Correspondance de Voltaire/1736/Lettre 698

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Correspondance : année 1736GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 188-189).
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698. — À M. BERGER.
À Cirey, le 12 décembre.

Je reçois votre lettre du 8. Je fais partir, par cet ordinaire, la pièce[1] et la préface, pour être imprimées par le libraire qui en offrira davantage : car je ne veux faire plaisir à aucun de ces messieurs, qui sont, comme les comédiens, créés par les auteurs, et très-ingrats envers leurs créateurs.

Je suis indigné contre Prault de ce qu’il ne m’envoie point le carton du portrait[2] de M. le duc d’Orléans, et de ce qu’il ne m’envoie point la préface[3] imprimée, et de ce qu’il a l’impertinence de ne pas répondre exactement à mes lettres. Faites-lui sentir ses torts, et punissez-le en donnant la pièce à un autre.

Vous aurez la Newtonade[4] ou plutôt l´Eucliade. Thieriot doit vous la faire voir ; mais il faut être un peu philosophe pour aimer cela.

Je vous prie de passer chez l’abbé Moussinot ; il y a une très-jolie pendule d’or moulu, dont je veux faire présent à Mlle Quinault, pour ses peines. Voyez si vous voulez avoir la bonté de vous charger de faire ce présent. Vous n’avez pas besoin de cela pour être reçu à merveille ; mais ce sera un petit véhicule pour vous faire avoir vos entrées. Il faudra forcer Mlle Quinault à accepter cette bagatelle[5]. Voilà déjà une petite négociation, en attendant mieux.

À l’égard de l’Enfant prodigue, il faut qu’il soit mieux que la Henriade. Je suis honteux de la négligence de Prault : mauvais papier, mauvais caractère, point de table ; cela est honteux.

Vous trouverez la pièce et la préface chez M. d’Argental, qui vous remettra l’une et l’autre ; ainsi négociez avec le libraire le moins fripon et le moins ignorant que faire se pourra.

Comment pourrait-on faire pour avoir par écrit le procès[6] de Castel et de Rameau ? Vous êtes un correspondant à qui on peut demander de tout. Envoyez-moi ce procès ; écrivez-moi souvent ; sachez comment va l’Enfant prodigue ; aimez le père, qui vous aime de tout son cœur.

Je défie M. le chevalier de Villefort d’avoir dit, et même d’avoir connu combien on est heureux à Cirey.

Les nuages que les Rousseau et les Desfontaines veulent élever, du sein de la fange où ils rampent, ne vont pas jusqu’à moi. Je crache quelquefois sur eux, mais c’est sans y songer. Adieu.

  1. L’Enfant prodigue.
  2. Dans le chant VII de la Henriade. v. 440.
  3. Celle de Linant.
  4. Voyez une note de la lettre 637.
  5. La pendule fut refusée, comme le petit secrétaire dont il est question dans la lettre 594.
  6. Sur le Clavecin oculaire, voyez plus haut une note de la lettre 681.