Correspondance de Voltaire/1753/Lettre 2658

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Correspondance de Voltaire/1753
Correspondance : année 1753GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 135-136).

2658. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].

Madame, on imprime actuellement ces Annales de l’empire que Votre Altesse sérénissime m’a commandé d’écrire. Elles ont été faites dans un temps où le plaisir d’obéir à vos ordres pouvait seul me donner la force de travailler. J’espère avoir l’honneur d’envoyer l’ouvrage aux pieds de Votre Altesse sérénissime pour vos étrennes. Il est écrit avec la liberté, et, je crois, avec la vérité que l’histoire demande et que vous aimez. Voici, madame, une esquisse de l’épître dédicatoire que je compte mettre à la tête de ces Annales, en cas que Notre Altesse sérénissime l’approuve. Je demanderai encore ses ordres pour savoir si elle veut qu’on mette les lettres initiales de son nom, ou si elle permet qu’on écrive cet auguste nom tout entier.

Si elle le désire, j’enverrai les dix ou douze premières feuilles imprimées, afin qu’elle juge par là de l’ouvrage. Elle trouvera peu d’empereurs qui traitent les femmes aussi indignement qu’on les a traitées à Francfort, il y a quelques mois. Je suis plus que jamais aux pieds de la descendante d’Hercule, et je la préfère assurément à Denis de Syracuse. Comment ne préférerais-je pas la vertu la plus aimable à l’amour-propre artificieux et cruel ? Je sais qu’il faut adoucir un homme puissant et dangereux. On en viendrait à bout, si tout le tort était de mon côté ; mais il sent qu’il a mal agi, et, pour se justifier, il comble la mesure. Il feint de m’imputer cette lettre de 1752, qui contient sa vie privée, et qui était publique à Paris quand j’étais à Berlin. Il sait bien dans le fond de son cœur que cette lettre, où je suis moi-même maltraité, ne peut être de moi ; mais il me l’impute pour se faire un prétexte de me persécuter dans des circonstances aussi cruelles. Il n’a d’autre ressource que de s’envelopper dans son innocence et dans sa philosophie. Vos bontés, madame, et un peu de travail, me soutiennent dans les horreurs de la persécution et de la maladie. J’écrirai à M. de Gotter pour le remercier. Je connais des lettres qui sont bien supérieures aux siennes et aux miennes ; et je prie celle qui m’honore de ces lettres si naturelles et si consolantes, de me conserver des bontés qui me rendent très-heureux dans mon malheur.

Son Altesse sérénissime permettra que madame la grande maîtresse trouve ici les assurances de mon respect.

Je suis à vos pieds, madame, et à ceux de toute la postérité d’Ernest.

P. S. Je ne sais si j’ai appris à Votre Altesse sérénissime que j’ai été prévenu dans cette histoire d’Allemagne. Un jeune homme de Dresde[2] en fait une qu’on imprime ; elle est prête à paraître en trois volumes ; la mienne ne sera qu’en deux : c’est un avantage ; mais le plus grand est de paraître sous vos auspices.

  1. Éditeurs. Bavoux et François.
  2. Pfeffel ; voyez la note 7 de la page 144.