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Correspondance de Voltaire/1740/Lettre 1299

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Correspondance de Voltaire/1740
Correspondance : année 1740GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 463-464).

1299. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Charlottenbourg, 24 juin[1].

Mon cher ami, celui qui vous rendra cette lettre de ma part est l’homme de ma dernière épître[2]. Il vous rendra du vin de Hongrie, à la place de vos vers immortels[3] ; et ma mauvaise prose, au lieu de votre admirable philosophie. Je suis accablé et surchargé d’affaires ; mais, dès que j’aurai quelques moments de loisir, vous recevrez de moi les mêmes tributs que par le passé, et aux mêmes conditions. Je suis à la veille d’un enterrement, d’une augmentation, de beaucoup de voyages, et de soins auxquels mon devoir m’engage. Je vous demande excuse si ma lettre et celle que vous avez reçue, il y a trois semaines, se ressentent de quelque pesanteur ; ce grand travail finira, et alors mon esprit pourra reprendre son élasticité naturelle.

Vous, le seul dieu qui m’inspirez,
Voltaire, en peu vous me verrez,
Libre de soins, d’inquiétudes,
Chanter vos vers et mes plaisirs ;
Mais, pour combler tous mes désirs.
Venez charmer nos solitudes.

C’est en tremblant que ma muse me dicte ce dernier vers, et je sais trop que l’amitié doit céder à l’amour.

Adieu, mon cher Voltaire ; aimez-moi toujours un peu. Dès que je pourrai faire des odes et des épîtres, vous en aurez les gants. Mais il faut avoir beaucoup de patience avec moi, et me donner le temps de me traîner lentement dans la carrière où je viens d’entrer. Ne m’oubliez pas, et soyez sûr qu’après le soin de mon pays je n’ai rien de plus à cœur que de vous convaincre de l’estime avec laquelle je suis votre très-fidèle ami,

Fédéric.

  1. Le 21 juin 1740. (Œuvres posthumes.) — Cette date-ci est évidemment la vraie, car l’enterrement du roi défunt, dont il est parlé dans la lettre, eut lieu le 22 à Potsdam.
  2. Par ces mots ma dernière épître, Frédéric désigne son Discours sur la Fausseté, dont nous avons déjà parlé (note de la lettre 1284), et qui est terminé par ce vers :
    Allez, voyez Camas, vous direz le contraire.
    Voyez, sur Camas, la note 2 de la page 449.
  3. Voyez, tome VIII, l’ode au roi de Prusse sur son avènement ; et tome X, l’épître sur le même sujet.