Correspondance de Victor Hugo/1859

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1859.


À Auguste Vacquerie[1].


6 mars [1859]. Hauteville-House.

Vous ne vous doutez pas d’une chose, cher Auguste, c’est qu’à mesure que les Petites Épopées grandissent, votre objection contre ce titre grandit avec elles ; elle me revient à chaque instant. Ce livre débordera évidemment deux volumes ; je ne fais que le commencer, je le continuerai ; il contiendra le genre humain ; il sera la Légende humaine. Eh bien, que diriez-vous de ce titre :

v. h.
LA LÉGENDE HUMAINE.
première série.
 T. I.           T. II.

et quelques mots de préface expliquant.

Aimeriez-vous mieux :

LA LÉGENDE ÉPIQUE DE L’HOMME.

Il y a avantage à introduire le mot épique ; mais inconvénient à allonger le titre. Enfin hors de ces deux titres (le premier me séduit fort) il y aurait :

v. h.

ÉBAUCHES ÉPIQUES.

Mais la modestie dans le titre, c’est de la prétention. Objection à peu près la même qu’aux petites épopées.

Première série a un avantage, c’est que je pourrai ajourner bien des choses du temps moderne ou présent, impossibles à publier en ce moment. Donnez-moi votre avis sur toutes ces petites questions. Vous savez comme je prise haut tout ce qui vient de vous. — Du reste, le livre monte, surgit, et me satisfait. Je n’écris pas à notre cher Meurice en ce moment, car je le sais dans le tourbillon. Dites-lui que jeudi Guernesey boira à la santé du Maître d’école[2] sous ses deux espèces : Paul Meurice et Frédérick Lemaître.

Quant à la vôtre, elle a été portée par moi, vous le savez, n’est-ce pas ? le 24 février ; j’ai bu à votre gloire, ce qui est, certes, boire à votre santé. Je vous vois d’ici dans l’aube d’un immense succès dramatique. Paris finit toujours par payer ses dettes.

Remerciez pour moi, je vous prie, votre neveu[3] pour les quelques lignes si affectueuses et si pénétrées qui terminent son excellent article sur Victor, et pour tout l’article, félicitez-le, je vous prie. Il a de votre sang, ce neveu-là. Seriez-vous assez bon pour prier Meurice de me réabonner à Lamartine (dès qu’il aura un moment) à partir du 1er janvier. J’ai tiré sur lui 40 f., il y a huit jours. Je pense que le bon lui a été présenté.

Profond serrement de main à vous et à lui. Mes respects à Mme Vacquerie et à Mme Lefèvre.

Voici douze lettres. Voulez-vous faire jeter à la poste les cinq qui ont les adresses et faire remettre les sept autres aux destinataires que vous voyez souvent pour la plupart[4].


À Paul Meurice[5].


Mercredi soir [Mars 1859].

Je reçois votre lettre. Par où commencer ? Par la joie. Quel bonheur ! encore un triomphe pour vous ! encore une consolation pour nous ! Tout Guernesey palpite de l’immense bravo de Paris. Cher poëte, après la comédie le drame ; vous mettez votre couronne sur les deux grands masques du théâtre. Si, comme je n’en doute pas, tous ceux qui ont ri à Fanfan la Tulipe vont pleurer au Maître d’école, vous voilà sur l’affiche pour six mois. Continuez. Ne vous lassez pas de vaincre. Vous triomphez doublement, au profit de la révolution littéraire et du progrès social. Que Frédérick a dû être beau ! Félicitez-le de ma part. Je le remercie comme pour Ruy Blas.

Puisque je remercie, je reviens à vous. Que vous êtes bon et charmant ! Encore 100 francs pour notre pauvre caisse[6]. Je vous envoie la reconnaissance de tous. Vous êtes aussi populaire à Guernesey que devant la rampe, cette rampe splendide où vous allumez des étoiles. Nos amis vous remercient avec le cœur. 200 francs en trois mois ! c’est plus que le reste de la France ne nous donne en trois ans.

Ceci n’est qu’un bravo et un merci. Je répondrai à votre lettre bientôt.

V[7].


À Hetzel[8].


20 mars 1859.

Je travaille à force, que vous dire de plus ? Le livre est-il fini ? Oui et non. Il y a encore l’essentiel à faire. Le livre grandit et gagne, je crois. La guerre me fait moins peur qu’à vous. Mes livres ont toujours paru à contre-temps ; Les Feuilles d’Automne le jour de l’insurrection de Lyon, Notre-Dame de Paris le jour du sac de l’archevêché, Marion de Lorme avait à sa porte deux émeutes par semaine. On enjambait une barricade pour venir faire queue. Cependant il vaudrait mieux paraître en temps paisible, j’en conviens. Mais comment s’y prendre ? n’est-il pas déjà trop tard ?

Je me suis toujours peu préoccupé du quart d’heure où je publiais un de mes livres. Le succès de la minute ne m’importe pas ; quand les ouvrages d’un homme sont consciencieux, la vente de tous finit toujours par s’équilibrer. Il y aura la guerre, soit ! eh bien, on attendra l’automne ou le printemps

prochain[9].
À Auguste Vacquerie[10].


[27 mars 1859].

Merci, cher Auguste, de votre excellente lettre. Vous m’écrivez, et Meurice aussi, tout ce que je pense ; nous penchons donc tous les trois du même côté. Ce que vous me dites de la nécessité que chaque série soit comme un abrégé du livre entier et embrasse autant le présent que le passé, est tout à fait mon avis, et la veille de l’arrivée de votre lettre, je disais en famille presque dans les mêmes mots tout ce que vous m’écrivez. Seulement l’avantage de la division en séries sera de me permettre l’ajournement de ce qui serait trop révolutionnaire pour être publié à Paris en ce moment. J’hésite entre :

La Légende de l’Homme
ou
La Légende des Siècles.

Les deux titres sont beaux. Si Hetzel y tient absolument, on pourrait intituler la première série : les petites épopées ; la grandeur du titre général ôterait tout inconvénient. Qu’en dites-vous ? Qu’en dirait Paul Meurice ? Je vais bientôt lui écrire. En attendant, soyez assez bon pour lui lire ce petit mot. À quand Souvent Homme varie ? Il me semble que nous entendrons les bravos d’ici. Nos oreilles sont tendues vers Paris.

Voulez-vous faire remettre ces deux lettres : Vitet et Lucas. — Merci. — Pardon.

À vous.


À Ludovic Vitet[12].


Hauteville-House, 27 mars 1859.
Mon honorable et cher confrère,

Permettez qu’au nom des absents je vous remercie de la manière délicate et noble dont vous prenez la défense des absents[13]. Il n’y avait point d’attaque sérieuse à la vérité, mais il y avait lieu peut-être à quelques paroles de bon goût, et personne plus que vous n’a dans l’esprit et dans le cœur ce qu’il faut pour les dire. J’ai été pour ma part d’autant plus touché de ce que vous avez fait là, qu’il y a entre vous et moi de profonds dissentiments littéraires et politiques. Ces dissentiments n’ont point altéré ma vieille amitié pour vous et je suis heureux que vous me donniez une occasion de vous le dire.

Recevez, je vous prie, mon cordial serrement de main.

Victor Hugo[14].


À Hetzel.


Dimanche 3 avril 1859.

Je commence par vous dire que votre lettre est charmante et votre colère la plus cordiale et la plus gracieuse du monde, et que moi, le tyran, je ferai ce que vous voudrez. Cela posé, précisons bien, et pesez les quelques points que voici :

1° En faisant toute diligence, je ne pourrai guère vous remettre le manuscrit avant trois semaines, fin avril. Quand commenceriez-vous d’imprimer ?

2° Tout de suite sans doute. Mais en faisant vous aussi toute diligence, ne vous faudrait-il pas au moins six semaines ? Plus les quinze jours d’appoint pour l’imprévu ? Nous voilà en juillet. Ceci est le plus tôt possible.

3° Vous convient-il de paraître en juillet ? Quant à moi, cela m’est absolument égal. Je vous ai déjà dit mon indifférence pour ce qu’on appelle bon et mauvais moment. Et je vous ai dit les faits qui m’ont amené à cette indifférence. Mais vous, vous tenez, je crois, à telle saison plutôt qu’à telle autre.

Vous me disiez, à votre dernière visite, qu’il y a deux saisons excellentes en librairie, le printemps et l’automne. En ce cas, ne vaudrait-il pas mieux attendre deux mois ? (à partir de juillet, il ne faut plus que deux mois pour atteindre l’automne).

Décidez ces diverses questions.

Si vous dites : tout de suite, vous aurez le manuscrit à toute vitesse. Je ne crois pas que cela puisse être avant fin avril. Et encore, certaines parties seront inachevées, qu’il faudra terminer pendant l’impression.

Si vous dites : à l’automne, j’achèverai plus à loisir. Voilà tout. C’est-à-dire, je mettrai dans le livre tout ce que je veux y mettre.

Du reste, comme je vous l’ai écrit, ce qui ne passera pas maintenant viendra plus tard. L’idée a porté tous ses fruits dans mon cerveau. J’ai dépassé les Petites Épopées. C’était l’œuf. La chose est maintenant plus grande que cela. J’écris tout simplement l’Humanité, fresque à fresque, fragment à fragment, époque à époque. Je change donc le titre du livre, le voici :

LA LÉGENDE DES SIÈCLES
par
v. h.

Ceci est beau et vous frappera, je pense. Sous ce titre nous mettrons : première série. Cette première série aura deux volumes, et plus tard, les autres suivront. L’ensemble, je crois, sera neuf et saisissant. À la rigueur, et si vous y tenez absolument, nous ressaisirons le titre que j’abandonne de la façon que voici :

LA LÉGENDE DES SIÈCLES
par
v. h.

Première série : Les Petites Épopées.
T. I. — T. II.

Mais je hais les doubles titres. Je vous ai expliqué pourquoi. Cela fait vaciller l’idée du livre dans l’esprit du lecteur. Ensuite cela obligerait presque à mettre des titres spéciaux (en sous-titre) aux séries ultérieures. Pesez tout cela. Les autres séries sont déjà très ébauchées. Une est presque finie. Le tout, je crois, ne sera pas sans quelque grandeur. C’est l’histoire vue par l’angle épique.

À vous. Ex imo corde[15].



À Charles.


Hauteville-House, 14 mai [1859].

J’ai tes deux lettres, elles me vont au cœur. Amuse-toi bien, mon bon petit Charles, voilà ce que je te demande ; que ta mère et ta sœur s’amusent côte à côte avec toi ; que tout ce grand morceau de mon cœur qui est là-bas soit heureux ; cela me rendra heureux ici.

Après votre départ, j’ai été sur l’Esplanade et sur la route de Saint Sampson et j’y suis resté jusqu’à la disparition de votre fumée à l’horizon. Nous voici maintenant, Victor et moi, faisant ménage à deux le plus doucement et le plus tendrement que nous pouvons dans notre désert. Après le dîner, nous jouons au billard une heure ou deux ; Victor me rend vingt-cinq points : il n’a encore réussi qu’à me gagner un sou.

