Correspondance de Voltaire/1734/Lettre 453

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Correspondance de Voltaire/1734
Correspondance : année 1734GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 465-467).
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453. — Á M. THIERIOT[1].
1734.

My dear friend, your letter bas been to me one of the kindest comforts I have received in my long tribulation. I do not call this mine adventure by its proper name ; for a misfortune, that has brought to me so many marks of the greatest friendship, is rather a happiness than a misfortune : I never was so well helped by all my acquaintances. There was a sort of conspiracy amongst my friends against my enemies ; but I assure you nothing has relieved me more, notbing has been more acceptable to me, than the new assurances of your tenderness. You tell me you are ready to leave England and to corne to me : is it very true ? Can you give me such a token of your heart ? Come then, but come to Paris : I shall be there in all likehood towards Christmas. You know I have a little house, where there is a pretty apartment that I can give to a friend : what hinders you from gratifying me with your présence ? Have you not been long enough in the damp air of London ? Had I consulted but my love for liberty, and my désire of living with you, certainly I had posted away to Covent-Garden and to Russel-street : but I was nailed up in France by all the services my friends have done for me. I could not, without ingratitude, forsake my own afgairs, of which they have taken so constant and so useful a care. Had it not been for this, dépend upon it I would have passed the rest of my days in London : but as long as I am loved so earnestly by some people in France, it will be impossible for me to seek for anotber asylum. Where there is friendsbip there is our natural soil : come, then, and renew with me the ties of that sacred and unalterable virtue. Let not your proposal be a transient enthusiasm of a tender soul, but the firm resolution of a strong and a virtuous mind. Come, my dear, I conjure you to do it. It is most certain I have but few years to live ; do not debar me of tbe pleasure to pass these moments with you.

I have written many things which I long to show you. The satisfaction a true friend may receive from the communication of my thoughts, is beyond the vain applause of the public.

Have you seen the little, and too little, book written by Montesquieu, on the décadence of the Roman Empire ? They call it the décadence of Montesquieu. It is true the book is very far from being what it ought to be ; but yet there are many things in it which deserve to be read, and that makes me angry with the author for having so lightly treated of so great a matter. That book is full of hints. It is less a book than an ingénions table des matières written in an odd style : but, to enlarge fully upon such a subject, requires liberty. An author at London may give a full career to his thoughts ; here be must stint them. We bave here but the tenth part of our soul. Farewell, my soul is entirely attached to your’s.

Write me by the next post, at the same address. Let me know whether the author of the Pour et Contre[2] is at London. Have you any news about literature ? Farewell, I am your’s for ever[3].

  1. Pièces inédites, 1820.
  2. L’abbé Prévost.
  3. Traduction : Votre lettre, mon cher ami, a été pour moi une des plus douces consolations que j’ai reçues dans ma longue tribulation ; mais j’ai tort de nommer ainsi ce qui m’est arrivé, car un malheur qui m’a valu tant de témoignages de la plus grande amitié est plutôt un bonheur qu’une infortune. Je n’ai jamais été si bien aidé par toutes mes connaissances. Il semblait qu’il y eût entre mes amis une sorte de ligue contre mes ennemis ; mais je vous assure que rien ne m’a tant soulagé et ne m’a été plus agréable que les nouvelles assurances de votre affection. Vous êtes prêt, me dites-vous, à laisser l’Angleterre pour venir me trouver. Est-il vrai ? Pourriez-vous me donner une telle preuve de la bonté de votre cœur ? Venez donc, mais venez à Paris ; j’y serai probablement à Noël. Vous savez que j’ai une petite maison où il y a un joli appartement que je puis offrir à un ami. Qui vous empêche donc de me donner la satisfaction de vous posséder ? N’avez-vous pas respiré assez longtemps l’air froid et humide de Londres ? Si je n’avais consulté que mon amour pour la liberté et mon désir de vivre près de vous, je serais certainement parti en poste pour Covent-Garden et Russel-street : mais j’étais cloué en France par tous les services que mes amis m’ont rendus. Je ne pouvais sans ingratitude abandonner mes propres affaires, dont ils ont pris un soin si infatigable et si utile. Comptez que si ce n’eût été pour cela, je serais allé passer le reste de mes jours à Londres ; mais, tant que je serai aimé aussi vivement en France par quelques personnes, il me sera impossible de chercher un autre asile. Où est l’amitié est la patrie. Venez donc renouveler avec moi les liens de cette vertu sacrée et inaltérable. Que votre proposition ne soit pas l’enthousiasme passager d’une âme tendre, mais la ferme résolution d’un esprit ferme et vertueux. Venez, mon cher, je vous en conjure. Il est certain que je n’ai plus que peu d’années à vivre : ne me privez pas du plaisir de passer ces moments avec vous. J’ai écrit plusieurs choses que je suis impatient de vous montrer. La satisfaction que peut faire éprouver à un véritable ami la communication de mes pensées est pour moi bien au-dessus des vains applaudissements du public.

    Avez-vous lu le petit et trop petit livre écrit par Montesquieu sur la décadence de l’empire romain ? Ce livre est loin d’être ce qu’il devrait être ; mais cependant il contient plusieurs choses qui méritent d’être lues, et c’est ce qui me fâche encore plus contre l’auteur, qui a traité si légèrement une matière si importante. Cet ouvrage est plein d’indications. C’est moins un livre qu’une ingénieuse table des matières, écrite dans un style original. Mais, pour pouvoir s’étendre pleinement sur un pareil sujet, il faut être libre. À Londres, un auteur peut donner un libre cours à ses pensées ; ici, il doit les restreindre : nous n’avons ici que la dixième partie de notre âme. Adieu ; la mienne est entièrement attachée à la vôtre.

    Écrivez-moi par le prochain courrier à la même adresse. Faites-moi savoir si l’auteur du Pour et Contre est à Londres ? Avez-vous appris quelques nouvelles sur la littérature ? Adieu. Tout à vous pour toujours.