Correspondance de Voltaire/1736/Lettre 656

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Correspondance : année 1736GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 142-143).
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656. — À M. BERGER.
À Cirey, le 10 octobre.

À l’égard de l’Enfant prodigue, il faut, mon cher ami, soutenir à tout le monde que je n’en suis point l’auteur. C’est un secret uniquement entre M. d’Argental, Mlle Quinault, et moi. M. Thieriot ne l´a su que par hasard ; en un mot, j’ai été fidèle à M. d’Argental, et il faut que vous me le soyez. Mandez-moi ce que vous en pensez, et recueillez les jugements des connaisseurs, c’est-à-dire des gens d’esprit, qui ne viennent à la comédie que pour avoir du plaisir : hoc est enim omnis homo[1], et le plaisir est le but universel ; qui l’attrape a fait son salut.

Trop ami des plaisirs et trop des nouveautés

(Heniiade, ch. VII, v. 443.)

restera jusqu’à ce qu’on ait trouvé mieux.

Je t’aimais inconstant ; qu’aurais-je fait fidèle ?

(Andromaque,. acte IV, scène v.)

n’est pas plus grammatical, et c’est en cela qu’est le mérite.

Et de l’art même apprend ii franchir les limites.

(Art poet., ch. IV, V. 80.)

Linant n’est point ici ; il est à six lieues, avec son pupille. Quand il sera revenu, il changera, s’il veut, la préface[2]. Il est honteux qu’il faille la changer. M. Algarotti est allé on Italie. Nous l’avons possédé à Cirey : c’est un jeune homme en tout au-dessus de son âge, et qui sera tout ce qu’il voudra être.

Ma santé s’en va au diable : sans cela je vous écrirais des volumes ; mais il faut bien se porter pour être bavard. Vous, qui vous portez à merveille, songez que vous ne pouvez m’écrire ni de trop longues ni de trop fréquentes lettres, et que votre commerce peut rendre heureux votre ami,

  1. Ecclésiaste, xii. 13.
  2. Celle de la Henriade.