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Correspondance de Voltaire/1752/Lettre 2432

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Correspondance de Voltaire/1752
Correspondance : année 1752, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 487-488).

2432. — RÉPONSE D’UN ACADÉMICIEN DE BERLIN
à un académicien de paris.
À Berlin, le 18 septembre 1752.

Voici l’exacte vérité qu’on demande. M. Moreau de Maupertuis, dans une brochure intitulée Essai de Cosmologie, prétendit que la seule preuve de l’existence de Dieu est ARnRB, qui doit être un minimum (voyez page 52 de son recueil in-4°[1]) affirme que, dans tous les cas possibles, l’action est toujours un minimum, ce qui est démontré faux ; et il dit avoir découvert cette loi du minimum, ce qui n’est pas moins faux.

M. Kœnig, ainsi que d’autres mathématiciens, a écrit contre cette assertion étrange ; et il a cité, entre autres choses, un fragment d’une lettre de Leibnitz, où ce grand homme disait avoir remarqué que « dans les modifications du mouvement, l’action devient ordinairement un maximum ou un minimun ».

M. Moreau de Maupertuis crut qu’en produisant ce fragment on voulait lui enlever la gloire de sa prétendue découverte, quoique Leibnitz eût dit précisément le contraire de ce qu’il avance. Il força quelques membres pensionnaires de l’Académie de Berlin, qui dépendent de lui, de sommer M. Kœnig de produire l’original de la lettre de Leibnitz ; et, l’original ne se trouvant plus, il fit rendre, par les mêmes membres, un jugement qui déclare M. Kœnig coupable d’avoir attenté à la gloire du sieur Moreau de Maupertuis, en supposant une fausse lettre.

Depuis ce jugement, aussi incompétent qu’injuste, et qui déshonorait M. Kœnig, professeur en Hollande, et bibliothécaire de Son Altesse sérénissime Mme la princesse d’Orange, le sieur Moreau de Maupertuis écrivit et fit écrire à cette princesse, pour l’engager à faire supprimer, par son autorité, les réponses que M. Kœnig pourrait faire. Son Altesse sérénissime a été indignée d’une persécution si insolente, et M. Kœnig s’est justifié pleinement, non-seulement en faisant voir que ce qui appartient à M. de Maupertuis dans sa théorie est faux, et qu’il n’y a que ce qui appartient à Leibnitz et à d’autres qui soit vrai ; mais il a donné la lettre tout entière de Leibnitz, avec deux autres de ce philosophe. Toutes ces lettres sont du même style, il n’est pas possible de s’y méprendre ; et il n’y a personne qui ne convienne qu’elles sont de Leibnitz. Ainsi le sieur Moreau de Maupertuis a été convaincu, à la face de l’Europe savante, non-seulement de plagiat et d’erreur, mais d’avoir abusé de sa place pour ôter la liberté aux gens de lettres, et pour persécuter un honnête homme qui n’avait d’autres crimes que de n’être pas de son avis. Plusieurs membres de l’Académie de Berlin ont protesté contre une conduite si criante, et quitteraient l’académie que le sieur Maupertuis tyrannise et déshonore s’ils ne craignaient de déplaire au roi qui en est le protecteur.

  1. Le volume que Voltaire désigne ici est celui qui est intitulé Œuvres de M. de Maupertuis, 1752, in-4° ; voyez tome XXIII, page 535.