Correspondance de Voltaire/1738/Lettre 903

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Correspondance : année 1738GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 531).
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903. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
14 juillet.

La route de Paris à Pont-de-Veyle est par Dijon : la route de Dijon est par Bar-sur-Aube, Chaumont, Langres, etc. De Bar-sur-Aube à Cirey il n’y a que quatre lieues ; et, si vous ne voulez pas faire quatre lieues pourvoir vos amis, vous n’êtes plus d’Argental, vous n’êtes plus ange gardien, vous êtes digne d’aller en Amérique.

Ah ! charmant et respectable ami, vous ne vous démentirez pas à ce point, et vous ne nous donnerez pas pour excuse qu’il ne faut pas aller à Cirey, en passant ; il faut y aller, ne fût-ce que pour un jour ou pour une heure. Quoi ! vous faisiez dix-huit cents lieues pour quitter vos amis, et vous n’en feriez pas quatre pour les voir ! Je vous avertis que, si vous prenez une autre route que celle de Bar-sur-Aube, Chaumont, Langres, si vous passez par Auxerre, nous vous ferons rougir, et nous aurons le bonheur de vous voir.

Vos réflexions sur les Épîtres[1] et sur Mérope me paraissent fort justes ; et, puisque j’ai pris tant de liberté avec le marquis Maffei dans les quatre premiers actes, je pourrai bien encore changer son cinquième. En ce cas, la Mérope m’appartiendra tout entière.

Si on ne permet pas de se moquer des convulsions[2], il ne sera donc plus permis de rire.

Si le public, devenu plus dégoûté que délicat à force d’avoir du bon en tout genre, ne souffre pas qu’on égayé des sujets sérieux ; si le goût d’Horace et de Despréaux est proscrit, il ne faut donc plus écrire.

Mais, si vous ne venez pas à Cirey, il ne faut plus rien aimer.

Mme du Châtelet vous persuadera ; et moi, je ne veux point perdre l’espérance de voir M. et Mme d’Argental, et de les assurer qu’ils n’auront jamais un serviteur plus tendre, plus dévoué que Voltaire, et plus affligé de la barbare idée que vous avez de vous détourner de votre chemin pour ne nous point voir.

  1. Voyez la note 1, page 508.
  2. Voyez le vers 50 du septième Discours sur l’Homme. À la fin d’une longue variante de cette même pièce, on lit l’éloge de d’Argental, tendre et fidèle ami.