-Petit. J’ai commencé à l’écrire le 14 juin. Je pense qu’il paraîtra du 20 au 25. — J’ai parlé au correspondant de l’éditeur, on a écrit à Londres pour la proposition d’Auguste, dis-lui que je lui écrirai dès que j’aurai la réponse. — Le volume aura 440 pages. C’est plus gros que je ne croyais. C’est le tableau complet de l’homme et de la situation avec un petit coup d’œil sur le lendemain. — Chère amie, depuis que nous sommes ici, j’ai fait plusieurs dépenses personnelles pour Charles et pour moi. Je lui ai acheté des chemises, des souliers, un pantalon, etc. — Cela a fait un petit ensemble de notes dont voici le détail :

12 chemises 120 fr. 6 gilets de flanelle 55 1 pantalon d’hiver 25 2 pantalons d’été 30 1 gilet (pour moi) 15 1 chapeau (pour moi) 15 2 paires de souliers (pour Charles) 24 2 paires de souliers (pour moi) 26 310

Pour payer ces 310 francs, j’avais tiré sur Guyot ; or ce bon de 310 francs lui a été présenté le lendemain même du jour où tu avais pris de l’argent, de là non-paiement. J’écris tout de suite à Paris pour que le bon te soit présenté avant ton départ ; on le portera sans doute demain mercredi. Je te serai obligé de payer tout de suite. Ce sera à déduire sur les 2 116 francs.

Tu sais qu’on m’a fait dans les journaux d’ici et d’Allemagne sénateur, prince et grand aigle de la légion d’honneur avec deux millions de dotation ; moyennant quoi Napoléon-le-Petit rentrerait en portefeuille. J’ai haussé les épaules. Puis on a parlé amnistie.

Voici ce qu’a dit hier un journal catholique, l’Émancipation[197]  ; Cela a surpris dans la bouche de ce journal qui est assez bonapartiste et m’avait attaqué la veille. Je ne comprends pas ce revirement. De leur côté les journaux démocrates ont parlé et voici ce qu’a publié aujourd’hui la Nation[198] :

Charles avance son roman. Il m’a lu les premiers chapitres qui sont on ne peut plus réussis. C’est très remarquable et comme fond et comme forme. Je ne doute pas du succès et je crois que tu seras contente. Hetzel lui a déjà payé 200 francs sur le prix ; le reste (300 francs) quand il aura fini. — Un libraire veut imprimer ici mes discours complets, mais toujours de compte à demi. C’est un peu fantastique comme résultat. Je verrai ce que produira Nap.-le-Petit.

Chère bien-aimée, je n’ai pas le temps de t’en dire davantage, la poste me pressant. Une prochaine fois, nous parlerons affaires. Embrasse mon Adèle et mon Toto. — J’attends Toto le 25 au plus tard. Cela est absolument nécessaire. Pas d’hésitation possible. Charles lui explique pourquoi. Mon pauvre Toto serait tué en duel ou jeté à Cayenne avant 15 jours. Je le prie et au besoin je lui ordonne de venir. Dis-le-lui. Je vous embrasse tous avec toute ma tendresse.

Tendres amitiés à Auguste et à Meurice[199].


À Madame Victor Hugo.


25 juillet, dimanche matin.

L’imprimeur sort d’ici, chère amie. Le livre paraîtra mercredi ou jeudi au plus tard. Il faut donc que tu partes sitôt cette lettre reçue. Rends-toi directement à Jersey, à Saint-Hélier, qui est la ville principale. Il doit y avoir là de bons hôtels. Tu t’y installeras (après y avoir fait prix en arrivant, car il faut toujours dans les hôtels savoir d’avance ce qu’on dépense) et tu nous attendras. Charles n’a pas fini son livre, mais il est déterminé à partir avec moi. Je pense que nous serons à Jersey vendredi ou samedi au plus tard, notre intention étant de brûler Londres. Je compte bien que Victor t’arrivera avec nous, cependant nous n’avons pas encore de lettre qui nous annonce son arrivée, et nous l’attendions pour aujourd’hui. Je vais lui écrire et lui dire de venir sur-le-champ. J’espère qu’il ne résistera pas à une lettre de moi. J’ai gardé cela pour la fin. Jusqu’à présent, c’est Charles qui lui a écrit.

Chère amie, la semaine ne s’achèvera pas, je l’espère, sans que nous nous revoyions et que nous soyons réunis. Ce sera une bonne et vraie joie, la première depuis ces sept mois d’exil. Ma chère petite Dédé, que j’aurai de bonheur à t’embrasser !

Les incidents se sont multipliés et se multiplient encore, et un violent orage bonapartiste gronde autour du livre. C’est tout simple. Je te conterai les détails là-bas.

Vous avez dû passer huit beaux et bons jours à Villequier. Une partie de mon cœur est ensevelie là. Chère bien-aimée, tu as été voir notre Didine et son Charles, tu as prié pour toi et pour moi, n’est-ce pas ?

Comme il faut tout prévoir et que des incidents peuvent nous retarder, si par hasard nous n’étions pas à Jersey à la fin de la semaine, ne t’inquiète pas. Je crois pourtant fermement que nous y serons.

Mes co-proscrits ne voulaient pas me laisser partir. Trois députations sont venues me trouver à ce sujet. Je leur ai fait comprendre que mon expulsion forcée (inévitable) serait de l’honneur pour moi, et de l’amoindrissement pour eux. Ils n’ont plus insisté, mais je vois avec plaisir qu’ils me regrettent et que tous (à peu près) m’aiment et se grouperaient volontiers autour de moi. Il sera bon peut-être pour la démocratie que je sois un jour drapeau. Je sais ce que je veux et je ne veux que le bien.

Remercie avec effusion madame Vacquerie et madame Lefèvre qui, je pense, est peut-être à Villequier. Je suis heureux de sentir un si cordial accueil et de si tendres amitiés autour de toi.

J’espère que je trouverai Auguste à Jersey, et ce que tu me dis de la visite qu’y feront Paul Meurice et sa charmante femme, m’enchante. Nous aurons là peut-être quelques douces journées, en dépit des tempêtes qu’on fait autour de mon nom.

Erdan[200] est ici. Je lui ai donné à dîner hier. Ponsard est venu me voir. Janin est venu et a pleuré en m’embrassant. Je crois du reste que je laisserai une bonne trace ici et un souvenir respecté. On va publier mes discours complets. Je n’ai plus de place que pour t’embrasser et ma Dédé avec tout ce que j’ai de plus profond dans le cœur. Charles fait comme moi.

Le roman de Charles est charmant. Les 6 000 francs sont-ils rentrés ?[201])


À Adèle[202].


Bruxelles, 25 juillet [1852].

Ma Dédé, un petit mot pour toi, et un gros baiser. Je vais te revoir, tu sais ? Je vais passer la mer de mon côté, toi du tien, et nous nous retrouverons dans un lieu calme, libre et charmant. Là, nous attendrons la fin de la méchante pièce qui se joue en ce moment, et nous bénirons Dieu qui, nous ôtant la patrie, nous laisse la famille.

Charles viendra avec moi, et Victor aussi, j’espère. Tu vois bien que l’heureux groupe d’autrefois se reformera. Nous aurons Paris de moins, mais la mer de plus. Au lieu de la tempête des idées, nous aurons la tempête du vent et de l’eau. Cela est grand aussi. Chère enfant bien-aimée, je t’embrasse

et tout le cœur de ton père est à toi[203].
À François-Victor[204].


Bruxelles, 25 juillet [1852].

Mon Victor, mon enfant chéri, il faut que, sitôt cette lettre reçue, tu partes et tu viennes à Bruxelles nous rejoindre. Tu as reçu, il y a quatre ou cinq jours une lettre de Charles qui t’en donnait en détail les raisons, raisons impérieuses, raisons sans réplique, puisées tout à la fois dans ta sécurité et dans ton honneur. D’après la lettre de Charles, nous t’attendions aujourd’hui au plus tard ; ne recevant pas l’avis de ton arrivée, l’anxiété me prend et je t’écris. Cher enfant, je sais la situation de cœur où tu es[205] et je la comprends, tu n’en doutes pas, tu me connais assez pour savoir que je sympathise profondément avec ce genre de chagrin ; tu dois comprendre de ton côté que, pour que je t’appelle auprès de moi en ce moment, il faut que ce soit absolument nécessaire. Je ne te répète pas les raisons, Charles te les a dites et sans rien omettre. Et puis, j’ai peur que ma lettre soit ouverte à la police et lue, et il est inutile de redire ce que Charles t’a expliqué. Viens donc, viens tout de suite, je t’en prie, cher enfant, au besoin, je te le commande.

Ce ne sera d’ailleurs qu’une séparation de peu de jours, tu le sais bien, tu peux rassurer le cœur qui souffre avec le tien. Je ne veux pas de ces souffrances-là pour toi, mon Victor, elles sont poignantes, je le sais ; ce que je te demande, c’est une semaine de courage. Il est impossible que tu restes un jour de plus à Paris. Comprends cela et viens sur-le-champ. Rien n’empêche qui t’aime de te rejoindre quelques jours après.

Tu recevras cette lettre demain matin lundi 27. Charles et moi nous t’attendons mardi matin 28 sans faute et sans retard. Un retard de toi aurait les plus grands inconvénients pour nous-mêmes ici. Mon Victor, à mardi. Je t’embrasse tendrement.

Nous partons nous-mêmes (forcés) mercredi pour Jersey où ta mère nous attendra. — On pourra te rejoindre à Jersey[206].


À Madame Victor Hugo.


Londres, lundi 2 août [1852].

Nous voici à Londres, chère amie. Je t’écris bien vite. Nous avons quitté Bruxelles, Charles et moi, avant-hier ; mes co-proscrits m’avaient donné la veille un dîner d’adieu. Le lendemain, plusieurs, entre autres Madier de Montjau[207] et Deschanel, m’ont conduit à Anvers ; là m’attendaient nos co-réfugiés d’Anvers ; ils m’ont reçu et on a improvisé un banquet que j’ai présidé ; hier matin, les belges démocrates d’Anvers m’ont offert un grand déjeuner où ils ont invité tous les proscrits.

Au moment où nous nous mettions à table sont arrivés de tous les points de la Belgique une foule de représentants et de proscrits pour me dire adieu. Parmi eux Charras, Parfait, Versigny, Brives[208], Valentin[209], Étienne Arago, etc. — Déjà s’étaient rendus à Anvers pour le même objet Agricol Perdiguier[210], Gaston Dussoubs[211], Buvignier[212] , Labrousse, Besse[213], etc., et une foule d’écrivains et de journalistes proscrits, Leroy, Courmeaux[214], Arsène Meunier[215].

Bocage est arrivé exprès de Paris. Tout ce voyage a été une longue ovation.

Madier de Montjau, au départ, m’a adressé un vraiment très beau discours, qui venait du cœur. J’ai assez bien parlé en réponse. Discours des écrivains, discours des représentants, discours des belges ; parmi eux Cappellemans, que tu as vu chez Paul et qui m’a dit des paroles touchantes. Au moment où je suis monté sur le Ravensbourne, à trois heures, pour venir à Londres, une foule immense encombrait le quai, les femmes agitaient des mouchoirs, les hommes criaient Vive Victor Hugo. J’avais, et Charles aussi, les larmes aux yeux. J’ai répondu Vive la République ! ce qui a fait redoubler les acclamations.

Une pluie battante venue en ce moment-là n’a pas dispersé la foule. Tous sont restés sur le quai tant que le paquebot a été en vue. On distinguait au milieu d’eux le gilet blanc d’Alexandre Dumas. Alexandre Dumas a été bon et charmant jusqu’à la dernière minute. Il a voulu m’embrasser le dernier. Je ne saurais te dire combien toute cette effusion m’a ému. J’ai vu avec plaisir que je n’avais pas semé en mauvaise terre.

