Correspondance de Voltaire/1738/Lettre 912

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Correspondance : année 1738GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 541-542).
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912. — À M. THIERIOT.
À Cirey, le 2 août.

Je vous remercie bien tendrement, mon cher ami, de tant de bons passe-ports que vous avez donnés à cette Philosophie de Newton. Vous êtes accoutumé à faire valoir plus d’une vérité venue d’Angleterre. M. Cousin vous donnera tant d’exemplaires que vous voudrez. Voulez-vous vous charger d’un pour M. Pallu, d’un pour M. de Chauvelin, intendant d’Amiens, ou voulez-vous que je m’en charge ?

Je suis bien étonné que cette Lettre imprimée contre mes Éléments soit du Père regnault ; elle n’est pas digne d’un écolier. Je crois que j’y réponds[1] de façon à forcer l’auteur à être fâché contre lui-même, et non contre moi.

Nous avons ici un fermier général qui me paraît avoir la passion des belles-lettres : c’est le jeune Helvétius[2], qui sera digne du temple de Cirey s’il continue. Voilà Minerve réconciliée avec Plutus. M. de La Popelinière avait déjà commencé cette grande négociation. Je doute qu’on y réussisse mieux que lui.

Ce qui me fait le plus de plaisir, dans la copie de la lettre trop flatteuse pour moi que vous a écrite notre prince, c’est qu’il vous parle avec confiance. Plus il vous connaîtra, et plus son cœur s’ouvrira pour vous. Apparemment que cette lettre, où il prend mon parti avec tant de bonté, est en réponse à la satire injurieuse et absurde du Père Regnault, et à d’autres ouvrages contre moi que vous lui avez envoyés. Si je ne craignais d’opposer trop d’amour-propre à ces injures, je vous dirais de lui envoyer les témoignages honorables, aussi bien que ceux qui peuvent me décrier ; je pourrais faire voir que je ne suis ni si haï ni si méprisé qu’on le fait accroire à ce prince, dont le goût et les bontés s’affermissent par ces infâmes injures.

Mon cher ami, voici bientôt le temps où l’on vous possédera à Cirey. J’ai beaucoup de choses à vous dire qui sont pour vous d’une extrême importance.

Je vous embrasse tendrement.

  1. Lettre 897, 11e et 12e alinéa.
  2. Voyez plus bas la lettre 919.