Le soir de ton départ, j’ai dîné avec Lux ; elle était un peu triste, mais douce, et cherchant les caresses dont elle était accablée. Je passe toutes mes soirées avec elle, et nous dînerons ensemble deux fois par semaine, le mercredi et le dimanche. Elle me fait des tendresses inouïes quand elle me voit, comme si elle te sentait dans moi.

Voici une lettre de Mme Colet pour ta mère. Si ta mère ne l’a déjà fait, il est important qu’en lui écrivant, elle lui fasse comprendre que ces deux dames ne peuvent loger à la maison, si elles viennent en même temps que Julie et son mari, la maison ne pouvant loger plus de deux personnes en dehors de nous. Fixe bien, je te prie, l’attention de ta mère sur ce point essentiel.

Avec la lettre de Mme Colet, je vous envoie six feuilletons sur Auguste, entre autres Janin. Le succès est aussi vif qu’il est juste. J’ai écrit à Vacqueric pour le reféliciter.

Hetzel m’a écrit réclamant le deuxième volume, vite, vite, vite. Ce nonobstant, j’irai peut-être passer quelques jours à Serk pour prendre les notes du roman futur. J’ai demandé à Victor s’il voulait venir, son travail l’en empêche ; du reste il me proteste que son travail l’empêchera aussi de s’ennuyer pendant mon absence. Si je pars, ce sera la semaine prochaine. Nous avons ici un admirable temps, ce qui me fait penser, et j’en suis joyeux, que vous avez beau temps à Londres.

Mon Charles bien-aimé, je te recommande de nous oublier là-bas ; moi je pense à toi, si tendre, si doux, si bon, et au beau livre que tu vas ébaucher à Londres. Toi, ne pense pas à nous ; je veux ta joie et non ta tristesse ; travaille un peu, amuse-toi beaucoup. Je dis la même chose à ta mère et à ta sœur. J’attends leur lettre, et je ne fais de vous trois qu’une bouchée ou qu’un baiser. Dans moins d’un mois nous serons ensemble.

Amitiés à tous ceux qui sont nôtres[16].


À Madame Victor Hugo[17].


Mardi 24 [mai 1859].

Chère amie, Charles nous est arrivé ce matin. Nous avons passé la matinée à parler de toi et d’Adèle. Londres a ennuyé Charles, mais ne produit pas le même effet sur vous, et je suis charmé que ce voyage vous ait donné la distraction que vous en attendiez. Je suis en proie à un mal de tête assez tenace.

Je vais essayer de quelques jours de Serk. Nous partons après-demain jeudi. J’ai reçu aujourd’hui les premières épreuves de La Légende des Siècles. Et à ce sujet Hetzel m’écrit pour me prier de prier Vacquerie d’une chose dont je te prie à mon tour. Voici le fait : Il importe à Hetzel, pour ses combinaisons d’affaires, que les libraires et éditeurs de Paris me croient encore très indécis sur le moment ou je publierai « La Légende des Siècles » et refusant (moi) de livrer immédiatement le manuscrit à Hetzel. Or Auguste, sans le vouloir, a détraqué cela. Il a dit à Michel Lévy que j’avais envoyé le premier volume à Bruxelles. De là plusieurs inconvénients pour Hetzel. Il serait à désirer qu’Auguste trouvât moyen de revenir là-dessus le plus tôt qu’il pourra, et de dire au même Michel Lévy, qu’il s’était trompé, que je continue d’être indécis, que je n’ai envoyé qu’une partie du premier volume et qu’Hetzel, qui me presse, n’est pas tranquille. Voilà les propres paroles qu’Hetzel désire et que je transcris dans sa lettre. Transmets-les à Auguste, qui dans sa sagesse avisera. Envoie-moi par la poste un numéro du Nord qu’Auguste t’a adressé pour me le renvoyer. C’est lui-même qui me l’écrit. Ce numéro contient un article de M. de Pène sur Auguste, et il veut que je le lise, cet article me concernant beaucoup. Je te recommande de ne pas oublier cet envoi.

Charles me dit que tu te renfermeras strictement dans l’argent que je t’ai remis pour ton voyage et que tu ne le dépasseras pas d’un sou, mais que tu économises le plus que tu peux pour pouvoir rester à Londres quelques jours de plus que le mois. Dans ces termes-là, je n’y ferais pas d’objection. Seulement, chère amie, renferme-toi bien en effet dans ton petit budget tel que nous l’avons fixé. — Tu sais ma gêne actuelle que viennent encore augmenter les achats désirés et recommandés par Charles. — Dieu aidant nous nous en tirerons, mais le moment actuel est étroit.

Je t’embrasse, chère bonne amie ; j’embrasse ma petite Adèle bien-aimée.

Amusez-vous toutes les deux, et revenez-nous bien contentes. Remercie de ma part madame Milner Gibson de toutes ses charmantes bonnes grâces pour vous deux[18].


À Noël Parfait.


Serk, 29 mai [1859].

Je suis à Serk ; de là le retard de cette réponse, cher Parfait. Je suis dans un pays sauvage où l’affranchissement du genre humain est à peine entrevu, et où l’affranchissement des lettres est inconnu. Ceci dit, je passe à vos observations. Vous avez à la fois tort et raison pour toute Rome. L’e euphonique corrige la règle de tout, sans l’accord. On dit une femme toute nue, une porte toute grande ouverte, etc. En somme, comme toute Rome est disgracieux, je mets : Où croulait Rome entière[19].

N’y a-t-il pas des étoiles indiquant des séparations dans Booz endormie ? Vérifiez. Je n’ai point là le manuscrit. S’il y a des étoiles, mettez-en en augmentant le blanc, là où elles sont. Cher Parfait, c’est admirablement corrigé et je vous remercie. Cependant, il faudra remanier le tout (voyez l’observation au bas de la première page). Et les étoiles de Booz (si Booz est, en effet, étoilé) feront encore du recul. Veillez, je vous prie, à ce que ce recul n’entraîne aucun écroulement et aucun désastre. Plein de confiance en vous, mon cher

alter ego, je donne le bon à tirer[20].
À Jules Simon[21]


Hauteville-House, 25 juin [1859].

Monsieur, votre beau livre, La Liberté, a mis beaucoup de temps à m’arriver et j’ai mis beaucoup de temps à le lire et à le méditer. Ne vous étonnez donc pas si j’ai tant tardé à vous remercier. Je ne m’en excuse point. Cette lenteur importe peu. Des ouvrages comme les vôtres sont patients parce qu’ils sont durables.

C’est presque un code que vous avez écrit là. Il y a d’un bout à l’autre un vrai souffle de législation.

Je ne suis pas d’accord avec vous sur tous les points. Mais nos dissidences sont rares, et il m’est arrivé bien des fois d’avoir en vous lisant cette sorte de surprise et de ravissement qu’on éprouve devant sa propre pensée intime admirablement dite par un autre. Votre chapitre sur la propriété est en particulier une de vos pages les plus profondes et les plus décisives. C’est un grand don, et vous l’avez, que de fortifier l’idée irréfutable par le style entraînant. Ces deux volumes, où l’histoire est si puissamment appelée au secours de la philosophie et le fait au secours de l’idéal, prendront place, monsieur, parmi vos plus belles œuvres. Vous avez choisi la grande heure pour défendre la Liberté. Il n’y a pas de plus beau moment que la nuit pour glorifier la lumière.

Trouvez bon, monsieur, que je vous serre cordialement la main.

Victor Hugo[22].
À Adèle Hugo, à Londres.


21 juillet 1859.

Tu te trompes, chère enfant, un sourire et un embrassement de toi me sont plus doux que toutes les fleurs d’ici-bas et tous les rayons de là-haut. Il me tarde bien de vous revoir, ta mère et toi ; c’est une triste fête que ma fête aujourd’hui ; l’an passé, la maladie ; cette année, l’absence.

Enfin, pourvu que vous reveniez toutes deux bien portantes, je trouverai tout bien arrangé par le bon Dieu. Mais vous avez mal choisi le moment de votre villégiature ; on me dit de tous les côtés que la Tamise empeste et empoisonne Londres en été ; les journaux sont pleins de détails hideux sur le curage qu’on a été forcé d’interrompre. Dépêchez-vous donc de sortir de ce typhus.


À Paul Meurice[23].


29 juillet [1859].

Je le crois bien qu’il faut toute âme. Quelle bonté et quelle tendre déférence vous avez de discuter cela ! C’eût été tout bonnement une grosse faute. La recommandation de Hetzel serait dangereuse si elle allait jusqu’à protéger de telles bévues. Voici de quoi il est question (mais d’abord, cher et admirable ami, il faut que je vous dise combien je suis heureux que vous soyez content. Vous êtes cinq ou six qui êtes pour moi les étoiles du succès. Je crois en effet qu’il y a quelque chose dans ce livre. Maintenant je ferme la parenthèse, et je viens à l’affaire correction d’épreuves). J’ai en effet un peu mon orthographe et ma ponctuation. Tout écrivain a la sienne, à commencer par Voltaire. L’intelligence de l’imprimeur est de respecter cette orthographe qui fait partie du style de l’écrivain. Ainsi j’écris lys et non lis. Je vous ai déjà dit pourquoi. Les correcteurs ont deux maladies, les majuscules et les virgules, deux détails qui défigurent ou coupent le vers. Je les épouille le plus que je peux. Les correcteurs ordinaires ne se doutent pas qu’un vers n’a pas la même physionomie qu’une ligne de prose, et que cette physionomie, gâtée quelquefois par une grosse lettre intempestive, doit être en quelque sorte étudiée vers à vers. Vous pouvez lire ceci à M. Claye qui est, je le sais, fort distingué d’esprit, et qui comprendra.

Je vous envoie en hâte les bon à tirer après corrections (indiquées par moi) des cinq premières feuilles. Vous aurez les deux autres tout de suite. On pourrait très bien m’envoyer les épreuves sur papier très fin en coupant les marges sous enveloppe à l’adresse de M. Aug. Vacquerie — à Guernesey. Je renverrais les errata courrier par courrier comme aujourd’hui.

Charles me prie de vous demander si la Bohême dorée a paru, et s’il y aurait moyen qu’il en reçût un exemplaire par la poste.

À bientôt. Merci, merci, merci encore. Je ne saurais vous dire avec quel attendrissement je vous aime.

Je crois qu’il serait bon de paraître le plus tôt possible.

Répit d’une demi-heure à la poste. J’en profite pour rouvrir ma lettre et l’augmenter du bon à tirer de la feuille VI. Vous aurez demain la VII[24].


London.
À Madame Victor Hugo[25].


Dimanche 31 juillet [1859].

Envoie à Auguste ma part de remerciement pour ce doux brin d’herbe qui va prendre place parmi mes reliques. Je t’écris quelques mots en hâte. J’ai 160 pages à corriger aujourd’hui. La Légende des Siècles paraît vouloir prendre le mors aux dents. Chère amie, Londres est inquiétant à cette heure, et je regrette fort votre prolongation de séjour.