Madier de Montjau et Charras m’ont prié, au nom de tous nos coproscrits de Belgique, de voir ici Mazzini, Ledru-Rollin, Kossuth, pour régler avec eux les intérêts de la démocratie européenne. Ils m’ont dit : parlez comme notre chef. Ceci me retiendra à Londres jusqu’à mercredi. Attends-nous donc à Jersey jeudi ou vendredi.

J’espère que tu es là passablement et qu’avant peu tu y seras tout à fait bien.

Londres est lugubre et hideux. C’est une immense ville noire. En y entrant on n’a qu’une envie, c’est d’en sortir. Charles se fait homme dans tout ceci, il va très virilement en avant.

Si Auguste est avec vous à Jersey, ce sera une grande joie pour moi de l’embrasser. J’ai écrit à Victor d’y être le 5 et j’y compte. Nous serons alors tout l’ancien groupe heureux.

Mon livre ne paraît que jeudi. Il y a eu des retards de prudence que je t’expliquerai. Je fais verser dans la caisse de secours des proscrits les premiers cinq cents francs qu’il me rapportera.

Je t’embrasse, chère femme bien-aimée. J’embrasse ma Dédé, que je n’ai pas vue depuis huit mois. Hélas ! oui, il y aura huit mois demain. Quel bonheur ! se revoir ![216]


À Tarride[217].


Jersey, 8 août 1852.

Je pense, mon cher monsieur Tarride, que Napoléon-le-Petit doit avoir paru en ce moment, et j’espère, sans encombre. J’attends sur ce dernier point de vos nouvelles avec impatience. J’ai vu M. Jeffs en passant à Londres. Il consent à donner son nom pour la couverture, mais ne veut pas écrire la lettre ; il n’y a pas eu moyen de lui faire comprendre que cela était sans inconvénient aucun pour lui. Vous avez dû recevoir une lettre de moi, de Londres, à ce sujet. Vous pouvez du reste, user de son nom.

J’ai trouvé à Jersey d’immenses sympathies ; toute l’île m’a reçu sur le quai au débarquement, et j’ai été profondément touché des manifestations des proscrits et des habitants. Les proscrits m’assurent qu’on vendrait dans l’île seulement 1 000 ou 1 500 Napoléon-le-Petit. Vous pouvez dans tous les cas tâter le terrain, en en envoyant deux cents ou deux cent cinquante, qui seraient, je crois, enlevés tout de suite. Le passage en France, par les bateaux pêcheurs, serait, dit-on, très facile. Ils vont et viennent constamment, et on ne les visite pas[218]


À Madier de Montjau[219].


Jersey, dimanche 8 août [1852].

Cher collègue, je suis arrivé ici jeudi, mais impossible d’écrire avant aujourd’hui, le paquebot pour Londres ne partant que demain. J’ai passé trois jours à Londres, j’y ai vu Louis Blanc, Schoelcher et Mazzini ; Ledru-Rollin était à la campagne. J’ai représenté à Mazzini les inconvénients d’une prise d’armes actuelle en Italie ou en Hongrie et sans la France ; je lui ai dit que nous étions unanimes sur ce point en Belgique ; qu’une tentative avec la France était encore impossible à l’heure qu’il est, qu’une tentative sans la France avorterait certainement, donnerait au despotisme européen le prétexte qu’il cherche, et amènerait certainement un redoublement de compression ; confiscation de la liberté ou de ce qui en reste en Belgique, en Suisse, en Piémont et en Espagne, suppression de tous nos moyens de propagande en France par ces quatre frontières encore à moitié libres, contre-coup même en Angleterre, etc. Enfin la situation empirée à tous les points de vue. Il m’a paru comprendre, il m’a affirmé qu’il pensait là-dessus comme nous tous, mais qu’il était débordé, que la Lombardie en particulier voulait absolument se lever, que depuis deux mois il n’était occupé qu’à retenir et à arrêter, mais qu’on le menaçait de se passer de lui, qu’il avait donc la main forcée, que pourtant, sur nos observations, il ferait son possible pour ajourner encore. J’ai terminé l’entretien qui a duré deux heures, en lui disant que pour nous et hors de tout esprit de nationalité étroite, l’avenir était plus que jamais lié à la France, que la chute de Bonaparte était le nœud et que la révolution d’Europe serait le dénouement, que brusquer un tel avenir, et si certain, et par conséquent le retarder, c’était une responsabilité énorme et qu’en cas d’un mouvement prématuré et avortant, cette responsabilité pèserait sur lui et sur Kossuth. Nous nous sommes séparés en nous promettant de nous écrire. — Communiquez ces détails à tous nos amis et usez tous de moi pour ce que vous voudrez. Ma bienvenue ici a ressemblé à mes adieux d’Anvers moins votre magnifique et splendide discours. Tous nos amis d’ici m’attendaient au débarquement, mêlés aux habitants de la ville de Saint-Hélier qui sont ardemment sympathiques aux proscrits républicains. L’accueil a été plein d’effusion et de cordialité. Napoléon-le-Petit doit avoir paru à cette heure. Voici les deux pages promises. Offrez mes respects à madame Madier de Montjau. Je vous serre tendrement la main.

Victor H.

Je pense qu’il sera facile d’unir les proscrits de Jersey en un groupe d’accord avec le groupe belge. Si vous veniez ici, tout irait admirablement. Serrez la main pour moi à tous nos amis[220]


À Hetzel.


Jersey, 15 août [1852].

Êtes-vous de retour à Bruxelles, mon cher confrère et coopérateur ? Vous alliez vers le Rhin quand nous allions vers Jersey. Nous sommes arrivés, êtes-vous revenu ? Je vous écris un peu au hasard, pensant que cette lettre vous parviendra toujours.

J’ai écrit quatre fois à M. Tarride. Il ne m’a pas encore répondu. Je le suppose très occupé. Vous seriez bien aimable de le voir, et de me renseigner sur les points que voici : — Où en est l’impression de Nap.-le-Petit ? Où en est la vente ? — Où en est l’impression des Œuvres oratoires ? Quant à cette dernière publication, il faudrait faire après l’Assemblée législative une division intitulée Congrès de la Paix, et y mettre les deux discours que vous avez dans la brochure verte. Mandez-moi par quelle voie je pourrai vous faire parvenir les Notes. — Où en est notre publication de France ?

Je puis avoir un volume de vers, les Contemplations, prêt dans deux mois. Cette fois, y aurait-il moyen de faire une affaire à Bruxelles ? Qu’en pensez-vous ? Croyez-vous que la librairie Méline me ferait une offre acceptable ? Vous seriez bien aimable de tâter un peu le terrain et de me répondre un mot à ce sujet, car selon votre réponse, j’achèverais le volume ou j’écrirais le roman pour me débarrasser de Gosselin[221].

J’ai déjà envoyé à M. Tarride quelques corrections pour la réimpression de Nap.-le-Petit. — p. 197 (de l’édit. in-18), il faudrait ajouter : ce Delangle[222] entre ce Baroche[223], ce Troplong, lignes 21 et 22[224].

Je n’ai pas encore reçu mes 15 exemplaires. Y a-t-il un transit pour les livres pour l’Angleterre ? En ce cas, il faudrait les envoyer par là. S’il n’y a pas de transit, il faudrait prendre la voie de Rotterdam pour Guernesey. M. Philippe Folle, libraire de Jersey qui demande 250 Nap-le-Petit, indique la voie et le procédé dans sa lettre à M. Tarride. Aurez-vous la bonté de vous en occuper ? Ici on attend le livre avec impatience. S’il y en avait eu mille à l’apparition de l’ouvrage, ils eussent été vendus dans l’île seulement. Il faudrait profiter de ce bon moment.

Vous voyez que je n’hésite pas à vous occuper et même à vous ennuyer de mes affaires. C’est qu’elles sont un peu les vôtres, et puis prenez-vous-en à votre bonne et parfaite amitié qui encourage l’indiscrétion.

Cette île est charmante, la mer et les rochers sont magnifiques, j’admire tout cela, mais par moment, je songe à vous tous, et je me prends à regretter le ruisseau de la rue de la Fourche.

Je vous serre les deux mains.

Victor Hugo.

À Jersey, simplement. Toutes les lettres m’arrivent. Demain nous nous installons 3, Marine-Terrace ; Charles et moi nous nous remettrons à travailler. Mettez-moi aux pieds de votre charmante femme[225].


À Monsieur Luthereau.


Jersey, 15 août [1852].

Je sais, monsieur et cher ami, toutes les peines que vous avez prises et tous les remercîments que je vous dois. J’espère que vous me ferez savoir en détail tous les faits qui peuvent m’intéresser. Nous parlons sans cesse de vous ici et de votre si excellente et si charmante femme pour l’exemplaire de laquelle je vous envoie une première page qu’elle joindra au volume en souvenir de moi[226].

Nous sommes ici dans un ravissant pays ; tout y est beau ou charmant. On passe d’un bois à un groupe de rochers, d’un jardin à un écueil, d’une prairie à la mer. Les habitants aiment les proscrits. De la côte on voit la France.

Tout cela n’empêche pas de regretter le no 11 du passage du prince.

Charles a oublié ses fleurets à Anvers à l’hôtel Rubens ; il serait possible qu’on les rapportât chez vous. Seriez-vous assez bon pour les joindre au masque et les conserver jusqu’à ce qu’un proscrit, venant nous rejoindre, veuille bien s’en charger.

Toutes nos santés ici vont bien et j’espère qu’il en est de même chez vous. Mme Wilmen vous a peut-être rejoints. Offrez-lui, je vous prie, tous mes affectueux souvenirs.

J’écrirai prochainement à mon bon et cher collègue Yvan. Il devrait bien venir nous prendre à Jersey. Nous y passerions une année, et nous irions de là ensemble à Madère ou à Ténériffe. Après quoi, le sieur Bonaparte tomberait, et nous rentrerions tous en France en chantant un chœur final. Faites-lui part de ce plan.

Je m’installe demain lundi avec ma famille dans une jolie petite maison que j’ai louée au bord de la mer. Mon adresse sera désormais : St. Lukes, 3, Marine Terrace. Du reste, il n’y a pas besoin d’adresse. Toutes les lettres simplement adressées à Jersey me parviennent.

Mettez-moi aux pieds de madame Luthereau, et croyez-moi bien à vous du fond du cœur.

Victor Hugo[227].


À André Van Hasselt.


Jersey, 18 août 1852.

Je suis en pleine poésie, cher poëte, au milieu des rochers, des prairies, des roses, des nuées et de la mer, et tout naturellement je pense à vous.

Si vous étiez ici, quels beaux vers vous feriez ! Les vers sortent en quelque sorte d’eux-mêmes de toute cette splendide nature. Quand l’horizon n’est pas magnifique, il est charmant.

Je m’installe demain dans une petite niche au bord de la mer que les journaux de l’île qualifient ainsi : Une superbe maison sur la grève d’Azette. C’est une cabane, mais dont l’océan baigne le pied.

Nous parlons de vous en famille ; ma femme et ma fille lisent vos beaux volumes que je leur ai apportés. Charles et moi, nous leur racontons nos courses à Louvain, à Hal, en votre compagnie ; nous vous regrettons, nous vous désirons.

Il y a, à cinq ou six lieues en mer, un rocher énorme, une île qu’on appelle Serk. C’est une espèce de château de fées, plein de merveilles. Un bonhomme appelé Ludder ou Lupper vient d’en acheter la seigneurie moyennant 6 000 livres sterling. Voilà une de ces occasions où les poëtes envient les millionnaires. Je voudrais avoir une île comme cela et la donner à madame van Hasselt. Elle serait bien forcée d’y venir. Nous aurions, poëte, vos douces causeries. Ce serait encore moi qui serais le plus riche.

