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Correspondance de Voltaire/1751/Lettre 2289

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Correspondance de Voltaire/1751
Correspondance : année 1751, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 330).

2289. — À M. DARGET.
1751.

Mon cher et aimable ami, miseriis hominum succurrere discis[1]. Dans le temps que la mort, escortée du scorbut, me talonne, le sieur Henning facit meos canos descendere cum amaritudine ad inferos[2]. Ce monsieur, qu’on dit dévot, a fait mettre dans les gazettes de Hambourg qu’il avait à vendre la traduction allemande du Siècle de Louis XIV. Il est évident qu’il n’a nul droit d’avoir fait traduire cet ouvrage ; qu’il viole un dépôt, et qu’il me vole. Il est soupçonné d’une autre perfidie, d’avoir vendu l’original à des libraires, et les présomptions contre lui sont très-fortes. Je vous supplie, au nom de notre amitié et de votre caractère bienfaisant, de lui représenter sa turpitude, et de lui dire que je me plaindrai au roi, et qu’il sera perdu dans ce monde-ci et dans l’autre. Parlez-lui fortement, employez votre vertu et votre éloquence. Ne serai-je venu dans ce pays-ci que pour être volé, tantôt par un juif, tantôt par un imprimeur ? pour essuyer tant de malheurs, et pour y mourir dans le désespoir d’avoir sacrifié ma patrie à mon inutile tendresse pour le roi ? Adieu.

  1. Miseris succurrere disco. (Virgile, Æneid., I, 629.)
  2. Il y a dans la Genèse, xliv, 29 : Deducetis canos meos cum mœror' ad inferos.