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Correspondance de Voltaire/1738/Lettre 954

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Correspondance de Voltaire/1738
Correspondance : année 1738GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 33).
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954. — À M. LE COMTIE D’ARGENTAL.
À Cirey, le 3 novembre.

Aimable ange gardien, il faut que vous le soyez non-seulement de Cirey, mais de tout le canton.

Protégez, je vous en conjure, de la manière la plus efficace, M. l’abbé de Valdruche, qui vous rendra cette lettre. C’est le fils de mon médecin, d’un de mes meilleurs amis. Vous vous sentirez bien disposé en sa faveur quand vous saurez qu’il a pour tout bien un petit canonicat de Joinville, que le chapitre lui a conféré légitimement, et que notre saint-père le pape veut lui ôter. N’est-il pas bien odieux qu’un évêque étranger puisse disposer d’un bien qui est en France, qu’on ait des maîtres à trois cents lieues de chez soi, et qu’on mette en question qui doit l’emporter des droits les plus sacrés des hommes ou d’un rescrit du pape ? Tout est subreptice, tout est abusif dans les procédés de l’ecclésiastique qui dispute le bénéfice à l’abbé de Valdruche ; mais il a pour lui le pape et les capucins de Chaumont. Figurez-vous que les juges de Chaumont ont osé donner la provision au papimane, et qu’à l’audience on a cité des jurisconsultes italiens qui disent : Papa omnia potest. Que votre zèle de bon citoyen s’allume. C’est un chaînon des fers ultramontains qu’il s’agit de briser. Vous êtes à portée de procurer au fils de mon ami une audience prompte : c’est tout ce qu’il lui faut. Je crois que sa cause est celle de nos libertés, et la cause même du parlement. Dites-lui, mon cher ami, comment il faut qu’il se conduise ; adressez-le aux bons faiseurs : c’est mon procès que vous me faites gagner. Je crois que je vous en aimerais davantage, si la chose était possible. Adieu ; vous n’aurez jamais mieux récompensé le tendre et respectueux attachement que j’aurai pour vous toute ma vie.