Charles vous embrasse. Je vous serre la main, et je mets tous mes plus tendres hommages aux pieds de votre gracieuse et charmante femme.

Victor Hugo.

Embrassez pour moi votre cher enfant. Ci-joint une première page pour votre exemplaire de Napoléon-le-Petit[228].


Au représentant Charras
Proscrit. À Bruxelles. Belgique. Via London[229] .


Êtes-vous à Bruxelles, cher collègue ? On me dit que non. On me dit que vous êtes en Hollande. Je vous écris au hasard. Cette lettre est un bonjour qui ira au devant de vous partout où vous serez.

S’il y avait de beaux exils, Jersey serait un exil charmant. C’est le sauvage et le riant mariés au beau milieu de la mer dans un lit de verdure de huit lieues carrées. Je m’y suis logé dans une cahute blanche au bord de la mer. De ma fenêtre je vois la France. Le soleil se lève de ce côté-là. Bon signe.

On me dit que mon petit livre s’infiltre en France[230] et y tombe goutte à goutte sur le Bonaparte. Il finira peut-être par faire le trou. La page sur Haynau circule dans le faubourg St-Antoine, et le fait bouillonner un peu. Il serait bon que cela commençât par un soufflet à Haynau pourvu que cela finît par un coup de pied au cul à Bonaparte.

Depuis que je suis ici, on me fait l’honneur de tripler les douaniers, les gendarmes et les mouchards à St-Malo. Cet imbécile hérisse les bayonnettes contre le débarquement d’un livre.

Vous avez dû recevoir votre exemplaire ? Je vous envoie une première page que vous y ferez coudre en souvenir de moi. J’ai eu bien de la peine à ne pas écrire sur cette page : au général en chef de la république future.

Ce sera votre rôle. Vous êtes peut-être le seul homme en effet qui puissiez revenir vainqueur et rassurant.

Ayons foi, cher ami. J’ai l’idée que nous siégerons vous et moi, coude à coude, au parlement des États-Unis d’Europe. Nous nous retrouverons l’un à côté de l’autre, et nous n’aurons plus les Thiers, les Montalembert et les Dupin en face de nous.

Je vous serre la main. — À bientôt.

Victor Hugo[231] .


À Madier de Montjau[232].


Jersey, 29 août [1852].

Je vous écris du bord de cette admirable mer, qui est en ce moment d’un calme plat, qui demain sera en colère et brisera tout, — et qui ressemble au peuple. Je regarde ce miroir qui est comme de l’huile, et je me dis : qu’un vent souffle, et cette eau plate deviendra tempête, écume et furie. — Cher ami, tâchons de faire souffler le vent.

Tâchez donc de venir à Jersey, avec votre noble et charmante femme. Vous y serez bien, je vous jure : ma femme embrassera la vôtre, j’ai une terrasse au bord de la mer où vous viendrez le soir, nous causerons, et nous regarderons la France à l’horizon et la république dans l’avenir. Nous laisserons nos âmes s’envoler vers ces deux patries.

Tout va bien. Force gendarmes et mouchards à Saint-Malo, les voyageurs fouillés jusqu’aux bottes, les pêcheurs de Granville bouleversés de la façon dont on visite leurs paniers, le sous-préfet faisant la grosse voix, menaces de prison à quiconque passera Napoléon-le-Petit ; une terreur énorme de ce petit livre. Pourtant, il n’est pas encore à Jersey. La semaine passée, 300 voyageurs (français) sont venus de Granville en train de plaisir. Notre co-proscrit Mézaize a dit à l’un d’eux : Que venez-vous faire ici ? — Nous venions acheter Napoléon-le-Petit. — Cette soif est bon signe.

La désunion continue à Londres, mais l’union s’est faite ici. — Les proscrits, divisés sans trop savoir pourquoi (comme toujours), ne demandaient qu’à s’entendre et à s’unir. Vraiment tâchez de venir. Vous savez qu’on est libre ici. — Je remets cette bonne cause dans les belles mains de Mme Madier de Montjau. Offrez-lui tous mes respects. Charles et moi, nous vous embrassons comme le 1er août, et nous vous répétons : à bientôt.

Victor H.

Quand vous verrez nos si chers amis M. et Mme Bourson, M. et Mme Péan, parlez-leur de nous. J’écrirai bientôt à Mme Bourson.


À Alphonse Karr[233].


2 septembre [1852].

Je suis donc encore à Bruxelles, mon cher Alphonse Karr, vos dix lignes m’ont fait l’effet d’une bonne poignée de main. Je vous en remercie. Tâchez donc d’imaginer que Jersey est sur la route de Bruxelles Ste Adresse.

Nous referons ici de ces mauvais dîners si excellents de nos dimanches d’autrefois. Vous en souvenez-vous ? Je suis charmé que ce petit livre vous ait plu[234]. En m’ôtant la montagne que j’avais sur la poitrine[235]

C’est ma joie dans l’exil. Je me promène au bord de la mer. Je regarde les goëlands. Je lis quelques chers livres, dont vous êtes. Je suis profondément calme. À propos, on me dit que l’Académie parle de me rayer. J’ai peur qu’elle ne me fasse pas cet honneur. Elle me traiterait après, comme elle a traité Molière avant. En sortant, je trouverais donc ce vieux Poquelin à la porte. Je me consolerais de ne plus être avec Nisard.

Je suis à vous du fond du cœur.

Victor Hugo[236].
À Madame de Girardin.


Jersey, 5 septembre [1852].

Quelle charmante lettre, et quelle douce pensée de me l’avoir envoyée ce jour là ![237] Il y a dans cette idée tout le cœur d’une femme de génie. Je vous remercie. Je baise vos mains qui ont écrit ces belles et tendres pages. Je baise vos pieds qui vous amèneront peut-être à Jersey. — Mais quel reproche dans la dernière ligne ! Comment avez-vous pu supposer que je ne vous avais pas écrit ! Le jour où parvint à Bruxelles la nouvelle de votre deuil, un français, M. Lindet, vint me voir, il rentrait à Paris, je lui remis une lettre qu’il se chargea de vous porter lui-même. Je ne puis comprendre comment elle ne vous est pas arrivée. Croyez tout de moi, excepté que je vous oublie. Ce serait un crime de tromper l’attente d’un cœur comme le vôtre.

Lady Tartufe par Mme Molière. Ceci est déjà du génie. Qui a trouvé cela trouvera le reste. Mais venez donc à Jersey me lire cette œuvre où vous mettrez tant de choses qui ne sont qu’à vous. Le voyage est ce qu’il y a de plus simple au monde : deux cents francs pour l’aller et le retour en tout, trois heures de mer par Saint-Malo, deux heures par Granville. Vous à Jersey ! J’en rêve déjà. Que votre mari vous y rejoigne et il me semble qu’il ne restera plus rien en France.

Vous comprenez que je ne vous dis rien de ce qui pourrait empêcher cette lettre de vous parvenir. Mais venez, et comme nous nous dédommagerons ! Que de choses ! Quelles avalanches de conversations ! Arrivez-nous bien vite. Nous vous logerons fort mal dans un petit coin de notre cabane, mais vous n’aurez qu’à sortir pour que l’océan baise vos pieds, et je lui ferai concurrence.

L’île est charmante et superbe ; on voit à l’horizon la France comme un nuage et l’avenir comme un rêve. Soyez la figure qui sort du rêve et l’étoile qui sort du nuage. Venez !

Ma femme et ma fille vous embrassent tendrement et tous nous nous mettons à vos pieds.

Serrez là-bas pour moi cette main que je voudrais serrer ici.

La Presse nous vient. Elle nous apportera votre roman[238]. Nous vous remercierons en admirant.

Victor H.[239]
À Madier de Montjau[240].


Marine-Terrace, 30 octobre samedi [1852].

Quelques jours avant votre lettre, mon cher collègue, j’avais reçu de plusieurs démocrates de Paris, — et des plus intrépides, une lettre me demandant avis et contenant à peu près les mêmes observations que la vôtre. J’avais convoqué les proscrits de Jersey, et après examen et débat approfondi, mon opinion et l’opinion unanime avaient été de persister dans l’abstention. J’avais été invité[241] à rédiger une déclaration dans ce sens. Votre lettre reçue, en présence des motifs si graves et si bien déduits par vous, nouvelle convocation, cette fois plus nombreuse et réunissant tous les proscrits républicains de toutes nuances. La réunion a eu lieu hier soir. On a persisté dans l’avis de s’abstenir ; la résolution a été prise à l’unanimité moins trois voix[242]. Une déclaration que je rédigerai sera faite dans ce sens. Je m’empresse de vous faire part du résultat. On a considéré que les scrutins de M. Bonaparte étaient un leurre, que son chiffre, puissamment supérieur au chiffre du 20 Xbre, était certainement arrêté dès à présent, que si le chiffre de Paris ou de Lyon lui était contraire, il l’altérerait et publierait un chiffre quelconque à sa fantaisie, que par conséquent il n’y aurait pas de manifestation sérieusement possible par le vote, qu’il serait beaucoup plus difficile à Bonaparte de masquer une abstention se manifestant sur une grande échelle que de falsifier un scrutin, que la politique donc était d’accord avec les principes, qu’à coup sûr Bonaparte ne serait pas assez naïf pour tolérer et rendre public un échec à son empire, qu’il fallait donc s’abstenir plus que jamais, et insister sur la mise hors la loi de Bonaparte, et sur la nécessité de se préparer à l’insurrection, droit et devoir unique de la situation. Demain on votera sur les termes de la déclaration. Je pense que je pourrai avant de fermer cette lettre, vous écrire le résultat.

Dimanche 31, 2 heures.

Je reprends ma lettre. Je sors de la réunion. Persistance plus vive et plus unanime que jamais dans l’abstention. La déclaration lue par moi a été votée par acclamation : on a souscrit immédiatement pour l’imprimer et la répandre. Je pense que je pourrai vous l’envoyer par le prochain courrier. Les proscrits hongrois, polonais, italiens, etc. étaient présents. Quant aux proscrits français, trente-huit départements étaient représentés. On pense unanimement que les deux groupes de Londres résoudront la question dans le même sens. Boichot venu de Londres, et présent, est de cet avis. — Je vous écris tout cela bien vite. Si vous vous ralliez, cher et éloquent collègue, à cette opinion, aujourd’hui absolument unanime ici, il serait utile de vous mettre tous à l’œuvre de votre côté immédiatement et d’organiser une immense abstention.

Le 4 approche. Parlez-en à tous nos amis. Le facteur va passer. Je ferme cette lettre. J’ai dit à ma femme combien c’est une noble et charmante femme que Mme Madier de Montjau. Mme Victor Hugo désire ardemment la connaître. Quand donc nous viendrez-vous ? Je vous envoie mes plus cordiales effusions.

V. H.

Amitiés à tous nos amis. Charles vous serre la main[243].


À Hetzel.


18 novembre [1852].

