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Correspondance de Voltaire/1740/Lettre 1289

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Correspondance de Voltaire/1740
Correspondance : année 1740GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 452-453).

1289. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
12 juin.

Mon adorable ami, vous savez que je n’ai jamais espéré un succès brillant de Zulime. Je vous ai toujours mandé que la mort du père tuerait la pièce ; et la véritable raison, à mon gré, c’est qu’alors l’intérêt change ; cela fait une pièce double. Le cœur n’aime point à se voir dérouté, et, quand une fois il est plein d’un sentiment qu’on lui a inspiré, il rebute tout ce qui se présente à la traverse : d’ailleurs, les passions qui régnent dans Zulime ne sont point assez neuves. Le public, qui a vu déjà les mêmes choses sous d’autres noms, n’y trouve point cet attrait invincible que la nouveauté porte avec soi. Que vous êtes charmants, vous et Mme d’Argental ! que vous êtes au-dessus de mes ouvrages ! Mais aussi je vous aime plus que tous mes vers.

Je vous supplie de faire au plus tôt cesser pour jamais les représentations[1] de Zulime sur quelque honnête prétexte. Je vous avoue que je n’ai jamais mis mes complaisances que dans Mahomet et Mérope. J’aime les choses d’une espèce toute neuve. Je n’attends qu’une occasion de vous envoyer la dernière leçon de Mahomet ; et, si vous n’êtes pas content, vous me ferez recommencer. Vous m’enverrez vos idées, je tâcherai de les mettre en œuvre. Je ne puis mieux faire que d’être inspiré par vous.

Voulez-vous, avant votre départ, une seconde dose de Mérope ? Je suis comme les chercheurs de pierre philosophale : ils n’accusent jamais que leurs opérations, et ils croient que l’art est infaillible. Je crois Mérope un très-beau sujet, et je n’accuse que moi. J’en ai fait trois nouveaux actes ; cela vous amuserait-il ?

En attendant, voici une façon d’ode[2] que je viens de faire pour mon cher roi de Prusse. De quelle épithète je me sers là pour un roi ! Un roi cher ! cela ne s’était jamais dit. Enfin voilà l’ode, ou plutôt les stances ; c’est mon cœur qui les a dictées, bonnes ou mauvaises ; c’est lui qui me dicte les plus tendres remerciements pour vous, la reconnaissance, l’amitié la plus respectueuse et la plus inviolable.

  1. La première eut lieu le 9 juin.
  2. Voyez tome VIII, ode x.