Je t’envoie cependant la semaine que tu désires (sept jours, 130 fr. en une traite de 5 liv. 4 schellings payable à ton ordre chez Sam. Dobrée. Tu la trouveras sous ce pli).

Le samedi est le jour commode pour revenir. C’est donc du samedi 30 juillet au samedi 6 août que ton retour sera reculé. Nous t’attendons sans faute ce jour-là. Je fais faire force de voiles aux ouvriers. Mais tu connais leur sage lenteur. Tu trouveras cependant quelque changement dans la maison. On commence à la venir voir par curiosité. Mais je ferme la porte le plus que je peux. Les anglais quittent Londres en foule et se réfugient ici et à Jersey. Une femme anglaise qui est venue me voir hier m’a dit que Londres était vraiment dangereux.

À samedi donc, et je vous embrasse toutes deux bien tendrement[26].
À Adèle[27].


London.
Samedi 7 août[28] [1859].

Vous voilà heureuses, vous avez Victor ; et nous encore amoindris. Revenez-nous donc bien vite tous les trois, car le gros morceau du groupe est maintenant à Londres.

Ma chère petite fille, Victor devant revenir samedi prochain (d’aujourd’hui en huit), c’est encore sept jours à attendre, et ces sept jours je les envoie à ta mère sous ce pli en un effet de 5 liv. 4 sch. (130 fr.) payable chez Sam. Dobrée comme à l’ordinaire.

Je suis content de ce que tu m’écris de Cœlina. Dis-lui de ma part qu’elle ne peut pas me satisfaire davantage qu’en vous servant bien. Prie Victor de s’informer des aquariums. Combien coûte le meilleur marché ? Est-ce solide ? Cela se met-il en plein air ? Serait-ce difficile à envoyer ici ? Le transport serait-il coûteux ? Dis-lui de répondre à toutes ces questions. Et puis je vous aime bien, ma chère trinité, la mère, la fille, et le doux esprit.

Je vous embrasse. À samedi[29].


À François-Victor[30].


15 août [1859].

Cher enfant, voici les dix jours demandés en une traite de sept livres 7 sch. 10 pence représentant les 185 fr. et payable à l’ordre de ta mère chez Samuel Dobrée.

Je suis heureux, mon enfant bien-aimé, que tu te trouves bien à Londres, que tu y aies dépisté un bouquin californien, que tu y serres la main de notre grand historien Louis Blanc, que tu y fasses la joie de ta mère et de ta sœur, et que ton cher petit estomac y aille à merveille. Revenez tous en joie et en santé et Hauteville-House rayonnera.

Lefèvre va écrire à Londres pour le ticket. Charles ou moi te ferons savoir la réponse.

Quant au bric-à-brac, si tu trouves quelque chose d’horriblement splendide et d’horriblement bon marché, tu peux acheter. Tu sais à peu près ce qui convient à la maison et ce qui peut la compléter. Quant à moi, je suis debout sur un quadrige composé des Chansons des rues et des bois que je fais, de la Légende des Siècles que j’imprime, du drame Torquemada que je rêve, et de Mauger que j’éperonne. Je mène ces quatre monstres à grandes guides. Mauger rue un peu, mais ne se soucie pas de rentrer à l’écurie. En somme, ces dames trouveront la maison, sinon finie, du moins finissante ; elles assisteront à l’agonie de Mauger et au trépas de Jean. — Je t’embrasse bien tendrement, cher fils, et bien tendrement ta mère et ta sœur.

V.

J’ai vu la queen qui est venue hier. C’est une bonne face de bourgeoise rougeaude. L’accueil a été froid, vu le dimanche, qu’elle violait. Elle a salué la foule du côté où j’étais. Comme je rends toujours le salut à une femme, j’ai soulevé le bord de mon chapeau. J’ai été le seul. — Comment va Auguste ? Est-il toujours à Villequier ? Meurice est admirable pour La Légende des Siècles[31].


À George Sand.


Hauteville-House, 21 août 1859.

Voulez-vous, madame, me permettre de vous dire que je suis toujours à vos pieds. Il est dans ma nature de persister, et ce n’est certes pas dans mon admiration et dans mon tendre respect pour vous que je puis défaillir. Ne prenez donc pas mes longs silences pour oubli. Je travaille et je songe dans ma solitude, et je pense aux nobles esprits qui comme vous entretiennent en France le feu de cette grande vestale qu’on appelle l’idée. Oui, vous avez de l’idéal en vous ; répandez-le, répandez-le sur cette pauvre foule d’à présent saturée de matière et de brutalité ; faites votre auguste fonction de prêtresse, et je vous remercie du fond de l’âme.

Puisque je vous écris, je ne veux pas fermer ma lettre sans mettre sous ce pli quelques lignes que je ne puis publier en France et que vous trouverez toutes simples au sujet de la dernière insolence de ce malheureux réussisseur[32].

Quand viendrez-vous rayonner dans mon ombre ? — Cher et grand esprit, je vous aime et je vous vénère.

Victor Hugo[33].
À Hetzel[34].


Samedi 3 septembre [1859], Hauteville-House.

Je reçois aujourd’hui votre lettre de ... (pas de lieu), du (pas de date).

Je voudrais bien ne pas vous gronder, mais il faut pourtant que je le fasse un peu. Seulement mettez dans ces lignes le sourire et le serrement de main que j’y mêlerais si vous étiez là, et si, au lieu d’écrire, nous causions.

Vous vous plaignez des retards.

Savez-vous d’où ils viennent ?

Pas de moi, qui n’ai jamais fait attendre une épreuve une heure et qui les renvoie toujours toutes corrigées courrier par courrier. Demandez à Parfait.

Les retards viennent en partie des fautes de l’imprimeur belge, lesquelles abondent particulièrement dans la ponctuation, en dépit de Parfait qui est, du reste, et je le lui ai dit, un admirable correcteur. Ces fautes exigent très souvent de doubles épreuves.

Les retards viennent surtout de quelqu’un que j’aime beaucoup, mais qui ne répond guère à mes lettres, qui ne date point les siennes, de sorte qu’on ne sait où ni comment lui répondre, qui, (pour des motifs d’ailleurs bien douloureux et bien respectables) a été à peu près insaisissable depuis quatre mois, tantôt à Bruxelles, tantôt à Paris, le lendemain à Chartres, le lendemain à Strasbourg, le surlendemain à Spa ; qui enfin a emporté et gardé une liasse de bonnes feuilles de Claye qui m’était destinée, de sorte qu’il a fallu m’en faire (quinze jours d’attente) un nouvel envoi arrivé hier seulement (par suite de tout ceci, j’ai commencé hier 2 septembre à lire ces bonnes feuilles qui, si elles m’eussent été remues il y a quinze jours, seraient à présent depuis longtemps vérifiées et permettraient de fixer le jour de la publication).

Les retards viennent enfin de je ne sais quel accident au papier que vous m’avez raconté vous-même.

Je passe à quelque chose qui, je l’avoue, me contrarie vivement.

J’aurais voulu, j’aurais dû être consulté sur cette insertion des fragments, qui, me dites-vous, doit avoir lieu aujourd’hui même. Je n’eusse pas refusé l’insertion, mais je l’eusse fait coïncider avec la publication. Pour Les Contemplations le même fait s’est produit, mais on avait pris mon avis. On aurait dû le prendre également pour La Légende des Siècles. Je regrette d’avoir été si facilement oublié. Notre ami de Paris a certainement de bonnes raisons. Il me les dira.

Quant à ce que vous me demandez pour le moment de la publication, permettez-moi de vous dire que je vous crois un peu froid pour ce livre (vous avez raison peut-être, ce n’est pas à moi de décider cela) et qu’il est dans tous les cas très important que vous veuilliez bien vous entendre avec Paul Meurice qui, lui, le voit un peu plus en beau que vous. Votre accord et votre action en commun sont choses très précieuses pour les distributions de citations dont vous me parlez. Quand je dis que vous êtes froid pour ce bouquin, j’excepte les 200 premiers vers au sujet desquels vous m’avez écrit une page à la fois très belle et très charmante.

À vous[35].


À Paul Meurice[36].


Hauteville-House, 4 7bre [1859].

Hier quelqu’un arrivant de Londres m’a annoncé qu’un fragment de La Lég. des Siècles avait paru le 1er 7bre dans une revue qui ne m’est connue que par une hostilité de vingt-cinq ans ; cela m’a horripilé ; j’ai écrit à Hetzel une lettre stupéfaite et assez hérissée. Aujourd’hui, ladite lettre n’étant pas encore partie, j’en reçois une de Bruxelles où l’on me dit que la communication du fragment vient de vous. Admirable effet de votre nom et de ma confiance absolue envers vous ! Cela m’a apaisé à l’instant même. Je me suis dit que vous deviez avoir de bonnes raisons et que vous me les diriez. Et j’ai mis une sourdine à ma lettre à Hetzel. — Maintenant, cette insertion nous met dans la nécessité de prendre Claye aux dents et de paraître le plus tôt possible, le 12 s’il se peut, mais nécessairement avant le 15, pour que la publication d’un fragment si longtemps d’avance ne nous déflore pas trop en pure perte. — Je vous envoie en conséquence le titre avec la ligne des Petites Épopées de plus. J’y ajoute la couverture sur laquelle je vous serai obligé de veiller. Il y faut mon catalogue tel qu’il est, au moins sur le verso du tome premier ; le mieux serait qu’il fût sur les deux. — Vous devez avoir la Préface ; voudrez-vous veiller à ce qu’on ne répète pas la bévue de Bruxelles, et à ce que cette prose ne soit pas imprimée dans le même caractère que les vers ; plus gros ou plus fin, comme on voudra. Je vous recommande, mon admirable ami, la correction bien attentive de tout cela. Quand vous aurez ou si vous avez déjà la feuille 16 du tome II, veuillez y corriger une grosse faute, page 245, vers 6, au lieu de :

Et, du haut des cieux, Prométhée !


il faut :

Et, du haut des monts, Prométhée ![37]

Je suis de votre avis sur l’écusson en question, et j’ai écrit à Hetzel pour savoir s’il est obligé. En tout cas, il n’est point beau. — J’ai déjà lu toute la fin du tome Ier, bonnes feuilles, et les trois premières bonnes feuilles du tome II. Avec quel merveilleux soin vous avez corrigé cela ! Il y a des fautes, mais qui ne sont pas de votre faute. Je ne parle pas de la ponctuation. La ponctuation belge a la maladie des virgules ; on a beau faire, ces vermicules se glissent partout, et coupent les phrases et hachent les vers à faire horreur. Toute largeur et toute ampleur disparaît sous cette vermine. Je m’y résigne, hélas. Mais il est triste de faire ce vers :

Elle ayant l’air plus triste et lui l’air plus farouche


et de le retrouver ainsi tatoué et marqué de petite vérole :

Elle, ayant l’air plus triste, et lui, l’air plus farouche.

Si vous saviez comme la virgule s’acharne et renaît sous le deleatur ! Enfin, j’arrive au fait. Sur les feuilles 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, du tome I et I, 2, 3, du tome II que j’ai vérifiées, il y aura quatre cartons nécessaires à faire.