Je fais en ce moment un volume de vers qui sera le pendant naturel et nécessaire de Napoléon-le-Petit. Ce volume sera intitulé : Les Vengeresses. Il contiendra de tout, des choses qu’on pourra dire, et des choses qu’on pourra chanter. C’est un nouveau caustique que je crois nécessaire d’appliquer sur Louis Bonaparte. Il est cuit d’un côté, le moment me paraît venu de retourner l’empereur sur le gril. Je crois à un succès au moins égal à celui de Nap.-le-Petit. À présent, que me conseillez-vous ? Impossible de publier cela en Belgique, la loi Faider-Brouckère[244] étant donnée ; on imprime ici à très bon marché. Qu’en diriez-vous ? Croyez-vous que Tarride pourrait recevoir à Bruxelles les ballots d’exemplaires fabriqués ici et les vendre secrètement ou ostensiblement selon la situation faite par la loi ? Dans ce cas-là, jugeriez-vous à propos de refaire entre vous, lui et moi pour les Vengeresses le même traité que pour Nap.-le-Petit ? Si c’était là votre avis, il serait nécessaire d’en causer. Est-ce que vous ne pourriez pas venir me voir une semaine à Jersey ? Je vous offrirais un coin dans ma cabane au bord de la mer. D’ici rien de plus facile, je vous l’ai déjà écrit, que d’inonder la France du livre. Le volume des Vengeresses (environ 1 600 vers) sera fini dans trois semaines ou un mois. Plus mince que Nap-le-Petit, coûtant moins de fabrication, on le vendrait meilleur marché, et on le clicherait. Répondez-moi sur tout ceci[245].


À Hetzel.


5 Xbre [1852].

Je m’empresse de vous accuser réception. J’ai tout reçu, votre lettre, le mandat de Paris envoyé par M. de Pouhon et l’effet Olivier. Je remettrai demain cet effet au banquier pour qu’il le fasse encaisser. Mais j’ai grand peur que cet Olivier, filou, dit-on, et ami du consul de France, ne paie pas. — En ce cas-là, je serai bien forcé de réclamer de Tarride le remboursement.

Je continue de croire qu’il serait utile que Tarride fût dans la nouvelle affaire. Donnez-moi votre avis sur ce point.

Hélas ! il faut donc renoncer à vous avoir ici, pour l’instant du moins. Nous aurions passé de bonnes heures ensemble. Mais vos raisons sont sans réplique. Je me rallie aussi à l’impression en Belgique. Le procès nous sonnerait une fanfare. Et la vente courrait sous le manteau. — Je vous enverrai une lettre pour M. Arnaud Volsi de Genève que vous lui ferez passer, lui demandant combien il faudra envoyer d’exemp. en Suisse pour éviter la contrefaçon. Nous ferons de même dans les autres pays.

Par exemple, le livre publié, la chose faite, vous viendrez me voir. Ce sera l’été. Vous verrez comme Jersey est charmant quand il a chaud.

Ayez soin de mettre sur les adresses de vos lettres Via London.

Pressez la réimpression des 10 000 (d’après mon exemplaire corrigé ????) et dites-moi quand vous voudrez que je vous envoie l’avant-propos des Œuvres oratoires. Au dernier moment, cela suffira.

Je songe à votre objection sur les Vengeresses. Moi je trouve le titre sourd, et puis le masculin est plus populaire que le féminin. Il me semble que j’aime mieux le titre :

Le chant
du
Vengeur

par etc.
Qu’en dites-vous ? — À bientôt une plus longue lettre. Ceci n’est que

pour vous serrer la main. — Pourquoi Cappellemans ne m’écrit-il plus ?[246]


À Hetzel.


21 décembre [1852].

Par quel moyen vous ferai-je tenir le manuscrit ? Il faut une voie sûre. Creusez votre excellente et spirituelle tête et trouvez-moi un procédé d’expédition du manuscrit à l’abri de tout danger d’infidélité.

Je vous avais dit 1 600 vers, il y en aura près de trois mille. La veine a jailli ; il n’y a pas de mal à cela. Cela fera un volume gros comme la moitié de Nap.-le-Petit (environ 250 pages) ; il faudra, ce me semble, un caractère plus fin que Nap.-le-Petit qui, je crois, serait trop large pour les alexandrins. Avez-vous ce caractère ? Il le faudrait fin, étroit et très lisible. Faites donc faire un spécimen (25 vers à la page) que vous m’enverrez dans une lettre. — Je suis de votre avis sur le mot Vengeur et je préfère aussi les Vengeresses[247]. Cependant ne vous attendez pas à ce que ce livre soit aussi impersonnel que Nap.-le-Petit ; il n’y a pas de poésie lyrique sans le moi. — J’ai lu ici quelques pièces à plusieurs de mes amis, et j’ai été content de l’effet.

Je reviens à Vengeresses. Rimes est parfaitement inutile et ôterait du sérieux. On s’attendra à Judith, à Ch. Corday, etc. Eh bien, qu’importe ? Avec les Orientales ne pouvait-on pas s’attendre aussi à des femmes comme celles de Byron, à des Haydée, à des Rebecca, etc. Cela n’a rien fait. — On saura bien vite qu’il n’est pas question d’Holopherne ni de Marat, mais de Louis Bonaparte. — Somme toute je reviens à mon titre et je m’y cramponne.

Ne voulait-on pas me faire changer aussi Napoléon-le-Petit ? Souvenez-vous de ma résistance à tous, vous excepté. J’avais raison.

Impossible que les épreuves soient corrigées par d’autres que par moi[248]. Vous tâcherez de me les envoyer assez pures pour que je n’aie qu’une épreuve à recevoir sur laquelle je donnerai le bon à tirer[249].


À Paul Meurice.


27 décembre 1852.

Cher Meurice, je pense qu’au moment où vous recevrez cette lettre, ma femme vous aura quitté et sera peut-être arrivée ici, avec mon fils, j’espère. Jusqu’à ce moment, je ne sais rien de ce qui se passe à Paris et j’attends avec anxiété. Je ne veux pourtant pas, quels que soient mes soucis, que la fin de l’année se passe sans que je vous aie serré la main et que j’aie déposé mon humble carte aux pieds de madame Meurice. Offrez-lui de ma part ce barbouillage, et si elle trouve ce ciel laid, dites-lui que c’est comme cela qu’il est dans l’exil.

Et puis laissez-moi vous remercier de tout ce que vous faites pour moi et pour nous à Paris ; je suis honteux par moments de toutes les peines, et de tout genre, que nous vous donnons là-bas ; je n’ai à vous donner en échange que le triste merci du proscrit.

Je me rappelle, c’est une de mes joies dans toute cette ombre, les trop courtes journées que vous nous avez données cet été, nos promenades, nos repas en famille, nos rires, nos effusions, toute cette poésie et toute cette gaîté que nous mêlions.

Je pardonne d’avance à l’an prochain de l’hégire impériale s’il doit nous donner encore quelques-unes de ces bonnes semaines-là.

Faites de beaux livres, cher poëte, faites de beaux drames, et pensez un peu à moi. Vous savez que vous avez toujours une partie de mon âme avec vous. Charles vous embrasse et ma fille embrasse madame Meurice[250].

