Correspondance de Voltaire/1736/Lettre 689

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Correspondance : année 1736GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 176-177).
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689. — À M. BERGER.
À Cirey, le 27 novembre.

Voici le Mondain pour ce qu’il vaut. La petite vie dont il y est parlé vaut beaucoup mieux que l’ouvrage. Je me mêle aussi d’être voluptueux ; mais je ne suis pas tout à fait si paresseux que ces messieurs dont vous faites si bien la critique, qui vantent un souper agréable en mourant de faim, et qui se donnent la torture pour chanter l’oisiveté.

Les comédiens comptaient qu’ils auraientt une pièce de moi cet hiver ; mais ils ont très-mal compté. Je ne fais point le fin avec vous ; je me casse la tête contre Newton, et je ne pourrais pas à présent trouver deux rimes. J´avais fait l’Enfant prodigue à Pâques dernier : il était juste que, dans ce saint temps, je tirasse mes farces de l’Évangile. Dieu m’aida, et cela fut fait en quinze jours. Depuis ce temps je n’ai vu que des angles, des a, des b, des planètes, et des comètes. Mais Mercure n’est pas plus éloigné de Saturne que cette étude l’est d’une tragédie.

Est-il vrai que ce monstre d’abbé Desfontaines a parlé de l’Enfant prodigue[1] ? Ce brutal ennemi des mœurs et de tout mérite saurait-il que cela est de moi ? Mettez-moi un peu au fait, je vous en prie ; et continuez d’écrire à votre véritable ami.

Je vous supplie de déterrer M. Pitot, de l’Académie des sciences ; il demeure cour du Palais, chez M. Arouet, trésorier de la chambre des comptes. Rendez-lui cette lettre, et réponse. Vale, te amo.

  1. L’abbé Desfoiitaines, dans ses Observations (lettre 89, datée du 17 octobre 1736), ne nomme pas Voltaire, mais il le désigne très-clairement par ces mots : « Au milieu de toutes ces défectuosités… le génie distingué et rare perce. »