On eût évité tout cela, en m’envoyant les épreuves, je suis bien de votre avis, et certes ce n’est pas le temps qui a manqué. Soyez assez bon pour me faire renvoyer le plus tôt possible, les sept bonnes feuilles des 7 premières du tome Ier, et aussi toutes les nouvelles bonnes feuilles du tome II qui donnent les tirages en ce moment, et aussi la préface et les titres, couvertures, etc. Pour la dédicace à la France, copier la disposition de la page qui vous sera envoyée de Bruxelles. Le filet du milieu de la page doit être très fin, très court, très léger.

Je finis comme toujours par des actions de grâces. Gratias tibi ago, fratelle. Ma belle-sœur m’a apporté les notes sur Torquemada. Merci encore et toujours. La note biographique extraite du dictionnaire commence ainsi : Thomas Torquemada, de la même famille que le précédent. — Or, je voudrais être fixé sur cette famille. Vous serait-il possible de la chercher dans la biographie du précédent. Que de peines je vous donne !

Vous remarquerez sur le titre que le mot Les Petites Épopées doit saillir un peu (par l’épaississement des lettres).

Avant de fermer cette lettre, je viens de lire les trois bonnes feuilles 4, 5, 6 du tome deux. J’ai donc tout revu, j’attends les autres. Il n’y a pas de nouveaux cartons à faire dans ces trois dernières feuilles. C’est donc en tout, dans ce que j’ai revu jusqu’à présent, quatre cartons. Soyez assez bon, cher ami, pour les recommander bien expressément aux imprimeurs.

Je finis par un barbarisme qui dit bien ce que je suis pour vous.

Tuissimus.


À Hetzel.


Hauteville-House, 12 septembre [1859].

Je reçois votre lettre. Notre excellent et cher Parfait est parti (pour un motif d’ailleurs sacré et inattaquable) dans le moment le plus funeste. C’est la dernière qui est l’heure suprême ; à ce moment-là, habituellement tout le monde est à son poste, chacun a quelque fonction importante à faire dans l’ensemble, un fil cassé compromet tout. Or, c’est précisément (entre autres inconvénients) le fil entre vous et moi qui est cassé par l’absence de Parfait ; vous ne me donnez pas votre adresse à Spa ; je vous y envoie pourtant, à l’aventure, cette lettre directement, comptant sur le bon Dieu pour qu’elle vous parvienne. Le fils de Parfait qui ne m’envoie même pas les bonnes feuilles qu’il reçoit pour moi de Paris, m’inspire moins de confiance encore que le hasard.

Vous vous récriez de ce que j’ai dit que vous aviez peu de foi en ce livre. Mais avoir peu de foi en un livre de moi, ce n’est pas un tort, c’est tout au plus un inconvénient pour l’édition. Quant au fait en lui-même, je le crois exact. Et pourquoi ? Le savez-vous ? C’est que vous êtes très effaré de la chose du monde la plus simple. Vous m’annoncez avec anxiété que ce livre sera attaqué. Qui en doutait ? Furieusement. Pardieu ! Quel est celui de mes livres qui n’a pas été un combat ? Les moins mauvais sont les plus déchirés. Vous me dites de m’attendre à ceci : ce livre est républicain, la presse absolutiste l’attaquera ; ce livre est libre-penseur, la presse catholique l’attaquera ; ce livre est honnête, la presse bonapartiste l’attaquera. Vraiment ! croyez-vous ? Quoi ! Je glorifie le droit, la liberté, la raison, Pontmartin ne dira pas amen ; je guerroie le despotisme, Grosguillot ne se prosternera pas ! Je dis son fait au papisme, Veuillot ne baisera pas le talon de ma botte ! Eh bien, non, cela ne m’étonne pas. Vous me dites, en frémissant, de m’y attendre. Je m’y attendais. J’écrirais d’avance les articles qu’on fera : hideux ! monstrueux ! absurde ! criminel ! abominable ! barbare ! et qui plus est, usé, banal, ennuyeux, assommant, mort. Voilà les épithètes. Le reste est affaire de style et d’arrangement.

J’ajoute que le parti du passé en littérature, prêtera main-forte au parti du passé en politique. Or rien de tout cela ne m’effraie. Parfait est démoralisé comme vous, je le regrette, parce que la veille du combat, on voudrait n’avoir que des auxiliaires confiants dans la victoire. Mais qu’y puis-je faire ? Je serai mollement défendu, dites-vous. Ah ! ceci vous regarde un peu, vous, vous surtout, mon éditeur, qui êtes en même temps un critique profond à ses heures et un écrivain charmant toujours. Aussi j’avoue franchement que je vous aimerais mieux en ce moment à Paris qu’à Spa.

Tenez, je n’attache, vous le savez, je le crois, qu’un prix médiocre à l’effet du moment. Un livre finit toujours par avoir, en gloire ou en oubli, ce qu’il mérite. Le succès du moment regarde surtout l’éditeur et dépend aussi un peu de lui. Quant aux attaques, c’est ma vie quant aux diatribes, c’est mon pain !

Je trouve très bon votre plan de distribution des citations ; communiquez-le à Meurice. Sans nul doute, vous serez d’accord.

Quant au coup de boulet à vide, je le regrette comme vous. Je suis de votre avis, en tout cas, une pièce suffisait. Voici une lettre de Claye qui explique la hâte. Tout cela, du reste, n’a pas marché comme vous, Meurice et moi l’aurions désiré. C’est à réparer.

Quant à la couverture pour Bruxelles, mettez mon catalogue à moi sur le verso du tome Ier et votre catalogue pour l’étranger sur le verso du tome II. J’avais dit qu’on me l’envoyât. Je regrette de ne pas l’avoir reçue. Veillez, je vous prie, à ce que la couverture de Paris soit comme je l’ai indiquée.

Le 16 vous convient pour la publication. Il me convient aussi. Nous sommes, quant à l’amnistie, tout à fait d’accord. Je n’ai parlé qu’en ce qui me concerne, le 16 août, ne voulant engager personne que moi. Mais je compte bien revenir sur cette énormité. Allons, bon courage, et en avant ! Lutter,

c’est vivre[39].
À Paul Meurice[40].


Hauteville-House, jeudi 15 [septembre 1859].

Votre lettre de mardi m’arrive. M. Claye a raison, et d’ailleurs je suis charmé de lui donner raison et de le remercier de son concours par une petite concession, arrangez donc la couverture comme il le souhaite.

Première série. Histoire.
LES PETITES ÉPOPÉES.


(Ceci est commun aux deux volumes).

J’ai depuis hier toutes les bonnes feuilles que j’attendais. J’ai tout revu. Il y a deux fautes sérieuses, f. 8, p. 118, vers 16, troublés quand il faudrait troubles[41]. (Le mot troublé est à la page suivante). F. 11, p. 164, 1er vers (défiguré par une virgule). Au lieu de :

Sorte de héros, monstre aux cornes de taureau,


il faut :

Sorte de héros monstre aux cornes de taureau[42],


l’absurde virgule après héros, anéantit le sens et le vers. Il faut donc ici un carton. Cela fera en tout six. Je dis six parce qu’au moment où j’écris ceci, les deux bonnes feuilles 12 et 13 m’arrivent, je vois que mes corrections pour celles-là ne vous sont pas parvenues à temps. Il faudra donc faire f. 12, p. 192, le carton indiqué pour la faute du vers 5. Au lieu de :

Ce qui reste du pauvre après un long combat.


il faut :

Ce qui reste du pauvre après son long combat[43].

Pour les feuilles suivantes, je suis tranquille ; vous avez dû attendre les deux rimes féminines, et par conséquent les corrections.

Voici deux premières pages à ajouter aux autres. Savez-vous l’adresse de M. Victor Meunier[44] ?

Je ne vous remercie plus. Vous êtes prodigieux de soin, de patience, de bonté. Vous devez, cher et noble poëte, avoir la conscience de votre excellence. Je vous aime.

V.

Je crois qu’à présent on peut dire : lâchez tout[45].


À Paul Meurice[46].


Dimanche 18 7bre [1859].

Cher Meurice, vous recevrez cette lettre mercredi. Il s’agit de deux cartons de plus, ce qui portera le nombre total à huit.

Le premier carton répare une faute du copiste. T. Ier feuille 5, page 80, vers 11 et 23, au lieu de :

Pas un pli du suaire
Ne s’émut, et Kanut avança ;


il faut :

Sous son blême suaire
Kanut continua d’avancer[47] ;

Le 2e carton est pour une faute de l’imprimeur, grave et qu’il faut absolument réparer. T. Ier, feuille 12, page 179, vers 15, au lieu de :

à l’histoire qui va continuer,


il faut :

à l’histoire qu’il va continuer[48].

Ces deux nouveaux cartons sont nécessaires.

Si le livre, par aventure, avait paru et était en vente au moment où ceci vous parviendra, comme, évidemment, les 6 000 exemplaires n’auront pas été tous enlevés, comme il y en aura un certain nombre, plusieurs mille probablement, qui ne seront pas même brochés, soyez assez bon pour aller immédiatement à l’imprimerie et pour faire faire (en l’exigeant au besoin, en mon nom) ces deux nouveaux cartons pour le nombre d’exemplaires restant. Soyez assez bon encore pour ne m’envoyer que de ces exemplaires-là contenant les huit cartons. Tout ceci est de la faute de notre brave ami et éditeur ; c’est lui qui l’a voulu. Il faut qu’il le répare.

Merci, pardon, et merci encore. Je vous embrasse tendrement.

V.
Auguste m’affirme que j’ai à me louer de Villemain. Voici donc une première page pour lui[49].
À Hetzel.


20 septembre 1859.

Ah ! vous voudriez me battre et me mordre ! eh bien, je vous le rendrais. Et ensuite, je vous embrasserais. Attrape ! Votre lettre de huit pages est vive, forte, vraie, inexacte, oublieuse, inique, juste, pleine de cœur, pleine d’esprit, pleine de bêtises, charmante. Vous avez cent fois tort et mille fois raison. C’est un tourbillon de violences au fond caressantes. Si vous croyez que je ne m’y connais pas !

Tenez, il n’y a dans tout ceci qu’un coupable, c’est la distance. Dialoguer à sept jours d’intervalle entre la demande et la réponse, agir avec une rallonge de deux cents lieues au bout des bras, c’est gênant. Et il arrive des cacophonies. Les 28 vers à la page, le déluge des virgules belges, l’in-8° bruxellois au lieu de l’in-18, les bonnes feuilles restées en chemin, la publication prématurée et déflorante du 1er septembre (deux pièces, dites-vous ! Qui diable a pu donner deux pièces ? Voilà une énigme !) les cartons et recartons, etc. , rien de tout cela ne fût arrivé si j’avais pu être là. Je n’aurais pas eu cette petite taquinerie irritante et perpétuelle de votre insaisissabilité, tout irait à merveille, et nous serions deux cœurs dans le même contentement. Au fait, et en dépit de tout, nous le sommes. Vous êtes mon homme et je suis le vôtre, et tout est bien.