  1. Granier de Cassagnac, professeur de littérature à Toulouse, vint à Paris où il connut Victor Hugo qui le fit entrer au Journal des Débats ; ses articles de critique littéraire furent très appréciés. Pourtant ses violentes attaques contre Racine inquiétèrent le directeur des Débats et Granier de Cassagnac entra à La Presse qui convenait mieux à son ardeur de polémiste. Il évolua vers la politique en 1848 et fit une vive opposition au gouvernement républicain ; oubliant qu’il avait, lors des tentatives de Strasbourg, couvert d’injures Louis Bonaparte, il approuva et soutint sa politique. Élu en février 1852 dans le Gers, il fut partisan et courtisan de l’empire jusqu’à sa chute ; puis après le 4 septembre 1870, il quitta la France et continua sans succès à l’étranger sa propagande bonapartiste. En 1876, il fut élu député de Mirande. Il laissa plusieurs volumes d’histoire.
  2. La brochure de Granier de Cassagnac, apologie du coup d’État, venait d’être publiée sous le titre : Récit authentique des événements de décembre 1851. C’est certainement volontairement qu’il n’avait pas nommé Victor Hugo ; il n’avait pas voulu le mêler à ceux qui avaient osé réclamer la déchéance de Louis Bonaparte, ce qui, à ses yeux, était un crime ; il se souvenait sans doute que l’exilé avait autrefois demandé et obtenu pour lui la croix.
  3. « Tu as ceci de particulier que tu te méfies de moi. » Gustave Simon. La Vie d’une femme (lettre du 24 décembre 1851).
  4. Quand vint l’exil, Mme d’Aunet s’affola et se crut privée de son dernier appui. C’est encore Mme Victor Hugo qui intervint, la calma, la conseilla et lui facilita l’accès de revues et de journaux où elle put utiliser son réel talent d’écrivain.
  5. Dans une lettre du 1er janvier 1852, Mme Victor Hugo écrivait à son mari : « J’ai écrit hier à Mme D… Je vais tâcher d’emmancher quelque chose pour elle à cette Revue de Paris. Je vais beaucoup m’occuper d’elle afin de te dégager et pour que tu aies le moins de souci possible de ce côté. Je remplirai cette tâche avec toute la délicatesse et tous les soins possibles. » Archives de la famille de Victor Hugo.
  6. Dupin et Troplong sont les deux magistrats les plus souvent nommés dans les Châtiments et dans l’Histoire d’un Crime où Victor Hugo juge et dépeint l’opportunisme constant de Dupin approuvant tous les décrets abolissant les lois qu’il avait juré de défendre, « et ce Troplong, légiste glorificateur de la violation des lois, jurisconsulte apologiste du coup d’État, magistrat flatteur du parjure... Troplong, Dupin, les deux profils du masque posé sur le front de la loi ». Histoire d’un Crime.
  7. Bibliothèque Nationale.
  8. Inédite.
  9. Louis Blanc.
  10. Bibliothèque Nationale.
  11. Collection Louis Barthou. — Actes et Paroles. Pendant l’exil. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  12. Poète belge qui se lia avec Victor Hugo pendant son séjour à Bruxelles. Leurs relations cessèrent du jour où Van Hasselt sollicita de Napoléon III la Légion d’honneur.
  13. Copie. Archives de la famille de Victor Hugo.
  14. M. de Maupas, préfet de police en novembre 1851, sut gagner la confiance de Louis Bonaparte au point d’être admis aux conciliabules secrets où l’on prépara le coup d’État ; c’est lui qui donna les ordres pour l’arrestation nocturne des représentants et prit jusqu’en juin 1853 toutes les mesures de rigueur contre les journalistes hostiles à l’empire. Devenu sénateur en 1853, il soutint toujours la politique la plus intransigeante. À la chute de l’empire il cessa toute activité politique jusqu’en 1876 où il échoua deux fois en se présentant aux élections.
  15. Relation du voyage que Mme Biard fit, en 1839, avec son mari.
  16. Xavier Durieu, après la révolution de 1848, fonda, avec Blanqui, un club révolutionnaire : La Société Centrale républicaine. Élu représentant de l’Ariège, il siégea à la Montagne.
  17. Hippolyte Magen, républicain ardent, subit plusieurs condamnations pour ses écrits et fut expulsé au coup d’État ; il ne rentra en France qu’en 1870. Il publia plusieurs livres d’histoire et de violentes études contre l’empire, entre autres : Mœurs, débauches et crimes de la famille Bonaparte.
  18. C’était un faux bruit.
  19. Laussedat, médecin, représentant de l’Allier en 1848, combattit la politique de Louis Bonaparte et appuya la demande de mise en accusation, ce qui le fit inscrire en 1851 sur les listes d’expulsion ; il s’installa à Bruxelles où il reprit sa profession de médecin.
  20. On nommait Burgraves les monarchistes de l’Assemblée. Quant au mot Napoléon le Petit, Victor Hugo l’avait prononcé, pour la première fois, dans son mémorable discours du 17 juillet 1851, bien avant de le prendre pour titre du livre auquel, en janvier 1852, il ne songeait pas encore.
  21. Bibliothèque Nationale.
  22. Le colonel Charras, après s’être distingué dans les campagnes d’Algérie, revint en France en 1848 pour y exercer son mandat de représentant. Au coup d’État, il fut emprisonné, puis exilé et rayé de l’armée. Expulsé de Bruxelles, il se réfugia en Hollande, puis en Suisse. Il écrivit une Histoire de la campagne de 1815. Très dévoué à Victor Hugo, il mit à sa disposition son temps, et le peu d’argent qu’il possédait pour créer à Bruxelles une imprimerie afin de publier les premières œuvres d’exil : Napoléon-le-Petit et les Châtiments.
  23. Émile Labrousse, représentant du Lot en 1848 et 1849, vota toujours avec la minorité républicaine et contre Louis Bonaparte. Il fut expulsé en 1851 et se fixa en Belgique.
  24. (Extrait de journal collé sur la lettre), démission de m. hody. « Nous avons annoncé avant-hier qu’un grave conflit avait éclaté entre M. de Brouckère, bourgmestre de la ville de Bruxelles, et M. le baron Hody, administrateur de la sûreté publique. Ce conflit avait été provoqué par la conduite de ce dernier à regard des réfugiés français, les tracasseries faites à M. Victor Hugo, la brutale arrestation de M. Félix Pyat, empoigné par des gendarmes, conduit à la frontière dans une voiture cellulaire et retenu pendant 12 heures prisonnier à Ostende, enfin, les violences commises contre trois réfugiés, au nombre desquels se trouvait M. Bianchi, rédacteur en chef du Messager du Nord, membre du conseil général de ce département et conseiller municipal de Lille. M. de Brouckère, dont la conduite mérite les plus vifs éloges, s’en est ému : il a même offert sa démission et mis le cabinet dans la nécessité de choisir entre sa retraite et celle de M. le baron Hody. Le résultat du conflit se trouve dans un arrêté royal qui a paru hier au Moniteur et dont voici la teneur : « Par arrêté royal, en date du 8 janvier 1852, la démission de M. le baron Hody, de ses fonctions d’administrateur de la sûreté publique et des prisons, est acceptée ».
  25. Jules Favre fut, à l’Assemblée législative, l’orateur le plus puissant du parti républicain. Au coup d’État, le conseil de l’ordre des avocats lui épargna la proscription. En février 1858, il entra au corps législatif et fut le chef de l’opposition. Après Sedan, il demanda la déchéance de Napoléon III. Il fut ministre des Affaires étrangères jusqu’en août 1871. Il eut alors la douloureuse mission de négocier, de concert avec Thiers, l’armistice d’abord, puis le traité de paix. On a de lui de nombreuses publications de ses discours et plaidoiries. — Michel (de Bourges), démocrate, représentant du Cher en 1849, fut plusieurs fois président de l’Assemblée. Son discours sur la revision de la Constitution fut publié dans la même brochure que celui de Victor Hugo. D’après les renseignements recueillis par Mme Victor Hugo et transmis à son mari dans sa lettre du 14 janvier 1852, le conseil de l’ordre des avocats aurait, comme pour Jules Favre, empêché son expulsion. — Hippolyte Carnot, second fils de Lazare Carnot, fut nommé président de la Société pour l’instruction élémentaire, société fondée par son père ; ministre de l’Instruction publique en 1848, il soutint les projets de loi sur l’instruction gratuite et obligatoire, fit décréter la gratuité de l’École normale et fonda l’école d’administration. Républicain, il refusa de prêter serment à l’empire et ne reprit d’action politique qu’en 1871 ; il fut alors élu député de Seine-et-Oise.
  26. Bibliothèque Nationale.
  27. Archives de la famille de Victor Hugo.
  28. Inédite.
  29. Bibliothèque Nationale. Nouvelles acquisitions françaises , fol. 287.
  30. En marge de ce brouillon, une phrase qui devrait se placer après ces mots : J’ai fait mon devoir ; Il est tout simple que ce devoir soit un crime quand le crime est un devoir.
  31. Archives de la famille de Victor Hugo.
  32. Actes et Paroles. Avant l’exil.
  33. Charles avait, comme la plupart des prisonniers politiques, des permissions de sortie.
  34. L’éditeur Hetzel, en 1835, lança des publications à bon marché, en livraisons, qui, malgré leur prix modique, réunissaient les plus grands noms de l’époque : Balzac, Dumas, Nodier, George Sand, Alfred de Musset et, sous le pseudonyme de P.-J. Stahl, Hetzel lui-même. C’est avec Musset que « Stahl » signa ce charmant Voyage où il vous plaira, en 1842. En février 1848, Hetzel, républicain militant, fut successivement chef de cabinet aux Affaires étrangères, à la Marine, et secrétaire général du gouvernement provisoire. Il donna sa démission quand Louis Bonaparte fut élu président de la République ; il se contenta de combattre dans plusieurs journaux la politique et la personne du prince-président. Aussi fut-il proscrit au coup d’État ; il se réfugia en Belgique jusqu’au décret d’amnistie en 1859. — À Bruxelles, il fonda une nouvelle maison d’édition tout en dirigeant de loin sa maison de Paris. Pour Victor Hugo, il fut plus qu’un éditeur ; pour arriver à publier en 1852 et 1853 Napoléon-le-Petit et les Châtiments, Hetzel montra une ténacité, une patience, un dévouement inlassables. Trouver des capitaux (personnellement, il y consacrait le peu qu’il possédait), trouver un local et surtout un imprimeur assez intrépide pour braver la prison possible, la police impériale française pesant sur la magistrature belge, autant de problèmes qu’Hetzel résolut pourtant. Au prix de quelles luttes, leur correspondance le démontre. Il publia aussi plusieurs éditions des Contemplations, La Légende des Siècles et, dans sa jolie collection elzévirienne, presque toute l’œuvre poétique de Victor Hugo.
  35. Bibliothèque Nationale.
  36. Bibliothèque Nationale.
  37. Les deux lettres datées 19 janvier sont envoyées ensemble.
  38. Mme D’Aunet.
  39. À cette page Mme Victor Hugo répondit : « Sois bien tranquille, je vais me rendre tout à l’heure chez Mme D… Je te réponds qu’elle ne partira pas. Justement je viens d’écrire à Houssaye lui demandant un rendez-vous afin de lui parler du Voyage en question. Gautier, Houssaye et deux autres sont maîtres de la Revue… Je vais tourner Mme D… du côte de l’art. Ce sera une noble et puissante diversion, je l’espère. De ton côté, je crois qu’il serait bon que tu lui écrivisses des lettres qui satisferaient, sinon son cœur, du moins sa fierté. Fais-en une sœur de ton esprit. Je sais que tu n’as que peu de loisir, mais quelques mots de temps à autre peut-être suffiraient. Cher grand ami, je veille. Travaille en paix et sois calme ».
  40. Inédite.
  41. Inédite. Cette lettre fait partie de la lettre précédente.
  42. Il s’agit de Juliette Drouet. En 1833, elle avait créé le petit rôle de la princesse Negroni dans Lucrèce Borgia : Victor Hugo s’était épris d’elle et leur liaison dura cinquante ans. Pendant les journées qui précédèrent le départ en exil, Juliette Drouet donna à Victor Hugo des preuves d’un dévouement absolu, le prévenant dès qu’elle s’apercevait qu’un des locaux où se réunissaient les représentants traqués était découvert, faisant le guet des heures entières, puis le cachant chez des amis à elle. Le 13 décembre 1851, elle le rejoignit à Bruxelles, partagea son exil et revint à Paris avec lui le 5 septembre 1870. La mort seule les sépara.
  43. Bibliothèque Nationale.
  44. François-Victor avait encore cinq mois de prison à faire comme Paul Meurice, et Auguste Vacquerie quatre mois.
  45. Mme de Kisseleff.
  46. Belle-sœur de Mme Victor Hugo qui avait trouvé à celle-ci « l’air bien rayonnant pour une femme dont le mari était en exil ».
  47. Dans sa lettre du 18 janvier 1852, Mme Victor Hugo avait fait part à son mari de l’offre que Villemain était venu lui faire ; « ... Je suis un si vieil ami que je porte avec moi l’excuse de cette offre. Votre mari est parti à l’improviste ; pris au dépourvu il n’a pu s’occuper d’affaires, vos fils sont en prison, la prison est onéreuse... Je viens mettre à votre disposition 2 500 francs. Ce n’est qu’un prêt ». Mme Victor Hugo refusa en ces termes : « ... Sachez, cher Monsieur, que dans aucune circonstance, nul argent autre que celui qui me viendra de mon mari ne sera touché par moi. Comme mon mari est, à peu de chose près, du même âge que moi, qu’il se porte très bien, qu’il est hors des griffes du gouvernement, je puis vous dire sans qu’il y ait en mon cœur de crainte, que si mon mari mourait avant moi, je n’accepterais jamais rien d’un gouvernement quel qu’il soit, ni d’une institution quelconque. C’est une promesse que j’ai faite à mon mari, que je me suis faite à moi-même, et que je tiendrais d’une façon absolue ».
  48. Bibliothèque Nationale.
  49. Inédite.
  50. Bibliothèque Nationale.
  51. Dinocourt était un romancier trop fécond.
  52. Actes et Paroles. Pendant l’exil. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  53. Testelin fut représentant du Nord en 1847 et 1851 ; républicain, il protesta contre le coup d’État et fut expulsé. Il exerça alors sa profession de médecin à Bruxelles jusqu’à l’amnistie de 1859. En septembre 1870, il fut nommé préfet du Nord et représentant du même département en 1871. Sénateur en 1875. Membre de plusieurs sociétés savantes.
  54. Des bruits couraient sur l’annexion de la Belgique à la France.
  55. Eugène Rouher, avocat, se fit élire en 1848, comme républicain, représentant du Puy-du-Dôme, mais prit place à droite ; en 1849 il se sépara de la majorité pour soutenir la politique de Louis Bonaparte dont il suivit la fortune dès que l’empire triompha ; il fut plusieurs fois ministre et l’élasticité de sa conscience lui fit plaider les procès les plus contraires avec la même conviction ; il rejoignit l’impératrice après le 4 septembre 1870, mais rentra en France et poursuivit son rôle politique jusqu’en 1881.
  56. Actes et Paroles. Pendant l’exil. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  57. La confiscation des biens de la famille d’Orléans.
  58. Béranger avait demandé et obtenu, sans qu’il y eût de demande écrite, un jour de sortie par semaine pour François-Victor.
  59. Bibliothèque Nationale.
  60. Théodore Pavie. Victor Pavie, sa jeunesse, ses relations littéraires.
  61. C’est le Burg à la Croix, donné par Paul Meurice à la Maison de Victor Hugo.
  62. À quatre prisonniers. — Les Châtiments.
  63. Les Caves de Lille, dont on trouvera une relation écrite par Victor Hugo et publiée dans Actes et Paroles, Avant l’exil. Reliquat, Édition de l’Imprimerie Nationale.
  64. Une pièce de cinq francs, selon le mot de Mürger.
  65. Victor Hugo qualifiait ainsi Frédérick Lemaître : « le plus grand acteur de ce siècle, le plus merveilleux comédien peut-être de tous les temps ». Après un grand succès dans L’Auberge des Adrets, il eut la joie de créer Gennaro dans Lucrèce Borgia en 1833 et, en 1838, Ruy Blas. À soixante-treize ans, il reparut dans le rôle épisodique du vieux juif dans Marie Tudor. Victor Hugo lui a consacré des vers : À un grand comédien, qui ont paru dans Toute la Lyre.
  66. Pièce projetée par Victor Hugo et dont on trouvera des fragments dans le Théâtre inédit. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  67. Mme Victor Hugo avait réussi à faire accepter un fragment du Voyage de Mme d’Aunet. Ce fragment fut publié dans la Revue de Paris d’août 1852 sous le titre : Voyage d’une femme au pôle arctique et fit partie du volume paru en 1853 : Voyage d’une femme au Spitzberg.
  68. Mme Victor Hugo avait annoncé l’intention d’écrire un livre sur la jeunesse de son mari ; ce projet se réalisa, s’étendit jusqu’en 1840 et parut en 1863 : Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie.
  69. Bibliothèque Nationale.
  70. Serrière avait été l’imprimeur de la Presse, de l’Événement, de l’Avènement. Il avait été fort inquiété lors de l’occupation militaire de ces journaux. Après le coup d’État, il quitta Paris et se réfugia à Bruxelles.
  71. Mme Drouet.
  72. Plusieurs des « faits de province » ont été publiés dans l’Histoire d’un crime. Cahier complémentaire. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  73. Paul Meurice proposait de faire reparaître l’Événement, sous une forme purement littéraire.
  74. Le docteur Yvan, représentant des Basses-Alpes en 1849, protesta vivement contre le coup d’État et reçut chez lui pour y délibérer les représentants restés libres. Quand la lutte fut devenue inutile, il gagna Bruxelles.
  75. Barthélemy Terrier, médecin, républicain convaincu, encourut deux condamnations politiques sous le règne de Louis-Philippe. Élu en avril 1848 représentant de l’Allier, il protesta contre le coup d’État, fut expulsé, passa en Belgique, puis en Angleterre où il resta toute la durée de l’Empire.
  76. Mme Lucas, femme d’Hippolyte Lucas.
  77. Papa chéri.
  78. Bibliothèque Nationale.
  79. Marc Dufraisse, avocat, élu en 1848 représentant de la Dordogne, républicain démocrate, vota en mars 1851 pour le maintien des lois de bannissement ; il fut l’un des plus énergiques protestataires pour la résistance au coup d’État ; proscrit, il se réfugia en Belgique où, pour vivre, il se fit correcteur d’imprimerie, puis passa à Zurich comme professeur de législation comparée. Rentré en France après le 4 septembre, il fut élu en 1871 représentant de la Seine, siégea à gauche, et repoussa les préliminaires de paix. Il laissa un certain nombre de publications historiques. — Le Cahier complémentaire, Histoire d’un crime, tome 2, Édition de l’Imprimerie Nationale, donne la relation de son emprisonnement à Mazas.
  80. Théophile Gautier, dans son feuilleton du 24 février 1852 (La Presse), disséquait un drame en vers d’Émile Augier, Diane, qu’on venait de représenter au Théâtre-Français ; il reprochait à l’auteur d’avoir modernisé et dénaturé Marion de Lorme, établissait un parallèle entre les situations, les personnages et les vers des deux pièces et terminait ainsi : « Mais M. Augier n’a peut-être ni lu, ni vu Marion de Lorme ».
  81. Émile Augier écrivit de nombreux drames et comédies ; quelques-unes de ses pièces sont encore représentées avec succès à la Comédie-Française : L’Aventurière, Les Effrontés, Le Fils de Giboyer, Le Gendre de M. Poirier, Les Fourchambault.
  82. Comme celui de Théophile Gautier, le feuilleton de Janin (Le Journal des Débats, 23 février 1852) prend à partie Émile Augier en opposant Marion de Lorme à Diane ; analysant le nouveau drame presque scène à scène, il en indique tout au long les rapprochements plutôt maladroits ; Janin, qui avait été en 1831 plus qu’aigre-doux pour Marion de Lorme, en détaille complaisamment les beautés, loue la forme et le fond et revient, en plus d’un point, sur le jugement qu’il avait porté à la création du drame.
  83. « Ce que le ministère de l’Intérieur accorde ostensiblement, la liberté de vote, le ministère de la Police est chargé de le retirer. C’est ainsi que M. de Maupas se vante d’avoir étouffé la candidature de M. L. Faucher, et que dans le faubourg Saint-Antoine, plusieurs ouvriers, chefs de famille, ont été menacés d’un procès en impression clandestine, pour avoir imprimé avec une de ces petites presses lithographiques que tout négociant possède des bulletins portant le nom de M. Victor Hugo. La nomination de M. Hugo serait pour l’Élysée un grand sujet de mécontentement. De tous les bannis, l’illustre poète est celui contre lequel M. Bonaparte nourrit le plus de haine : c’est de l’animosité personnelle, avivée par la popularité toujours croissante du proscrit. Détesté dans les salons de la noblesse et de la bourgeoisie avant le coup d’État, M. Hugo y a retrouvé tout le terrain perdu. On le considère aujourd’hui comme un des plus énergiques défenseurs du droit et de la vraie liberté, également ennemi du despotisme et de la licence. C’est principalement à cause de M. Hugo que le bruit a été répandu que le gouvernement ne laisserait élire aucun représentant banni à perpétuité. Les bannis à temps sont seuls exemptés de cet ostracisme ».
  84. Piétri, nommé préfet de police en 1852.
  85. Carlier, préfet de police de 1849 à fin novembre 1851 ; M. de Maupas lui succéda.
  86. Pingard, chef du secrétariat de l’Académie.
  87. Musique de Beethoven.
  88. Bibliothèque Nationale.
  89. Bibliothèque Nationale.
  90. Inédite.
  91. Bibliothèque Nationale.
  92. Inédite.
  93. Camille Berru, journaliste, faisait partie de la rédaction de l’Événement en 1851 ; ses opinions lui valurent la proscription, il fut de plus condamné à la déportation, Cayenne l’attendait, il gagna Bruxelles. Charles Hugo, dont il était l’ami, raconta dans Les Hommes de l’exil les luttes de Camille Berru pour gagner sa vie. Il réussit pourtant, après des années de misère, à devenir secrétaire de rédaction à L’Indépendance belge.
  94. Extrait de journal collé sur la lettre.
  95. Bibliothèque Nationale.
  96. C’est le feuilleton sur Diane et Marion de Lorme que nous avons mentionné page 72.
  97. Clément-Janin. Victor Hugo en exil.
  98. Hippolyte Lucas, journaliste et auteur dramatique, adaptateur de plusieurs pièces du théâtre espagnol et traducteur des Nuées d’Aristophane. Très lié avec Victor Hugo, leur correspondance en fait foi, il obtint, en 1842, l’autorisation de tirer de la Légende du Beau Pécopin une féerie : Le Ciel et l’Enfer, qui ne fut représentée que le 23 mai 1853 au théâtre de l’Ambigu Comique ; l’exilé ne fut naturellement pas nommé. Cette féerie n’a d’ailleurs qu’un très lointain rapport avec le Beau Pécopin.
  99. Les correspondants d’Hippolyte Lucas. Les Annales romantiques, juin 1905.
  100. Inédite.
  101. Boichot, représentant du peuple en 1849, participa à l’émeute du 13 juin, ce qui provoqua sa déchéance. Deux écrits socialistes lui valurent des poursuites ; il se réfugia en Suisse d’où il fut expulsé, et passa en Angleterre où il écrivit nombre de brochures socialistes. Il revint en France en 1854, fut arrêté et interné à Belle-Isle. Amnistié en 1859, il s’installa à Bruxelles.
  102. Bibliothèque Nationale.
  103. Inédite, moins six lignes publiées dans le Théâtre inédit. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  104. Extrait de journal collé sur la lettre :
    « Puisque nous sommes en plein scandale, voici cette dédicace :
    à monsieur le comte de morny.
    Monsieur le Comte,

