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Correspondance de Voltaire/1750/Lettre 2048

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Correspondance de Voltaire/1750
Correspondance : année 1750, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 92-93).

2048. — AU LIEUTENANT GÉNÉRAL DE POLICE[1].
Paris, 6 janvier 1750, ce mardi,
rue Traversière.

Monsieur, si vous vous êtes amusé à lire mon factum pour le cardinal de Richelieu contre ceux qui lui imputent un très-mauvais ouvrage, je vous supplie de me le renvoyer. J’ai encore de très-fortes raisons à y ajouter, et j’ai surtout à faire voir ce que c’est que le manuscrit qui est à la Sorbonne depuis l’an 1664. C’est assurément une nouvelle preuve de l’imposture, et qui sert à découvrir le nom de l’imposteur. M. le maréchal de Richelieu vint chez moi avant-hier, et ne trouve point du tout mauvais que je détrompe le public.

J’ai une autre affaire, monsieur, dans laquelle je vous

demande, si vous le permettez, vos conseils et votre protection. Je vous avais bien dit que les muses me ramèneraient encore à votre tribunal. J’ai fait la tragédie d’Oreste ; c’est le même sujet que l’Électre de M. Crébillon. J’avais envie de vous prier de remettre l’approbation de la pièce à M. le président Hénault, et d’en parler à M. d’Argenson afin d’éviter les aventures auxquelles cette vieille mégère de Villeneuve et ses chiens exposent les manuscrits.

Mais je ne sais s’il ne sera pas mieux, de toutes façons, que j’aille moi-même de votre part chez M. Crébillon. C’est au bout du compte mon confrère et mon ancien. Les démarches honnêtes sont toujours nobles. Je lui dirai qu’en travaillant sur le même sujet, je n’ai pas prétendu l’égaler, que je lui rends justice dans un discours que je ferai prononcer avant la représentation, et que j’ose compter sur son amitié. Ce procédé et un petit billet de vous, que j’ose vous demander pour le lui rendre, doivent le désarmer. Il n’est guère possible qu’il ne fasse son devoir de bonne grâce. Le grand point est qu’il ne garde pas longtemps le manuscrit. C’est à quoi vos intentions l’engageront quand votre billet les lui aura apprises. Je vous apporterai les deux exemplaires signés de sa main. Je vous supplie, monsieur, de vouloir bien m’honorer de vos ordres aussi promptement que vos grandes occupations pourront vous le permettre.

J’ai l’honneur d’être, etc.

  1. Éditeur, Léouzon Leduc.