Voyez les tours que la distance nous joue : il y a huit jours, je vous écris que je trouve juste de donner à votre catalogue le verso de la couverture du T. II. Pendant ce temps-là, vous, de votre côté, vous concédez ce verso à Meurice qui, étant un admirable ami, fait pour moi ce que je ferais pour lui et est pour moi plus exigeant qu’il ne serait pour lui-même. Supposons-nous tous les trois à Paris ; il n’y a pas un pli. Je fais ce que vous désirez.

Du reste, la moitié de cet inconvénient va disparaître par votre rentrée en France. Nous pourrons désormais imprimer nos éditions types, non plus à Bruxelles, mais à Paris.

Ceci m’amène à votre question au sujet de l’édition belge. Non, certes, je ne donnerai point à Parfait la ruade que vous réclamez avec tant d’insistance. Cette ruade serait d’un âne. Parfait, cette fois comme toujours, a été excellent pour moi, excellent sans réserve et sans restriction. Croyez-vous que je vais hurler parce que ce brave et cher ami a été embrasser sa mère ?Au diable tous les poëmes et tous les poëtes qui empêcheraient un fils de se précipiter vers sa mère après huit ans d’absence et d’exil ! Il a bien fait. J’en ai bisqué et j’en bisque. Mais je l’approuve.

Quant à l’édition belge Lui est Parfait, mais Elle n’est pas Parfaite. Elle a un défaut. Le voici : à de certaines époques climatériques, les sauterelles envahissent l’Égypte et les virgules envahissent la ponctuation. L’imprimerie belge est particulièrement atteinte de ce fléau. Sous cet excès de virgules, l’incise factice devient le parasite de la phrase, et toute largeur de vers et toute ampleur de style disparaît. Or mes épreuves me sont arrivées tatouées de cette vermine. Il a fallu épouiller tout cela. Et à plusieurs reprises. Doubles épreuves. Peine énorme. Dans la rage de cette chasse aux virgules, j’ai été (mea culpa) jusqu’à en supprimer qui étaient bonnes et à leur place. Ces innocentes ont payé pour les drôlesses. Somme toute, beaucoup de ces chenilles de virgules belges sont restées : première laideur de l’édition. Ajoutez à cela huit ou dix mots contresens. De là les cartons et recartons. Si j’avais corrigé les épreuves parisiennes, cela ne fût point arrivé (tua culpa).

De loin et à vol d’oiseau (pour répondre à une autre de vos questions) j’aimerais mieux, comme vous, les citations dans les journaux et le jour même de la mise en vente. Plutôt que la veille.

Où diable vais-je vous envoyer cette lettre ? Sans compter Spa, vous me donnez pour Bruxelles quatre adresses différentes : 1° M. A. Mayer, rue de la Madeleine ; 2° Parfait ; 3° l’… de Russie ; 4° Poste restante. Je me décide à l’envoyer à Parfait.

5 h. du soir.

Comme j’allais clore ceci, votre lettre du 17 m’arrive. Parbleu, je crois bien que ce que vous écrivez à votre ami est admirable et charmant[50]. Vacquerie qui vient de lire ces deux pages exquises en est ébloui. Quel article on ferait avec cette moelle ! C’est là de la vie, du style, de la grâce, de la furia, de la raison ! Mais je m’arrête, m’apercevant que je loue ma louange. Pardonnez-moi cette bêtise.

Ah çà, mais où avez-vous vu que j’exigeasse votre présence à Paris. Vous êtes cent fois juge de la chose. Si cela est sans inconvénient, par Hercule, restez à Spa ! Je vous embrasse.

N’oubliez pas l’envoi de citations aux journaux belges amis. Je recommande particulièrement Le Sancho. Parfait est-il de retour[51] ?
À Noël Parfait.


20 septembre [1859].

Si vous désirez une première page avec ma signature, pour vous et vos amis, envoyez-moi les noms, vous serez servi chaud.

Au moment de frapper les trois coups et de crier : Au rideau ! je vous embrasse et je vous dis merci du fond du cœur.

Quoique au fond un peu effarouché par ce livre, vous avez été admirable pour lui. Vous l’avez soigné, couvé, aimé, vous m’avez aidé à en chasser la nuée des virgules (et, à ce propos, comme les ouvriers sont bêtes avec leurs exigences de ponctuation !). Vous avez corrigé mes épreuves, oh ! ami, comme si j’eusse été votre père ou votre enfant, et aujourd’hui que le voilà publié, vous le couvez de vos bonnes et douces ailes, et je lis dans Le National, dans Le Sancho, dans Le Parlement, dans L’Union d’Anvers, dans L’Observateur, dans L’Indépendance, des choses où je sens comme le souffle de votre amitié. Merci donc, et merci, et merci encore. Voilà comme je vous gronde. Continuez de m’aimer et de m’aider, donnez-moi des conseils. Je vous remercie des journaux bienveillants que vous m’envoyez. Continuez les envois s’il y a lieu et dites-moi à qui je dois écrire si j’ai quelques reconnaissances à exprimer à d’autres qu’à vous[52].


À Hetzel.


Hauteville-House, 24 septembre [1859].

Je reçois votre lettre du 22 datée de Valenciennes. Elle contient une plainte à laquelle je m’attendais. Il y a mieux. Je vous avais prévenu que vous y arriveriez. En juin dernier, quand une première bévue, la bévue du format, fut faite, vous absent, par l’imprimeur belge, quand vous me suppliâtes, ce fut votre mot, de consentir à ce que, pour utiliser cette bévue, le tirage convenu de 3 000 in-18 fût remplacé (en Belgique) par un tirage de 1 500 in-8o, je vous écrivis (relisez mes lettres) qu’avec des expédients de cette nature vous annuliez, à votre préjudice (et au mien par contre-coup) les bénéfices de l’affaire ; que l’in-8° était un mauvais format en Belgique, laissant le champ libre à la contrefaçon, aboutissant à une affaire blanche sur le marché étranger. Malgré mes observations, vous voulûtes passer outre. Plus tard, quand vous obtîntes de ma stupidité le consentement à la non-correction des épreuves parisiennes, je vous dis que cela se solderait par des cartons, par des retards, par des faux-frais, etc… et que, ces faux-frais à Paris ajoutés à la perte du marché étranger, grâce à l’in-8o belge, finiraient par rendre nulle une affaire qui eût pu et qui eût dû être bonne. Encore de ceci, vous n’avez tenu nul compte. Aujourd’hui, vous commencez à voir les conséquences des fautes faites malgré toutes mes observations (et je ne les énumère pas toutes. Voir mon avant-dernière lettre) et vous me renvoyez sous forme de plaintes mes propres prévisions. Hélas ! vous me donnez raison. Voilà tout.

Maintenant, que voulez-vous que j’y fasse ? Faut-il ajouter à toutes les fautes faites la faute suprême ? Celle de laisser paraître ce livre tatoué d’incorrections, de vers faux, de rimes manquantes, de non-sens et de contresens ? Ici, je dis que je ne le veux pas. Et j’ajoute que vous ne le voulez pas. Cette résolution dût-elle pousser à bout la patience de M. Claye. J’avoue qu’il y a eu pour moi quelque surprise à apprendre que je devais compter avec la patience ou l’impatience de mon imprimeur. Il m’a semblé que, jusqu’à ce moment, le patient c’était moi. Tout bien considéré, voici mes conclusions : si l’affaire de La Légende des Siècles est mauvaise pour vous, nous nous en tiendrons là. Si, par miracle, elle est bonne ou passable, et que cela vous convienne, nous en referons d’autres. Seulement, nous tiendrons note des fautes faites pour n’y plus retomber. Je répète ici ce que disait mon avant dernière lettre, en somme, la grande coupable, c’est la distance. Vous à Paris, les trois quarts des mauvaises chances où nous nous sommes heurtés, s’évanouissent.

Je sens que votre lettre du 22, quoique prévue, m’a attristé. Épictète dit à Épaphrodite : tu vas me casser la jambe quand il eut la jambe cassée. Épictète ne fut pas gai. Cependant, vous vous tromperiez si vous croyiez qu’il y a en moi autre chose que le sentiment le plus sympathique pour votre charmant esprit et le plus cordial pour votre noble nature.

Votre ami quand même[53].


À Paul Meurice[54].


27 7bre. — Mardi.

C’est aujourd’hui, cher Meurice. Enfin vous voilà délivré !

Je ne veux pas que la journée se passe sans vous porter mon remcrcîment suprême. Novissima verba.

À vous du plus profond de l’âme.

À Hetzel[56].


Hauteville-House, 1er octobre [1859].

Par suite d’un coup d’équinoxe, le courrier a manqué trois jours, et je reçois aujourd’hui trois de vos lettres à la fois.

Je commence par madame Hetzel. Si je n’ai pas signé les vers en question, c’est pour ne pas tomber dans les puérilités d’album. Mais je me mets aux pieds de votre digne et charmante femme dans la page que voici, qu’elle pourra, si cela lui paraît en valoir la peine, joindre à son exemplaire.

Oui, je suis de votre avis tout va bien, donc tout est bien. Le serrement de main que vous me demandez, vous l’avez en ce moment. Il n’a pas attendu la demande. Il vous est arrivé, chaud et cordial, par ma lettre du mardi 27.

Et puisque ce même serrement de main fraternel, vous l’avez échangé avec Meurice, tout est bien, je le répète. On est content des deux côtés du détroit, comme disent ces bons anglais. Un discord entre Meurice et vous me causerait une peine que je ne puis dire. Soyez amis en moi. Meurice, pour moi, ne peut pécher. Il est dévouement par le cœur et poésie par l’âme. Je ne suis pas assez bête pour dire jamais : nimium dilexit amicum. Vous, vous savez comme je vous aime aussi. Donc, aimez-le. Je mets vos quatre mains dans les deux miennes.

Savez-vous que, depuis trois mois, tout en corrigeant minutieusement et scrupuleusement mes épreuves, Meurice faisait répéter une pièce, et que, par une délicatesse presque féminine tant elle est charmante, il me le cachait ? Meurice est jeune et je suis vieux, et cependant il y a déjà vingt ans d’amitié entre nous. Et si vous saviez de quelle amitié ! Exigeante de mon côté, inépuisable du sien ! Donc aimez Paul Meurice. Ama Platonem, disait Socrate. Il n’y a pas grand’chose de Socrate en moi, mais il y a beaucoup de Platon dans Meurice.

Ed. Bertin est-il absent ? Où est-il donc ? L’absence de citation dans les Débats est inévitable. Cela a-t-il pu être réparé ? Je pense que vous êtes là et que vous veillez.


À Charles Baudelaire.


Hauteville-House, 6 octobre 1859.

Votre article sur Théophile Gautier[57] est une de ces pages qui provoquent puissamment la pensée. Rare mérite, faire penser ; don des seuls élus. Vous ne vous trompez pas en prévoyant quelque dissidence entre vous et moi. Je comprends toute votre philosophie (car, comme tout poëte, vous contenez un philosophe) ; je fais plus que la comprendre, je l’admets ; mais je garde la mienne. Je n’ai jamais dit : l’art pour l’art ; j’ai toujours dit : l’art pour le progrès[58]. Au fond, c’est la même chose, et votre esprit est trop pénétrant pour ne pas le sentir. En avant ! c’est le mot du progrès ; c’est aussi le cri de l’art. Tout le verbe de la poésie est là. Ite.