    Voulez-vous accepter la dédicace de cette pièce, dont le succès vous revient de droit. Elle doit d’avoir vu le jour à votre protection que vous m’aviez offerte au mois d’octobre dernier, et qui ne s’est ni arrêtée, ni ralentie, quand vous avez eu l’occasion et le pouvoir de la montrer. C’est un fait assez rare dans l’histoire des protections pour que je le consigne ici avec toute l’expression de ma reconnaissance.
    Recevez, M. le Comte, l’assurance de ma parfaite considération.

    A. Dumas fils.

    «Heureusement pour l’honneur des lettres françaises, Victor Hugo vit en exil, avec Félix Pyat, Lamennais, George Sand sont suspects et menacés. Pierre Dupont et Lachambaudie ont été désignés pour la transportation à Cayenne, Lamartine a protesté, et Beranger au moins se tait. »

  105. Bibliothèque Nationale.
  106. À vingt ans, Noël Parfait fut condamné à deux ans de prison, en 1833, pour avoir, dans un poëme : L’aurore d’un beau jour, plaidé la cause des insurgés de juin 1832. Il entra à La Presse en 1836, fut élu représentant du peuple en 1849 et, comme tel, exilé en 1851. À Bruxelles il fut pris par Alexandre Dumas comme secrétaire. Il rentra en France à l’amnistie de 1859. — C’est par Théophile Gautier que Noël Parfait connut Victor Hugo en 1845. Il lui prouva son dévouement et son admiration. Il revit, avec quel scrupule ! les épreuves des Contemplations et de la Légende des Siècles. Nous avons tracé de leur correspondance jusqu’en 1870.
  107. Bancel, représentant du peuple en 1849, fut proscrit en 1851 et vécut à Bruxelles où il fut professeur de littérature française à l’Université. Élu député de Paris en 1869, il mourut en janvier 1871.
  108. Edgar Quinet, philosophe et historien, vit interdire son cours au Collège de France après ses leçons sur les Jésuites. Élu député en 1848, il fut exilé après le 2 décembre et se réfugia à Bruxelles, puis à Veytaux qu’il ne quitta qu’en 1870 après la chute de l’empire. L’estime que Victor Hugo avait pour Edgar Quinet s’affirme dans le discours qu’il prononça sur sa tombe.
  109. Bibliothèque Nationale.
  110. Le baron Coppens, qui avait participé à la résistance au coup d’État, parvint à gagner la Belgique. Un chapitre de L’Histoire d’un Crime raconte les péripéties de son voyage. Le baron Coppens a été inhumé au Père-Lachaise. On voyait encore, en 1907, l’inscription suivante sur sa pierre tombale :
    {{c|histoire d’un crime.
    Chapitre XV. Fin. — Comment on sortit de Ham.
    Victor Hugo.

    Pas d’autre indication. Le baron Coppens avait voulu associer son nom à celui du grand poëte. Cette inscription a disparu.

