Correspondance de Voltaire/1724/Lettre 113

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Correspondance de Voltaire/1724
Correspondance : année 1724GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 112-113).
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113. — À M. THIERIOT.

À Forges, 20 juillet.

Plus de Nouvelles à la main, mon cher ami, ni de gazettes ; on est à Forges à la source des nouvelles. Je ne vous conseille point de commencer votre édition[1] au prix que l’on vous propose ; je crois qu’il vaudrait mieux vous accommoder avec un libraire qui se chargerait des frais et des risques, et qui, en vous donnant cinquante ou soixante pistoles, vous conserverait votre tranquillité. Songez, je vous prie, à tous les périls qu’a courus Henri IV. Il n’est entré dans la capitale que par miracle. On a beaucoup crié contre lui ; et, comme la sévérité devient plus grande de jour en jour dans l’inquisition de la librairie, il se pourra fort bien faire qu’on saisisse les exemplaires de l’abbé de Chaulieu, à cause des prétendues impiétés qu’on y trouvera. D’ailleurs, soyez sûr que cela vous coûtera plus de cent pistoles, avant de l’avoir fait sortir de Rouen ; joignez à cela les frais du voyage, de l’entrepôt, et du débit, vous verrez que le gain sera très-médiocre, et que de plus il sera mal assuré ; ajoutez à cela que l’édition ne sera point achevée probablement quand il vous faudra partir de la Rivière, puisque Viret a été cinq mois à imprimer mon poëme. Encore une fois, je crois qu’il vaudrait mieux, pour vous, conclure votre marché à quelque cinquantaine de pistoles, pour vous épargner les embarras et les craintes inséparables de pareilles entreprises. Voilà quelles sont les représentations de votre conseil ; après cela vous en ferez à votre guise. J’ai fait des vers pour la duchesse de Béthune[2] ; mais, comme ils sont faits à Forges, où l’on n’en a jamais fait de bons, je n’ose vous les envoyer.

  1. Il s’agit d’une édition des Œuvres de Chaulieu, que Thieriot voulait donner et que Launai, auteur d’une comédie intitulée le Paresseux, publia en 1733. Voyez plus bas la lettre du 15 mai 1733, à Thieriot.
  2. Julie-Christine d’Entraigues, mariée, en 1709, au duc de Béthune-Charost ; morte en 1737. C’est à cette dame, un peu mondaine et trop dévote, que Voltaire adressa l’épitre qui commence par ce vers :

    Tu sortais des bras du sommeil.