Que faites-vous quand vous écrivez ces vers saisissants : les Sept Vieillards et les Petites Vieilles, que vous me dédiez et dont je vous remercie ? Que faites-vous ? Vous marchez. Vous dotez le ciel de l’art d’on ne sait quel rayon macabre. Vous créez un frisson nouveau.

L’art n’est pas perfectible, je l’ai dit, je crois, un des premiers ; donc je le sais ; personne ne dépassera Eschyle ; personne ne dépassera Phidias ; mais on peut les égaler ; et, pour les égaler, il faut déplacer les horizons de l’art, monter plus haut, aller plus loin, marcher. Le poëte ne peut aller seul, il faut que l’homme aussi se déplace. Les pas de l’humanité sont donc les pas mêmes de l’art. — Donc, gloire au Progrès.

C’est pour le progrès que je souffre en ce moment et que je suis prêt à mourir.

Théophile Gautier est un grand poëte, et vous le louez comme son jeune frère, et vous l’êtes. Vous êtes un noble esprit et un généreux cœur. Vous écrivez des choses profondes et souvent sereines. Vous aimez le beau. Donnez-moi la main.

Victor Hugo.

Et quant aux persécutions, ce sont des grandeurs. — Courage ![59]


À Auguste Vacquerie[60].


Dimanche 16 8bre [1859].

Je vous prouve ma reconnaissance, cher Auguste, en usant de vous de nouveau. Voici neuf lettres (Jourdan, Janin, Denis, Boulanger, Ch. Edmond, Saint-Victor, Baudelaire, Fleury, Marafy), seriez-vous assez bon pour les faire parvenir ? Il y a plusieurs adresses que j’ignore. — Votre excellente et charmante lettre m’a tiré de peine. J’étais vraiment inquiet. Pour quelques détails pourtant, mon inquiétude persiste. J’ai des raisons de croire que ni Victor Meunier, ni H. Descamps, ni Méry, n’ont reçu leur exemplaire. Avez-vous moyen de savoir ce qu’il en est ? — Je serais féroce d’écrire à Meurice en ce moment, et je n’en ferai rien. Il est presque sur le lit de misère de la représentation. Dites-lui seulement que, jeudi 20, je porterai un toast au succès du Roi de Bohême et que tout Guernesey l’applaudira de loin comme un seul Paris. — Je n’ai reçu aucun des journaux qu’il m’annonçait (excepté la revue de Genève) mais point de Gazette des Théâtres (A. Denis) et point de Charivari. Au Charivari, l’en-tête était de Paul Meurice, et vous jugez comme j’eusse désiré le lire. À propos de Charivari, sera-ce T. Delord[61] ou H. Rochefort qui fera l’article ? Savez-vous quelque chose de cela ? Le Petit roi de Galice a-t-il en effet paru dans Le Messager, comme me l’écrivait Mme Colet ? Mme Colet y a-t-elle fait l’article qu’elle m’annonçait ? — Penserez-vous, cher ami, à demander à Paul Meurice si M. Boiteau lui a remis (il y a quelque temps déjà) quelques lettres de moi à Béranger. Il pourrait me les renvoyer par M. Chenay[62] qui se chargerait aussi de m’apporter les dix exemplaires qu’il me faudrait ici. Plus l’Histoire de l’Inquisition. (Meurice la paierait sur l’Institut.) — Hetzel que j’ai fort griffé, m’écrit une lettre désolée, pleine d’adoration pour Paul Meurice qui, dit-il, lui tient rigueur. Priez Meurice de ma part de l’amnistier. Je crois les regrets de Hetzel très sincères et très vifs. Hetzel est, par beaucoup de côtés, très chaud, très ami, et très sympathique. Vous savez comme il s’est bien conduit pour Chenay. Pardonnons-lui donc tous en chœur. Je voudrais qu’à la première occasion Meurice, oubliant ses torts, lui envoyât un bon serrement de main. — Vous me dites de la part de toute votre chère famille de bien bonnes paroles. Mettez-moi aux pieds de ces dames. — Et puis, cher Auguste, parlez-moi de vous. À quand l’Enterrement de l’Honneur[63] qui sera la résurrection de la Porte St-Martin ? — À vous ex imo.

V.

Et l’Artiste[64] ?


À Charles Baudelaire.


18 octobre 1859.

Merci, poëte, vous me parlez merveilleusement en quatre lignes de La Légende des Siècles. Votre lettre est toute marquée de votre cœur sincère et de votre profond esprit. Plus vous penserez à ce que je vous ai écrit, plus vous verrez que nous sommes d’accord : marcher du même pas au même but. Rallions-nous sous l’idéal, but sublime vers lequel l’Humanité dirige son double et éternel effort : l’Art et le Progrès[65].


À Auguste Vacquerie[66].


Dimanche 30 8bre [1859].

Cher Auguste, je vous remercie, ubique et semper. J’ai été à la page 21 de la Revue en question[67]. Cela est fort. Il va sans dire que je n’ai rien écrit de pareil. C’est vers 1849 que M. Hugelmann m’a écrit pour la première fois[68].

J’étais en pleine lutte démocratique. Or je n’aurais même pas écrit cette absurdité ultra-bigote au temps de ma plus fervente enfance royaliste. Vous savez tout cela, et je n’ai pas besoin d’y insister avec vous. Cela dit, que faire ? Écrire à ce recueil ? n’est-ce pas une réclame qu’on cherche .? cela me semble bien obscur, et je n’ai guère l’habitude de me déranger pour si peu. Écrire aux autres journaux ? n’est-ce pas beaucoup de brait pour rien ? et puis, ne serait-ce pas faire la réclame demandée ? Je vous dirais volontiers : donnez-moi un conseil, décidez la question. À tout hasard, j’écris une lettre que vous trouverez sous ce pli. Je la fais polie, car le ton d’Hugelmann n’est pas discourtois, mais absolue. Si vous êtes d’avis de la publier, c’est à La Presse, au Siècle et aux Débats qu’il faudrait la communiquer. — Mais le mieux, ne serait-ce pas ceci ? Prenez votre courage à deux mains, et allez voir Hugelmann de ma part, et de ma part, et courtoisement, demandez-lui de voir la lettre. La lettre n’existant pas, il sera amené à un balbutiement quelconque, d’où pourrait sortir un démenti donné à lui-même par lui-même dans un journal à lui-même, une reconnaissance de son erreur (porte que je lui laisse ouverte) en quelques lignes spontanées, et cela vaudrait mieux. En somme ce pauvre bonapartiste est romantique, il vous glorifie, il acclame Paul Meurice, il célèbre Victor, ce qui fait que j’ai peine à frapper dessus, et à frapper dur. — Arrangez cela pour le bien et pour le mieux, vous qui avez le sens juste de toute chose. — En somme, j’ai quelque répugnance à faire tapage pour cela, et à cogner en public mon H contre l’H de M. Hugelmann. Vous me comprendrez. Décidez la chose. Je vous envoie ma lettre en tout cas.

5 h. du soir.

Réflexion faite et conseil pris de tous en déjeunant, je supprime ma lettre éventuelle aux journaux. Le plus simple serait une note ainsi conçue :

« Dans tel recueil, à telle page, on lit ce qui suit :


(citer le paragraphe, et terminer ainsi :)

« Nous sommes autorisés à déclarer que M. Victor Hugo n’a point écrit « les deux lignes citées en italique. »

Ceci seulement dans les journaux sympathiques à la république (Presse et Siècle). Mais le mieux serait, je crois, d’attendre que le fait sortît de l’ombre, du recueil où il est, prît corps et devînt sérieux. Alors, démentir. Qu’en dites-vous ?

Vos lettres nous arrivent comme de la lumière de Paris. Vous traduisez magnifiquement Gautier. Quelle ombre de ne pas être au milieu de vous tous !

Pardonnez à mes mauvais yeux qui ont mal lu l’adresse de M. Régulus Fleury. Ce n’est pas rue N.-D. de Lorette, c’est rue N.-D. de Nazareth, toujours n° 29. Seriez-vous assez bon pour lui envoyer ma lettre par la poste, adresse rectifiée.

Continuez de nous mettre au courant de tout ce qui intéresse votre drame. C’est une puissante chose et ce sera un puissant succès. Vous verrez !

L’article de M. Ern. Lefèvre sur Victor est excellent et charmant. Félicitez-le de ma part, et remerciez-le aussi.

Envoyez-moi mes dix exemplaires de La Légende des Siècles par celui des deux, Allix ou Chenay, qui viendra le plus tôt. Je crois que ce sera Allix. — Serez-vous assez bon pour faire parvenir ces trois lettres ? — Je tiendrais à ce que Mme Bertaut eût son exemplaire. On saurait où elle est par Célestin Nanteuil dont il est aisé d’avoir l’adresse.

Ex imo.


À Villemain.


Hauteville-House, 17 novembre 1859.

Cher ami, savez-vous ce que c’est que l’exil ? C’est de n’entendre qu’au bout de six mois les mots prononcés par vous, qui êtes une des paroles illustres de ce temps. Un ami m’est arrivé hier de Paris. Il a eu l’heureuse idée de mettre dans sa malle votre livre sur Pindare[70] et me voilà depuis hier lisant cette œuvre excellente et profonde. Je me plonge dans Pindare et dans vous comme dans une eau salubre. Vous traduisez Pindare comme vous le sentez, comme vous l’expliquez, puissamment, et quand je dis Pindare, je dis aussi Eschyle, Sophocle, Aristophane, Horace, tous ces poëtes sacrés et vrais. Leur esprit passe entier à travers le vôtre. Votre prose n’ôte rien à ces grandes ailes.

C’est qu’en vous, avec tous les plus nobles instincts et les plus fermes courages, il y a l’enthousiasme, cette flamme. Votre livre est une histoire où par moments on sent palpiter des strophes. Les dernières pages sont une ode splendide à l’avenir.

Je ne suis pas d’accord avec vous peut-être sur tous les points, mais qu’importe. J’aime votre livre comme je vous aime, avec une estime profonde. Votre main serrée de temps en temps, soit à la Chambre, soit à l’Académie, soit au coin du feu, est une des douceurs les plus regrettées de la patrie.

En deux endroits de votre beau livre vous parlez de moi avec une sorte d’émotion tendre qui me va au cœur. Je vous remercie. Je me repose en vous depuis plusieurs heures comme dans un port de l’esprit. J’ai besoin quelquefois de ces repos dans cette solitude et devant cet océan, au milieu de cette sombre nature qui m’attire souverainement et m’entraîne vers les ombres éblouissantes de l’infini. Je passe quelquefois des nuits entières à rêver sur mon sort en présence de l’abîme, et j’en arrive à ne pouvoir plus que m’écrier : des astres ! des astres ! des astres !