  111. Une partie déchirée de la lettre contenait le mot que nous laissons en blanc.
  112. Extrait d’un article collé sur la lettre :
    « Le gouvernement se sent si fort qu’il redoute une allusion. Il est vrai que cette fois l’allusion était terrible.
    Le directeur de la Porte Saint-Martin ayant fait de nombreuses démarches pour obtenir l’autorisation de rendre au public le drame de Lucrèce Borgia, on lui fit entendre qu’avant toute chose, il devait soumettre l’œuvre du grand poète à la censure.
    La censure, entre autres passages, en a retranché celui-ci :
    « J’ai horreur de votre père… qui peuple le bagne de personnes illustres et le Sacré Collège de bandits ! »
    Le drame, même censuré, ne pourra être toléré sur la scène. Chaque représentation serait l’objet d’une ovation au poète proscrit et une protestation contre les proscripteurs.
    La pièce non censurée est dans toutes les mains d’ailleurs, et à chaque passage retranché, l’acteur serait arrêté et la représentation suspendue un instant par des applaudissements trop significatifs. Il n’y a pas de mesure possible dans la compression. »
  113. Mathieu (de la Drôme) socialiste militant, préconisait depuis 1847 le suffrage universel. Il accueillit avec joie la proclamation de la République. Élu en 1848 représentant de la Drôme, il siégea à l’extrême-gauche. Aux élections de 1849, il fut nommé par le département du Rhône, arrêté le 1er décembre 1851, et expulsé. Il passa en Belgique, puis en Suisse, et quand il revint en France, à l’amnistie, il ne s’occupa plus de politique, reprit ses travaux de météorologie et publia une série d’almanachs.
  114. George Sand, après avoir demandé une audience à Louis Bonaparte (lettre du 20 janvier 1852, Correspondance de George Sand), sollicita la grâce de plusieurs condamnés et déportés, elle implora l’amnistie pour tous ; tout en affirmant sa foi républicaine et socialiste, elle se résignait au fait accompli et semblait croire à la bonté, à la loyauté du futur empereur.
  115. Ponsard fut nommé bibliothécaire du Sénat.
  116. Étienne Arago, de 1825 à 1847, écrivit près de cent vaudevilles et comédies et dirigea, de 1830 à 1840, le théâtre du Vaudeville, ce qui ne l’empêchait pas de prendre part aux luttes du parti républicain ; impliqué dans l’affaire du 13 juin 1849, il gagna Bruxelles et fut condamné par contumace à la déportation. Il rentra pourtant en France en 1859, à l’amnistie, et, pendant la durée de l’empire, se consacra à la littérature.
  117. Bibliothèque Nationale.
  118. Romieu, nommé en 1852 directeur des Beaux-Arts.
  119. Louis Desnoyers, journaliste. Promoteur et l’un des premiers présidents de la Société des Gens de lettres, il fonda en 1828 Le Sylphe, collabora au Figaro, au Voleur, au Corsaire, au National, et fut directeur littéraire du Silphe. Il publia plusieurs livres pour la jeunesse ; le plus connu est : Les Aventures de Jean-Paul Choppart.
  120. Bibliothèque Nationale.
  121. Clément-Janin. Victor Hugo en exil.
  122. Bibliothèque Nationale.
  123. Inédite.
  124. Ces dépositions sont publiées dans le Cahier Complémentaire. Histoire d’un Crime, t. 2. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  125. Benvenuto Cellini, drame, fut représenté à Paris le 1er avril 1852.
  126. Bibliothèque Nationale.
  127. Paul Foucher.
  128. Extrait d’un article collé sur la lettre :
    « Bien que l’on ait démenti dans vos journaux la nouvelle de la rentrée prochaine de M. Victor Hugo, je puis de nouveau vous affirmer qu’il en est question. Je ne veux pas dire certainement que M. Victor Hugo soit en instance auprès du prince pour obtenir le rappel du décret de proscription rendu à son égard, mais M. Victor Hugo a, et c’est à son honneur, à Paris de nombreux amis ainsi que des admirateurs qui s’entremettent vivement en sa faveur. Je ne veux pas seulement parler de littérateurs, de collègues de M. Victor Hugo à l’Institut, mais il est bon qu’on sache que parmi les membres du ministère eux-mêmes, parmi nos hauts dignitaires, il en est qui ont épousé chaudement la cause du poète exilé.
    « M. Fortoul, ministre de l’Instruction publique, a été l’un des premiers à s’associer à une pensée de clémence et d’oubli ; M. Billault, qui a des relations d’amitié avec quelques-uns des membres de la famille Hugo, a parlé dans le même sens au président. Enfin la princesse Mathilde elle-même a insisté et insistera encore aussi longtemps que les portes de France ne se rouvriront pas pour l’une des gloires littéraires de notre époque. À présent, je sais bien qu’il dépend de M. Victor Hugo de rendre inutiles ces démarches en déclarant qu’il n’acceptera aucune grâce, mais c’est un fait personnel qui ne changera rien à ce que je vous ai raconté des précédentes dispositions du pouvoir. »
  129. Extrait de journal collé sur la lettre :
    « On nous demande l’insertion de la note suivante :
    M. Victor Hugo ne croit pas qu’il puisse venir à l’idée de personne de faire des démarches quelconques pour amener sa rentrée en France ; dans le cas où, par impossible, de telles démarches seraient faites, M. Victor Hugo les désavoue d’avance ; s’il arrivait que l’autorisation dont a parlé le correspondant de l’Observateur belge fût spontanément signée, elle serait accueillie par le dédain. M. Victor Hugo n’a rien à demander à M. Louis Bonaparte, ni rien à recevoir de lui. »
  130. Freslon, avocat, représentant de Maine-et-Loire, et ministre de l’Instruction publique en 1848 ; non réélu, il n’adhéra point au coup d’État et reprit sa profession d’avocat au barreau de Paris.
  131. Caylus était, au moment du coup d’État, directeur du National. Il se fixa à New-York avec sa famille.
  132. Cet extrait est collé sur la lettre :
    « Aujourd’hui nous rappellerons à propos de M. Lachambaudie une charmante anecdote qu’il nous racontait hier à propos du roi des poètes modernes, qui, si M. Bonaparte se décidait à l’absoudre, ne consentirait pas, lui, à absoudre M. Bonaparte.
    victor hugo à montmartre.

    « Le 29 juillet 1846, j’allai, accompagné de ma famille et de quelques amis, jusqu’au sommet de Montmartre pour admirer sans danger les illuminations et les feux d’artifice consacrés à l’anniversaire de juillet.
    Avant l’heure de la fête, nous parcourions les rues étroites et détournées du Mont des Martyrs, lorsque j’aperçus seul, dans un cabinet de restaurant, Victor Hugo. Aussitôt l’idée me vint de lui adresser quelques vers et nous courûmes vers une auberge où je crayonnai sur un méchant papier bleu, ce qui suit :

    Partout où Victor Hugo passe,
    De son front, de ses yeux, mille rayons dorés
    Sans cesse jaillissant, nous mettent sur sa trace.
    De sa présence, amis, nous sommes honorés :
    Ce soir, Montmartre est le Parnasse !

    pierre lachambaudie.

    Une dame de la compagnie se chargea de remettre ces vers au restaurateur pour les faire parvenir à leur adresse, et elle s’esquiva promptement pour éviter d’être vue. Deux jours après, mon concierge me donna trois volumes intitulés : Lettres sur le bord du Rhin avec une lettre ainsi conçue :

    Monsieur,

    Vous m’avez envoyé cinq louis d’or ; je vous rends trois gros sous. Vous n’en ferez jamais d’autres, monsieur ! Vous donnerez au monde votre âme avec sa foi, et vous recevrez en échange l’indifférence, vous lui donnerez de beaux vers et il vous rendra de la prose, c’est ce qui vous arrive aujourd’hui.
    Agréez, etc.

    victor hugo.

    Je lui répondis sur-le-champ par le quatrain suivant :

    Maître, vous vous trompez au sujet de mes rimes ;
    Excusez si je vous reprends :
    Vous avez reçu cinq centimes,
    Moi, trois billets de mille francs. »

