Correspondance de Voltaire/1736/Lettre 651

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Correspondance : année 1736GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 137-139).
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651. — À M. BERGER.
À Cirey, septembre.

J’ai enfin reçu, mon cher monsieur, le paquet[1] de M. du Châtelet. Il y avait un Newton. Je me suis d’abord mis à genoux devant cet ouvrage, comme de raison ; ensuite je suis venu au fretin. J´ai lu ma Henriade ; j’envoie à Prault un errata.

S´il veut décorer mon maigre poëme de mon maigre visage, il faut qu’il s’adresse à. M l´abbé Moussinot, cloître Saint-Merry. Cet abbé Moussinot est un curieux, et il faut qu’il le soit bien pour qu’il s’avise de me faire graver. Je connaissais la Comtesse des Barres[2]. Il n’y a que le tiers de l’ouvrage, mais ce tiers est conforme à l’original, qu’on me fit lire il y a quelques années.

Le Dissipateur est comme vous le dites ; mais les comédiens ont reçu et joué des pièces fort au-dessous. Ils ont tort de s’être brouillés avec M. Destouches ; ils aiment leur intérêt, et ne l’entendent pas.

Le Mentor cavalier[3] devrait être brûlé, s’il pouvait être lu. Comment peut-on souffrir une aussi calomnieuse, aussi abominable et aussi plate histoire que colle de Mme la duchesse de Berry ? Je n’ai point encore lu les autres brochures. Est-ce vous, mon cher ami, qui m’envoyez tout cela ? Je suis bien fâché que vous ne puissiez pas venir vous-même.

À l’égard de la Lettre du signor Antonio Cocchi, il la faut imprimer : elle est pleine de choses instructives. Il va autant de courage que de vérité à oser dire que les fictions, dans les poëmes, sont ce qui touche le moins. En effet, le voyage d’Iris et de Mercure, et les assemblées des dieux, seraient bien ignorés sans les amours de Didon ; et Dieu et le diable ne seraient rien sans les amours d’Eve. Puisque M. Cocchi a l’esprit si juste et si hardi, il en faut profiter : c’est toujours une vérité de plus qu’il apprend aux hommes. Il faudra seulement échancrer les louanges dont il m’affuble. Il commence par crier à la première phrase : Il n’y a rien de plus beau que la Henriade. Adoucissons ce terme ; mettons : Il y a peu d’ouvrages plus beaux que, etc. Mais comptez qu’il est bon d’avoir, en fait de poëme épique, le suffrage des Italiens.

Le dévot Rousseau a fait imprimer un libelle diffamatoire contre moi, dans la Bibliothèque française, de concert avec ce malheureux Desfontaines, qui a été mon traducteur, et que j’ai tiré de Bicêtre. Ai-je tort, après cela, de faire des homélies contre l’ingratilude[4] ? J’ai été obligé de répondre et de me justifier, car il s’agit de faits dont j’ai la preuve en main. J’ai envoyé la réponse[5] à M. Saurin fils, parce que monsieur son père y est mêlé ; il doit vous la communiquer.

J’ai lu enfin l’épître[6] en vers qu’on m’imputait : il faut être bien sot ou bien méchant pour m’accuser d’être l´auteur d’un ouvrage où l’on me loue. Comment est-ce que vous n’avez pas battu ces misérables qui répandent de si plates calomnies ? La pièce est quatre fois trop longue au moins, et d’ailleurs extrêmement inégale. Il serait aisé d’en faire un bon ouvrage, en faisant trois cents ratures et en corrigeant deux cents vers ; il en resterait une centaine de judicieux et de bien frappés. Si je connaissais l’auteur, je lui donnerais ce conseil. Quand vous aurez la réponse au libelle diffamatoire de Desfontaines et de Rousseau, je vous prie de la communiquer à M. l’abbé d’Olivet, rue de la Sourdière. Adieu, mon cher ami, je vous embrasse.

  1. Voyez plus haut la lettre 625.
  2. Histoire de l’abbé de Choisy.
  3. 1736, in-12, par le marquis d’Argens. Voyez, ci-après, les lettres 652 et 682 ; et encore celle à Thieriot du 9 janvier 1739.
  4. Allusion à l´Ode sur l’ingratitude.
  5. C’est la lettre du 20 septembre, n° 646.
  6. Voyez la note sur la lettre 637.