Votre livre est de ceux qui font doucement changer d’extase. Au lieu de l’aigle de mer, j’ai regardé planer Pindare. Je vous ai écouté conter, et avec quelle haute éloquence ! l’histoire de l’enthousiasme, c’est-à-dire du génie humain. Et dans la manière dont vous prononcez le mot fier et charmant : Liberté, j’ai retrouvé l’accent même de mon âme.

Je serre vos deux mains dans les miennes, mon illustre ami.

Victor Hugo.


À Mademoiselle Louise Bertin.


17 novembre 1859. Hauteville-House.

Une lettre de vous, chère mademoiselle Louise, est toujours pour moi une émotion profonde. À chaque ligne que j’en lis, tout le doux et charmant passé reparaît, les Roches, les fleurs, la musique, votre père, nos enfants, nos jeunesses. Vous avez là-bas quelque chose de mon âme, et de loin, souriant tristement, vous me le montrez.

Le devoir est dur. Il m’a empêché de revenir. J’ai bien fait, mais je souffre. Vous êtes une de mes souffrances[71].

J’eusse souhaité que ma famille rentrât, sentant bien que le devoir et le sacrifice avaient assez de moi. Elle n’a pas voulu. Mes enfants ont voulu rester avec moi comme j’ai voulu rester avec la liberté. Charlot, Toto, Dédé, sont devenus des âmes ; de grandes et fières âmes. Ils acceptent la solitude et l’exil avec une sérénité gaie et sévère. Ils vous aiment, vous le grand cœur dont ils semblent avoir pris un rayon.

Je vous remercie d’avoir lu ce livre, et de vous y plaire un peu. Que de belles et douces choses, vers et musique, vous devez faire sous vos arbres, dans votre rêverie profonde ! Quand donc entendrai-je votre voix !

Je vous aime bien.

Je mets à vos pieds, mademoiselle, tous mes respects les plus tendres.

Victor Hugo.

Ma femme et mes enfants vous embrassent. Serrez pour moi, je vous prie, la main de mon excellent et cher Édouard. Je sens quelquefois, en lisant les Débats, la chaleur de sa vieille et solide amitié. Et à propos des Débats, je suis charmé qu’il y ait attaché Deschanel, un doux et gracieux esprit, digne du groupe qui est autour de vous[72].


À Madame de Solms[73].


H.-H., 19 novembre [1859].

Vous m’envoyez une rose ; qu’allez-vous dire, madame, en recevant pour remercîment cette figure sévère ? Que voulez-vous, le plus farouche songeur du monde ne peut donner que ce qu’il a. Laissez-moi ajouter ceci : vous êtes adorable.

C’est là un mot dangereux de près, et même de loin, pour celui qui le prononce. Mais je suis, moi, dans une telle nuée, si épaisse, si obscure, si profonde, que je puis me permettre de ces éclairs-là. Cela expirera à vos pieds comme un hommage. D’ailleurs, il me semble que je commence à être un mort. Les galanteries d’un fantôme ont peu d’inconvénient.

Vous me priez d’aller à Paris en termes charmants, vous avez la bonté de m’y souhaiter un peu ; mais si j’y allais, vous ne me le pardonneriez pas. Vous avez beau être une ravissante femme ; il y a en vous un homme ; vous comprenez le devoir, et vous diriez en me voyant : voici une sentinelle qui a quitté son poste.

Vous pouvez y aller, vous. Ce devoir public est moins absolu pour votre sexe. D’ailleurs vous avez longtemps et noblement lutté contre le crime en plein triomphe. Allez donc à Paris, madame, et régnez-y plus que ceux qui règnent, et soyez ce que vous êtes. Pas de rang, pas de titre, vous n’en avez pas besoin ; vous avez le rang de la fleur et le titre de l’étoile ; vous êtes esprit. âme, flamme, rayon. Être de la famille de l’empereur, voilà grand’chose, quand on est de la parenté du soleil.

Je suis à vos pieds, madame.

V. H.[74]


À Nefftzer[75].


Hauteville-House, 24 9bre [1859].

Merci, cher et vaillant penseur. P. Meurice m’envoie ce que vous avez écrit sur La Légende des Siècles dans la Revue Germanique[76]. J’ai lu cette noble et charmante page avec une profonde émotion. Chaque ligne m’a donné la sensation de votre main serrée.

Moi sur mon rocher, vous sur votre brèche, nous faisons la même œuvre. Nous luttons pour le droit, pour le progrès, pour l’humanité. Vous faites chaque jour dans le journalisme militant des actions d’éclat, et c’est un bonheur pour moi de vous dire, à travers la brume et l’orage de ma solitude, à quel point je suis vôtre ex intimâ mente.

Victor Hugo[77].


À Paul Meurice.


H. H. [4 décembre 1859].

Lisez ceci[78], et vous comprendrez tout de suite.

Il faudrait que cela fût publié, et vite, cela paraîtra dans les journaux anglais et belges, et américains. Il importerait que les journaux français publiassent aussi. Il me semble qu’ils peuvent l’oser. Cela ne touche pas l’empire. Qu’ils ôtent quelques lignes, s’ils veulent. Cher et grand cœur que vous êtes, prenez la chose avec toute votre flamme. Voici des exemplaires. Soyez assez bon pour les transmettre de ma part au Siècle, aux Débats, au Courrier du Dimanche, au Messager. Si nous sauvions cet homme, ce héros, ce martyr, quelle joie ! et par-dessus le marché, sauver cet homme, ce serait sauver cette république. Tout serait bon dans le résultat.

Nous parlons sans cesse de vous ici. On compare Le Roi de Bohême et Fanfan la Tulipe ; on détaille ce qu’il y a de charmant ici, ce qu’il y a d’exquis là, on voudrait voir Mélingue, on voudrait contempler Mlle Page[79], on voudrait vous embrasser. Vous êtes l’enchanteur du drame. Vous jetez sur le théâtre une sorte de rayonnement où il y a de l’azur. Vos œuvres grandes et douces sont des reflets de votre âme.

À vous. À vous[80].


À Alexandre Dumas[81].


Hauteville-House, 11 décembre 1859.

C’est vous, heureux et cher Dumas, c’est vous que je veux féliciter du succès, et de tous les succès de votre fils[82]. Vous faites un couple admirable, le père mêlé au rayonnement du fils, le fils mêlé à l’auréole du père.

Oui, vous êtes un père prodigue, vous lui avez tout donné, drame saisissant, passion chaude, dialogue vrai, style étincelant, et en même temps, miracle tout simple dans l’art, vous avez tout gardé. Vous l’avez fait riche en restant opulent.

Moi aussi, j’ai des fils dont je suis fier, Dieu soit béni ! et c’est en ma qualité de père triomphant que je vous félicite, vous père glorieux.

Vous allez donc partir. Si j’étais Horace, comme je chanterais au vaisseau de Virgile ! Vous allez au pays de lumière, à l’Italie, à la Grèce, à l’Égypte ; vous allez faire le tour de l’eau de saphir ; vous allez voir la mer heureuse ; — moi, je reste dans la mer sinistre. Mon Océan envie votre Méditerranée.

Allez, soyez radieux, soyez grand, et revenez. Te referent fluctus !

Votre ami.
V. H.
À Charles Baudelaire.


Hauteville-House, 18 Xbre [1859].

Comme tout ce que vous faites, monsieur, votre Cygne[83] est une idée. Comme toutes les idées vraies, il a des profondeurs. Ce cygne dans la poussière a sous lui plus d’abîmes que le cygne des eaux sans fond du lac de Gaube. Ces abîmes, on les entrevoit dans vos vers pleins d’ailleurs de frissons et de tressaillements. La muraille immense du brouillard, la douleur comme une bonne louve, cela dit tout et plus que tout. Je vous remercie de ces strophes si pénétrantes et si fortes.

Soyez tranquille, je ne lirai votre Poë que lorsque vous me l’enverrez. Je comprends votre susceptibilité, moi qui ai fait faire, pour des virgules, onze cartons à La Légende des Siècles. Le sujet traité par Poë est ma constante préoccupation. Mais j’attendrai.

Je vous serre la main et je vous remercie encore une fois, cher poëte.

Victor Hugo.

J’ai relu avec un extrême intérêt votre beau travail sur notre grand poëte Th. Gautier[84].


À Paul Meurice[85].


18 Xbre [1859].

Merci de tout ce que vous avez fait d’excellent et de toutes les peines que vous avez prises pour ce vaillant John Brown. Vous savez qu’ils l’ont tué. (La nouvelle m’est apportée en ce moment même). Le sursis était faux comme cette république est fausse. Il faut que la démocratie française prolonge d’une façon formidable le cri que j’ai jeté. Poussez-y, cher Meurice ! Voyez M. Havin. Voyez nos amis. Écrasons l’infâme. Écrasons l’esclavage.

Je serre tendrement vos chères mains[86].
À Monsieur C. Caraguel au bureau du Charivari[87].


Hauteville-House, 18 xbre 1859.
Monsieur,

Au moment où je lisais les lignes élogieuses que vous avez écrites à l’appui de ma réclamation pour John Brown[88], je reçois une horrible nouvelle. L’assassinat est consommé, le sursis mentait, John Brown a été pendu le 2 décembre… Quel crime ! quelle souillure ! et sous une république ! — Puisque cela est fait, que les conséquences viennent, les événements sont logiques, si les démocraties ne le sont pas, comme vous l’avez dit admirablement. Voilà la question posée, l’esclavage doit disparaître, dût-il en s’en allant casser en deux la république américaine. Mais quelle chose obscure et redoutable que cette fracture ! le progrès en oscillera peut-être pendant un demi-siècle. John Brown déchire le rideau, la question d’Amérique est maintenant aussi énorme que la question d’Europe.

Rallions-nous plus que jamais autour des deux grands droits et des deux grands devoirs : Liberté et Vérité. — La conscience républicaine, c’est la conscience humaine. La France doit la vérité à l’Amérique ; elle est la sœur aînée.

Je suis, monsieur, un de ceux qui apprécient le plus haut votre noble et charmant esprit, et je vous serre bien cordialement la main.

Victor Hugo[89].


À George Sand.


Hauteville-House, 20 décembre 1859.

Je vous remercie de vos charmantes et magnifiques paroles. Vous me parlez de La Légende des Siècles en termes qui enorgueilliraient Homère. Je suis heureux que ce livre ait fixé quelques instants votre beau et calme regard.

En ce moment j’ai l’âme accablée. Ils viennent de tuer John Brown. L’assassinat a été commis le 2 décembre. Leur sursis annoncé était une infâme ruse pour endormir l’indignation. Et c’est une république qui a fait cela ! Quelle sinistre folie que d’être propriétaire d’hommes, et voyez où cela mène ! voilà une nation libre tuant un libérateur ! Hélas, madame, j’ai vraiment le cœur serré. Les crimes de rois, passe, crime de roi est fait normal ; mais ce qui est insupportable au penseur, ce sont les crimes de peuple.

Je relis votre admirable lettre avec charme et consolation. Vous êtes grande, madame, vous aussi, vous avez vos épreuves. Elles augmentent, pour moi qui vous contemple souvent, la douce et fière sérénité de votre figure.