  133. Benvenuto Cellini.
  134. Bibliothèque Nationale.
  135. François-Victor priait son frère d’obtenir pour lui une mensualité de 50 francs.
  136. Publiée en partie dans Mes fils. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  137. Nefftzer, journaliste, devint directeur politique de La Presse ; il fonda, en 1861, Le Temps, dont il fut le rédacteur en chef jusqu’en 1871.
  138. Bibliothèque Nationale.
  139. 14 avril 1852. Arsène Houssaye, administrateur de la Comédie-Française, avait demandé en 1852 à Théophile Gautier des vers pour l’anniversaire de Corneille. Alexandre Damas, dans La Presse du 11 avril 1852, raconta comment Gautier, autrefois, avait écrit des vers sur le même sujet d’après le plan que lui avait fourni Victor Hugo. — La censure interdit alors la récitation des vers de Théophile Gautier à la Comédie-Française.
  140. Archives Spoelberch de Lovenjoul.
  141. En apprenant qu’il était « gracié », François-Victor écrivit, le 16 avril, au directeur du Siècle une lettre dont le catalogue Charavay donne cet extrait :
    « ... La situation faite à mon père, faite à mon ami Paul Meurice, qui expie encore sous les verrous la responsabilité d’un article signé de moi seul, m’empêche d’accepter une grâce que je n’ai provoquée en aucune façon. »
  142. Actes et Paroles. Pendant l’exil. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  143. Mme Victor Hugo avait écrit à son mari : « J’ai reçu une lettre du vieux roi Jérôme afin d’aller aux soirées qu’il donne au petit Luxembourg... Il ne faut pas en vouloir à ce pauvre bonhomme. Il nous aime. Il voudrait arriver par moi à la conciliation. Il est heureux. Il voudrait que tout le monde s’embrasse et mange avec lui ses millions. » — Gustave Simon. La Vie d’une femme.
  144. Bibliothèque Nationale.
  145. Inédite.
  146. Martin (de Strasbourg), avocat, fut élu représentant du Bas-Rhin en 1848. Partisan du général Cavaignac, il combattit la politique de Louis Bonaparte. Non réélu à l’Assemblée législative, il ne fut pas compris dans le décret d’expulsion ; après le coup d’État, il vendit sa charge d’avocat au Conseil d’État pour ne pas prêter serment à l’empereur.
  147. François-Victor avait été libéré presque de force sur l’intervention de Napoléon Bonaparte, cousin de l’empereur et ami de la famille Hugo, qui avait cru être agréable à Mme Victor Hugo en faisant gracier son fils. (Voir Actes et Paroles, Pendant l’exil. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale).
  148. Paul Foucher.
  149. Glésinger, peintre et sculpteur, connut de grands succès. Le buste de Mme Victor Hugo faisait partie de la collection Lefèvre-Vacquerie.
  150. Bibliothèque Nationale.
  151. Le général Lamoricière, après s’être brillamment distingué en Algérie, fut appelé au ministère de la Guerre le 24 février 1848 ; mais le même jour la République était proclamée : royaliste, il refusa le pouvoir. Pourtant, élu à l’Assemblée constituante, il fut nommé ministre de la Guerre par Cavaignac, mais il donna sa démission le 20 décembre suivant dès que Louis Bonaparte fut président de la République. Vice-président de l’Assemblée législative, il fut arrêté le 2 décembre 1851, enfermé à Mazas, puis à Ham, enfin expulsé ; il fut rayé des cadres de l’armée, ayant refusé de prêter serment ; il revint en France après avoir combattu, en 1859, pour le gouvernement pontifical.
  152. Suivent deux extraits sur la mise en liberté de Pierre Dupont, la dédicace d’Alexandre Dumas fils à M. de Morny en publiant La Dame aux Camélias et la place de bibliothécaire de l’Institut acceptée par F. Ponsard. Le deuxième article est terminé ainsi : « Victor Hugo n’a rien à accepter du vainqueur de la civilisation. Il maintient dans l’exil l’honneur des lettres françaises ».
  153. Bibliothèque Nationale.
  154. Auguste Vacquerie achevait le 8 mai les six mois de prison auxquels il avait été condamné pour avoir publié dans L’Avènement du 19 septembre 1851, la lettre ouverte que lui avait adressée Victor Hugo.
  155. Le 10 mai, il y eut au Champ-de-Mars une fête militaire : remise à l’armée des aigles bénies par le clergé, distribution des drapeaux, messe et procession.
  156. Bibliothèque Nationale. Lettre insérée dans le volume de G. Bertal. Auguste Vacquerie.
  157. Inédite.
  158. Peltier fut poursuivi pour outrages au premier consul dans un article publié à Londres en 1802.
  159. Baze, représentant du peuple depuis 1848, opposa une résistance acharnée lors de son arrestation en décembre 1851 ; il était alors questeur et fut exilé. Il rentra en France en 1859 et reprit sa profession d’avocat. Élu en 1871 par le Lot-et-Garonne, il fut de nouveau nommé questeur.
  160. Article collé contenant la lettre du général Changarnier rappelant ses états de service et refusant le serment.
  161. Les Mystères du 2 décembre.
  162. Bibliothèque Nationale.
  163. Victor Foucher.
  164. Bibliothèque Nationale.
  165. Mme Victor Hugo avait passé quelques jours à Bruxelles, à partir du 24 mai.
  166. Publiée en partie dans l’Histoire d’un crime. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  167. Il avait été décidé qu’on vendrait le mobilier.
  168. Trouvé-Chauvel.
  169. Cet acte est publié dans le troisième volume de théâtre, Édition de l’Imprimerie Nationale, et a été joué pour la première fois au théâtre Sarah Bernhardt, lors de la reprise d’Angelo, le 7 février 1905.
  170. Commissaire-priseur chargé de la vente.
  171. Bibliothèque Nationale.
  172. Inédite.
  173. Paul Foucher.
  174. Un mot se trouve dans la partie déchirée de la lettre.
  175. Trouvé-Chauvel.
  176. Bibliothèque Nationale.
  177. Inédite.
  178. La lettre de Victor Hugo s’arrête là ; la seconde page manque. — Bibliothèque Nationale.
  179. Inédite.
  180. Lettre de M. Leclanché à Charles Hugo réclamant le paiement de billets souscrits, et menaçant de faire opposition à la vente des meubles de Victor Hugo dans lesquels, ajoute-t-il, sont compris vos meubles et tableaux. Victor Hugo a souligné lui-même cette ligne. M. Leclanché demande un mot de Victor Hugo pour le commissaire-priseur Ridel, l’autorisant à lui remettre 400 francs sur la vente.
  181. Cette portière est à la Maison de Victor Hugo.
  182. Bibliothèque Nationale.
  183. Journal des Débats, 7 juin 1852.
  184. Clément-Janin. Victor Hugo en exil.
  185. Inédite.
  186. La Presse, 7 juin 1852.
  187. Éditeur des Œuvres illustrées de Victor Hugo vendues en livraison à 20 centimes.
  188. Bibliothèque Nationale.
  189. Inédite.
  190. Hetzel.
  191. Adolphe Dumas, poète provençal, fut chargé sous l’empire de rechercher les vieux chants populaires provençaux, il fut un des plus ardents promoteurs du félibrige ; il fit représenter quelques pièces et publia plusieurs poésies provençales. Après le départ de Victor Hugo pour l’exil, il fit à propos de la vente des meubles de beaux vers qu’il envoya à l’exilé.
  192. Bibliothèque Nationale.
  193. Bibliothèque Nationale.
  194. Clément-Janin, Victor Hugo en exil.
  195. Inédite.
  196. Bibliothèque Nationale.
  197. « Ces rigueurs excessives ne rendent guère vraisemblable l’amnistie que vous annoncez. D’ailleurs serait-ce une amnistie que cette grâce humiliante et conditionnelle dont parle un de vos correspondants ? Les fourches caudines n’ont jamais passé pour un acte généreux. Ne serait-ce pas en outre une plaisanterie que de proposer à des hommes qui ont l’âge de raison de rentrer à des conditions qui ont déjà été offertes à tous les exilés et qu’ils ont tous repoussées ? Est-ce le général Changarnier, ou le général Lamoricière, ou le colonel Charras, ou M. Victor Hugo, ou M. Thiers qu’on suppose ainsi convertis à d’autres sentiments et disposés à se soumettre ?
    En vérité, n’est-ce pas calomnier gratuitement des gens dont la situation est digne de respect et mérite les égards de tous les écrivains que de les croire capables d’une pareille lâcheté ? »
  198. « Les correspondances de Paris sont pleines chaque jour des bruits attentatoires à l’honneur de Victor Hugo, que le jésuitisme bonapartiste continue à représenter comme prêt à accepter de M. Napoléon quelque chose que celui-ci appelle une grâce. Si M. Bonaparte demande à amnistier Victor Hugo, nous savons que Victor Hugo n’amnistie point le traître qui a violé la République. M. Bonaparte peut avoir obtenu par la ruse et la force brutale un triomphe qui lui permette aujourd’hui d’offrir des grâces aux défenseurs du droit outragé. Il n’a pas le pouvoir de faire que les représentants du peuple proscrits ne restent ses juges au sein de la proscription. Les bruits bonapartistes relatifs à Victor Hugo partent de trop bas pour qu’il y ait pour l’orateur de la Montagne nécessité d’une nouvelle protestation. Le souverain mépris de Victor Hugo y a de longtemps répondu. Que si une nouvelle réponse est nécessaire, nous pouvons annoncer qu’elle ne se fera pas attendre. Elle paraîtra bientôt sous forme d’un livre où est imprimée la sentence de celui qui voudrait amnistier l’historien et le juge. Ce livre s’appelle : Napoléon-le-Petit.
  199. Bibliothèque Nationale.
  200. Erdan avait été, en 1851, acquitté lors du procès de L’Événement, mais il avait juge prudent de quitter la France après le coup d’État.
  201. Bibliothèque Nationale.
  202. Inédite.
  203. Bibliothèque Nationale.
  204. Inédite.
  205. François-Victor avait une liaison et ne se décidait pas à quitter Paris.
  206. Bibliothèque Nationale.
  207. Madier de Montjau, avocat, républicain ardent, fut élu député de Saône-et-Loire en 1850 ; proscrit lors du coup d’État, il se réfugia en Belgique.
  208. Brives, élu représentant de l’Hérault en 1848, fut porté par ce département comme candidat de la République démocratique et sociale. Réélu en 1849, il combattit activement la politique de Louis Bonaparte. Exilé en 1851, il gagna Bruxelles et y fit le commerce des vins. Il ne rentra en France qu’après le 4 septembre 1870 ; mais ayant pris part à la Commune, il fut arrêté ; il parvint à retourner à Bruxelles, et rentra en France à l’amnistie de 1879.
  209. Valentin, représentant du Bas-Rhin à l’Assemblée législative, combattit énergiquement la politique de l’Élysée ; arrêté le 2 décembre 1851, il fut expulsé, se retira en Angleterre et ne revint en France qu’en 1870. Nommé préfet du Bas-Rhin, il organisa des expéditions de francs-tireurs et fut fait prisonnier. À l’armistice, il fut libéré et devint préfet du Rhône.
  210. Agricol Perdiguier, compagnon menuisier, républicain socialiste, élu député de la Seine en 1848 et 1849, s’associa à toutes les mesures de clémence envers les insurgés. Quand vint le coup d’État, ses protestations violentes le firent arrêter, emprisonner, et enfin exiler ; d’abord réfugié en Belgique, il passa en Suisse où il publia les Mémoires d’un compagnon. Il rentra en France en 1857 et s’y établit libraire.
  211. Gaston Dussoubs, avocat, fut en 1842, à Poitiers, un ardent propagandiste de l’idée républicaine. Élu représentant de la Haute-Vienne en 1849, il combattit la politique de Louis Bonaparte. Bien que n’ayant pu prendre part à la résistance au coup d’État, il était malade au lit, il fut néanmoins proscrit. À peine remis, il passa en Belgique, et revint mourir en France en 1856.
  212. Buvignier, avocat, fut poursuivi sous Louis-Philippe comme affilié aux sociétés secrètes : Les amis du peuple et les Droits de l’homme. Représentant du peuple en 1848, il s’associa à toutes les propositions de la minorité républicaine. En 1850 il fut condamné à un an de prison. À sa libération, il reprit sa lutte contre le prince-président, fut expulsé au 2 décembre et condamné à la déportation à Cayenne. Il partit alors pour Bruxelles d’où il ne revint qu’en 1860, après l’amnistie.
  213. Besse, républicain démocrate socialiste, fut élu représentant du peuple en 1849, siégea à la Montagne et fut expulsé pour avoir protesté contre le coup d’État.
  214. Eugène Courmeaux, journaliste, conservateur de la Bibliothèque et des Archives de Reims, fut arrêté et emprisonné pour avoir protesté contre l’expédition de Rome en 1849, puis relâché, mais destitué. Pressentit et combattit le coup d’État du 2 décembre dans des articles qui le firent condamner à un an de prison et 2 000 fr. d’amende. Il se réfugia à Bruxelles.
  215. Arsène Meunier, journaliste, membre du comité socialiste. Enfermé à Bicêtre, à Mazas, puis condamné à dix ans de Lambessa. Sa peine fut commuée, à la demande de Béranger, en exil.
  216. Bibliothèque Nationale.
  217. Éditeur belge de Napoléon-le-Petit.
  218. Album d’autographes donné par Mme Victor Hugo à Mme Ch. Asplet. — Archives Spoelberch de Lovenjoul.
  219. Inédite.
  220. Communiquée par M. Jacques Sévoz, petit-neveu de Madier de Montjau.
  221. Victor Hugo devait à Gosselin, d’après un traité de 1831, un roman en deux volumes.
  222. Delangle, procureur général en 1847 ; après le coup d’État, il devint membre de la commission consultative ; en 1858, ministre de l’Intérieur, il fut enfin en 1859, ministre de la Justice.
  223. Baroche, avocat, devint en 1848 procureur général, puis ministre de l’Intérieur ; partisan et courtisan de l’empire, il fut président du Conseil d’État. Il donna sa démission en 1869 et se réfugia à Jersey en 1870.
  224. Ces noms ont été ajoutés au chapitre : Les autres crimes.
  225. Collection Jules Hetzel. Publiée en partie dans Napoléon-le-Petit. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  226. La troisième page de cette lettre porte en effet cette dédicace :
    Hommage et souvenir à Madame Luthereau.
    Victor Hugo.
    Jersey, 15 août 1852.
  227. Archives de la famille de Victor Hugo.
  228. Bibliothèque Nationale.
  229. Inédite.
  230. Napoléon-le-Petit.
  231. Communiquée par la librairie Cornuau. Collection de M. Pol Neveux.
  232. Inédite.
  233. Inédite.
  234. Napoléon-le-Petit.
  235. Quelques mots illisibles.
  236. Communiquée par Mlle Bouyer-Karr.
  237. Mme de Girardin avait écrit le 4 septembre, anniversaire de la mort de Léopoldine.
  238. Marguerite ou les deux amours.
  239. Archives de M. L. Détroyat.
  240. Inédite.
  241. Deux mots raturés.
  242. Sur environ cent adhérents, les malades seuls étaient absents.
  243. Communiquée par M. Jacques Sévoz, petit-neveu de Madier de Montjau.
  244. Cette loi fut votée le 20 décembre 1852. Elle décrétait des poursuites contre les écrivains qui attaquaient les princes. Victor Hugo tombait sous le coup de cette loi.
  245. Les Châtiments. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  246. Publiée en partie dans Les Châtiments. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale.Collection Jules Hetzel.
  247. Hetzel lui avait écrit : « J’aime mieux les Vengeresses que le dernier titre : Le Chant du Vengeur. Il faut que le titre, que son idée soit impersonnelle. C’est vous qui semblez ce vengeur et non votre livre. Je disais : Rimes vengeresses parce que le mot Vengeresses tout court donne le change sur le but du livre. Cela a l’air de dire Charlotte Corday, Jeanne d’Arc, Judith et toutes les héroïnes qui ont pour but de venger. Les Orientales et autres ne peuvent offrir un double sens. Le Chant du Vengeur tombe tout à fait dans cet inconvénient.
  248. Lettre d’Hetzel : « Nous ferons des épreuves sur papier mince. Nous les enverrons par la poste comme des lettres en les affranchissant si vous ne pouvez vous passer de les revoir, ce que Dumas, Deschanel et moi pouvons faire cependant ».
  249. Les Châtiments. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale.Collection Jules Hetzel.
  250. Correspondance entre Victor Hugo et Paul Meurice.