Correspondance de Voltaire/1739/Lettre 1148

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Correspondance de Voltaire/1739
Correspondance : année 1739GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 264-265).

1148. — MADAME LA MARQUISE DU CHÂTELET
à m. le comte d’argental.
27 avril 1739.

Mon cher ami, vous nous rendez la vie. Je me suis bien doutée que vous ne nous abandonneriez pas dans ces cruelles circonstances. Enfin, tout est apaisé, tout est fini : votre ami vous envoie le désaveu dont vous nous avez envoyé le modèle, et la lettre pour M. Hérault. Ce que vous proposez est si raisonnable qu’il n’y a pas moyen de ne s’y pas rendre ; mais ce n’était pas ainsi que M. d’Èon l’avait d’abord proposé. Enfin, mon cher ami, le voilà : nous nous mettons sous l’ombre de vos ailes : gardez-nous, mon cher ange. J’espère qu’avec cette précaution tout ira bien, et que l’on ne nous inquiétera point sur ces Épîtres, qui, après tout, sont sages. Le chevalier de Mouhy a le désaveu, et je crains qu’il ne l’ait répandu. Votre ami ne m’a pas consultée pour le lui envoyer. Je ne puis pas tout parer. J’écris à ce chevalier pour lui défendre d’en faire usage ; mais je crains que le mal ne soit fait : je l’ai appris trop tard. Ce sont les conseils de M. d’Argenson qui nous ont entraînés dans cette faute ; mais j’espère que ce que nous vous envoyons la réparera. Envoyez chercher ce chevalier, ou bien passez-y : car je crois qu’il ne peut sortir. Défendez-lui l’usage du désaveu : vous saurez par lui le chemin que cela a fait. Qu’il ne dise point surtout qu’il le tient de notre ami ; qu’il se taise, et, je vous prie, exhortez-le à ne rien laisser paraître. Il me mande qu’il à y a deux éditions des mémoires commencées ; il faut de l’argent pour les retirer : je lui en aurais envoyé si votre ami ne m’avait assuré l’avoir fait ; mais, s’il ne l’a pas fait, je lui enverrai cent écus qu’il lui faut pour cela, à condition qu’il vous remettra tous les exemplaires et autres choses, pour nous mettre en repos.

Mon cher ami, vous nous manderez la réussite de ce que nous vous envoyons, et vous nous tranquilliserez.

Nous partons, mais ce ne sera pas sans vous le mander ; ainsi, nous comptons recevoir encore de vos nouvelles.

Si vous voyiez les états où toutes ces misères mettent votre ami, vous excuseriez ma douleur et mes inquiétudes. S’il pensait comme moi, il ne s’en soucierait guère. Je lui ai dérobé la connaissance de toutes les brochures qui ont paru depuis la Voltairomanie ; je voudrais lui cacher l’horreur de ses libraires de Hollande ; il serait au désespoir. Priez M. de Meinières de ne se point lasser de m’obliger. Mon Dieu ! que j’ai envie de le connaître et de le remercier !

Pour vous, mon cher ami, quels termes vous exprimeront jamais mon amitié et ma reconnaissance ?

Nous avons relu Zulime ; nous avons fondu en larmes ; elle est digne de vos soins. Je crois que, dans les circonstances présentes, il serait prudent de la donner. On corrigera tout ce que vous voudrez.

Il faut que M. de Meinières se dépèche, parce qu’on a mandé au Mouhy de rendre la lettre. Ce Mouhy est un bon garçon, trop zélé, et qu’il faut ménager.