Je vous respecte et je vous admire.

Victor Hugo[90].

  1. Inédite.
  2. Drame de Paul Meurice représenté le 10 mars 1859, à l’Ambigu-Comique.
  3. Ernest Lefèvre.
  4. Bibliothèque Nationale.
  5. Inédite.
  6. « … Plus 100 francs que je vous prie de verser à nouveau pour moi dans la Caisse ; c’est la dîme du Maître d’Ecole. » (Lettre de Paul Meurice, 13 mars 1859.)
  7. Bibliothèque Nationale.
  8. Réponse à la lettre d’Hetzel (15 mars 1859) réclamant le manuscrit très vivement et très promptement. La guerre de l’Italie contre l’Autriche était imminente. « En juin on se battra. Le moment est bon et l’avenir est douteux. Donc, saisissons le moment. »
  9. Collection Jules Hetzel. La Légende des Siècles. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  10. Inédite.
  11. Bibliothèque Nationale.
  12. Inédite.
  13. L. Vitet, directeur de l’Académie en 1859, reçut Victor de Laprade qui succédait à Alfred de Musset. Dans le tableau qu’il fit de la poésie à l’époque où Alfred de Musset se fit connaître, Victor de Laprade évoqua Lamartine et lui attribua, à lui seul, la direction du mouvement littéraire et de la poésie rénovée. L. Vitet, dans sa réponse, rectifia cette appréciation et, sans le nommer, chose impossible alors en pleine Académie, associe Victor Hugo à Lamartine : « ... Deux hommes résumaient à eux seuls les deux nouveautés principales dont alors on était épris, le charme indéfinissable du spiritualisme rêveur, l’attrait presque physique du rythme et du coloris. Vous avez mis tout à l’heure sur l’une de ces deux figures une auréole que pour ma part je serais loin de trouver trop brillante, n’était ce sentiment involontaire qui nous porte au secours des absents... C’étaient deux puissances égales, deux monarques, chacun avait sa cour, et, pendant près de dix années, unis contre l’ennemi commun, ils avaient régné l’un et l’autre, en possession paisible du public qu’ils se partageaient ». — Réponse au discours de réception de Victor de Laprade.
  14. Collection de Mme Aubry-Vitet.
  15. Publiée en partie dans La Légende des Siècles. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale. Collection Jules Hetzel.
  16. Bibliothèque Nationale.Revue hebdomadaire. Juin 1935.
  17. Inédite.
  18. Bibliothèque Nationale.
  19. Le Lion d’Androclès :

    Le noir gouffre cloaque au fond, ouvrait son arche
    Où croulait Rome entière.

  20. Le Temps, 30 juin 1903.
  21. Jules Simon, de son nom Jules Suisse, nous donne de lui-même un curieux tableau de son activité ; nous nous contenterons d’ajouter quelques dates :
    « J’ai fait beaucoup de livres ; je rougis de dire que j’ai publié plus de trente volumes. J’ai écrit dans beaucoup de journaux et de revues. On ferait plus de cent volumes avec les articles que j’ai publiés de tous les côtés ; je ne conseillerais à personne de les lire. J’ai été professeur à l’École Normale (1833), à la Sorbonne (1836) ; j’ai représenté successivement quatre départements (les Côtes-du-Nord, 1848 ; 8e circonscription de la Seine, 1863 ; la Gironde, 1869 ; la Marne, 1871) ; j’ai été conseiller d’État (1849), ministre (Instruction publique, 1870-1873) ; je suis sénateur (1875) ; j’ai fondé deux revues (la Liberté de penser, 1847, le Musée des Familles) ; je fais partie de beaucoup d’académies et d’une quantité d’associations presque innombrable. J’étais, au Corps législatif, un des députés les plus verbeux, et je trouvais le moyen, tout en occupant fréquemment la tribune, de faire des discours au dehors. Il n’y a pas un bourg de l’Hérault, de la Gironde, des Côtes-du-Nord, de la Marne où je n’aie péroré ; il n’y a pas une salle à Paris où je n’aie prononcé des discours ; les théâtres, les cirques, les ateliers, les greniers, les salles de mairie, les amphithéâtres de toutes les écoles, les palais les plus splendides, les bouges les plus misérables ont retenti de ma voix, qui n’est pas, tant s’en faut, une voix de tonnerre. » (Premières années.)
    Jules Simon brisa volontairement sa carrière en refusant, après le coup d’État, le serment exigé par l’empereur et que devaient prêter les professeurs.
  22. Collationnée sur l’original relié dans un exemplaire des Misérables, tome I, Bibliothèque Nationale, réserve.
  23. Inédite.
  24. Bibliothèque Nationale.
  25. Inédite.
  26. Bibliothèque Nationale.
  27. Inédite.
  28. Erreur de date, il faut lire : samedi 6 août.
  29. Bibliothèque Nationale.
  30. Inédite.
  31. Bibliothèque Nationale.
  32. Déclaration (à propos de l’amnistie). — Actes et Paroles. Pendant l’exil.
  33. Archives de Mme Lauth-Sand.
  34. Inédite.
  35. Collection Jules Hetzel.
  36. Inédite.
  37. La Légende des Siècles. Plein ciel.
  38. Bibliothèque Nationale.
  39. Publiée en partie dans La Légende des Siècles. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale. — Collection Jules Hetzel.
  40. Inédite.
  41. La rose de l’Infante :
    Tant il se confondait aux yeux troubles des hommes.
  42. Le régiment du baron Madruce.
  43. Les pauvres gens.
  44. Victor Meunier, journaliste politique et scientifique.
  45. Bibliothèque Nationale.
  46. Inédite.
  47. Le parricide.
  48. Éviradnus.
  49. Bibliothèque Nationale.
  50. Lettre publiée en partie dans La Légende des Siècles. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  51. Collection Jules Hetzel.
  52. Le Temps, 30 juin 1903.
  53. Collection Jules Hetzel. — Publiée en partie dans La Légende des Siècles. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  54. Inédite.
  55. Bibliothèque Nationale.
  56. Inédite.
  57. L’Artiste, 19 mars 1859.
  58. C’était là la dissidence principale ; l’étude de Baudelaire sur Théophile Gautier est surtout prétexte à développer ses théories sur l’art : il nie absolument la mission humanitaire du poëte et n’admet que le beau dans l’art.
  59. Cette lettre fut insérée en tête de l’étude sur Théophile Gautier.
  60. Inédite.
  61. Taxile Delord, journaliste, rédacteur en chef du Sémaphore de Marseille, collabora au Charivari, puis au Siècle, et publia l’Histoire du second Empire.
  62. Paul Chenay, graveur de talent, avait épousé Julie Foucher, sœur de Mme Victor Hugo.
  63. Titre primitif des Funérailles de l’Honneur.
  64. bibliothèque Nationale.
  65. Mémoires et comptes rendus de la Société scientifique et littéraire d’Alain, 1879.
  66. Inédite.
  67. Cette Revue n’étant pas nommée, nous n’avons pu nous y reporter.
  68. On a lu la réponse à la lettre d’Hugelmann, p. 3, à la date du 27 mars 1849 ; nous la citions d’après le Journal de Bordeaux, 1er juillet 1863. Mais nous voyons, par cette lettre à Vacquerie, que le Journal de Bordeaux ne faisait que reproduire la Revue d’octobre 1859. — Sur la marge supérieure du Journal de Bordeaux, Victor Hugo a écrit cette note :
    À conserver : Ma lettre à M. Hugelmann au sujet de la détestable insurrection de juin. Plus ses étranges commentaires et le change qu’il cherche à donner. Plus son incroyable récit de mes paroles à Bruxelles.
    La lettre de Victor Hugo fait partie d’un article de Hugelmann qui, après avoir contribué au mouvement révolutionnaire, s’était rallié à l’empire et dès lors, en 1863, présentait la lettre de Victor Hugo et l’entretien qu’il avait eu avec lui à Bruxelles sous un jour favorable à ses nouvelles idées. Dans un second article du même Hugelmann (Journal de Bordeaux, 3 juillet 1863) l’auteur cite une lettre de Lamennais, datée du 30 avril 1851, et dénaturée par les commentaires qui l’accompagnent ; Victor Hugo écrit en note :
    À conserver : Lettre de Lamennais interprétée dans le même sens que la mienne et avec la même bonne foi. (Journaux annotés.)
    Ces journaux annotés par Victor Hugo forment trois volumes reliés qui sont à la Bibliothèque Nationale, département des Manuscrits.
  69. Bibliothèque Nationale.
  70. Essais sur le génie de Pindare.
  71. Dans sa lettre du 10 novembre, Mlle Bertin regrettait que Victor Hugo ne revînt pas en France : « Vous êtes meilleur juge que tous de ce que vous sacrifiez, et de ce à quoi vous le sacrifiez ».
  72. Lettre aux Bertins.
  73. La princesse de Solms, petite-fille de Lucien Bonaparte ; Napoléon III refusa de la reconnaître comme étant de la famille Bonaparte, elle quitta la France après le coup d’État ; elle y rentra en 1853, fit de l’opposition et fut expulsée ; elle se réfugia en Italie, rentra en France après l’annexion de la Savoie. Veuve du prince de Solms, elle épousa le comte Rattazzi, puis Luis de Rute en 1877. Elle écrivit plusieurs romans, quelques poèmes, des études sur l’Espagne et le Portugal, collabora au Constitutionnel et au Pays sous le pseudonyme : Baron Stock, et fut en dernier lieu directrice de la Revue Internationale, 1898.
  74. Collationnée sur le fac-simile donné dans la Nouvelle Revue Internationale, 1898.
  75. Inédite.
  76. Novembre 1859.
  77. Communiquée par la fille de Nefftzer.
  78. John Brown fut le chef de l’insurrection du 16 octobre 1859 aux États-Unis ; il réclamait l’abolition de l’esclavage. L’insurrection échoua. John Brown fut condamné à mort le 1er novembre ; un sursis fut demandé et un faux bruit le dit accordé. Victor Hugo écrivit en hâte une lettre : Aux États Unis d’Amérique reproduite dans les journaux puis insérée plus tard dans Actes et Paroles. Pendant l’exil.
  79. Mlle Page venait de créer le rôle de Mme de Pompadour dans Fanfan la Tulipe.
  80. Bibliothèque Nationale.
  81. Cette lettre diffère un peu de celle publiée dans la Correspondance, en 1898 ; nous en avons trouvé le texte dans un brouillon conservé dans les archives de la famille de Victor Hugo.
  82. On venait de jouer de Dumas fils, au théâtre du Gymnase, Le Père Prodigue, le 30 novembre 1859.
  83. Poésies complètes.
  84. Le manuscrit autographe, mars-avril 1926.
  85. Inédite.
  86. Bibliothèque Nationale.
  87. Inédite. — Clément Caraguel, journaliste et critique théâtral au Charivari, publia plusieurs volumes et nouvelles.
  88. Le Charivari, 11 décembre 1859.
  89. Communiquée par M. J.-B. Barrère, petit-neveu de Clément Caraguel.
  90. Archives de Mme Lauth-Sand.